Erismena © Pascal Victor
Erismena © Pascal Victor

Erismena de Cavalli à l’Opéra Royal de Versailles

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Ce weekend, nous avons pu voir l’Erismena de Cavalli à l’Opéra Royal de Versailles, dans la production donnée l’été dernier à Aix-en-Provence et menée par le tandem Alarcón/Bellorini.
Si l’œuvre a rencontré un immense succès à sa création et a fait rapidement l’objet de plusieurs reprises en Europe, elle était peu à peu tombée dans l’oubli, jusqu’aux années 1960.

 

Erismena rompt avec les mythes antiques en vogue à l’époque. Exit les dieux et les héros mythologiques, l’opéra de Cavalli est une pure fiction romanesque. Erismena, jeune femme arménienne, cherche à retrouver son amant Idraspe, qui a fui vers la Médie et a pris l’identité d’Erineo. Erismena se travestit donc en homme et se rend à la cour du roi Erimante, où Erineo est tombé amoureux d’Aldimira, une esclave dont est également amoureux le prince Orimeno.
Erismena est faite prisonnière par le roi. Mais Aldimira, croyant qu’Erismena est un homme, en tombe amoureuse et cherche à le sauver. Tout devient extrêmement compliqué jusqu’à ce qu’on comprenne qu’Erismena est une femme, qu’Aldimira est en fait la sœur d’Erineo/Idraspe et qu’Erismena est la fille d’Erimante. Donc Aldimira épouse Orimeno et Erimante abandonne son trône à Erismena, qui peut épouser Idraspe.

Musicalement, on est face à une œuvre superbe, et ici interprétée par une distribution presque sans failles. L’Erismena de Francesca Aspromonte est véritablement captivante : on admire l’intensité de l’interprète et son extraordinaire déclamation. L’autre perle de la soirée, c’est le contre-ténor Jakub Józef Orliński, qui s’était fait remarquer il y a quelques mois dans un air de Giustino (Vivaldi) ayant fait 3 fois le tour de l’Internet lyrique. Il confirme ici ses immenses qualités de musicien (notamment son sens des nuances et du legato) alliées à un timbre irrésistible et une remarquable aisance scénique.

Sans vraiment démériter, l’autre contre-ténor, Carlo Vistoli, souffre évidemment de la comparaison. Il parvient néanmoins à incarner un Idraspe convaincant et touchant dans son bref solo de l’acte II. En réalité, on trouvera peu de défauts dans cette distribution, tant Susanna Hurrell, Benedetta Mazzucato, Alexander Miminoshvili et Andrea Vincenzo réussissent à incarner et à donner de l’épaisseur à des personnages parfois légèrement stéréotypés. Même le micro-rôle de Diarte est parfaitement tenu par Patrick Kilbride. L’interprétation de la nourrice (personnage travesti) par Stuart Jackson est tellement hilarante qu’elle nous fait oublier les quelques problèmes de justesse que rencontre le ténor. Dans ce casting de grande tenue, le Moro de Tai Oney Clerio paraît peut-être un peu plus fade, du fait d’une projection plus limitée et d’un aigu légèrement instable.

Erismena © Pascal Victor
Erismena © Pascal Victor

Dans la fosse, les membres de Cappella Mediterranea sont dirigés par Leonardo García Alarcón. La direction du chef est fine et délicate. On attendrait parfois plus de variétés dans les couleurs mais le sens du théâtre est là. L’intérêt ne faiblit jamais, et ce grâce à un sens évident du détail. Il joue même sur la spatialisation sonore, lorsque deux violonistes quittent temporairement la fosse pour aller jouer depuis les balcons supérieurs de l’opéra.

Face à une telle réussite sur le plan musical, on avoue être déçu de ne pas retrouver la même qualité générale dans la mise en scène. Certes, la direction d’acteur est très fine, mais le résultat d’ensemble paraît bien chiche. Cultivant l’effet (des ampoules qui claquent, un panneau central changeant constamment de position, des techniciens dont la présence sur scène est incompréhensible…) la scénographie manque parfois un peu de propos. On y trouve même quelques bizarreries au sujet de la nature du travestissement d’Erismena (puisqu’elle révèle sa véritable identité en retirant sa perruque, pourquoi nous la montrer tranchant ses cheveux lors de la première scène ?).

Les costumes de Macha Makeïeff, probablement sortis d’une friperie vintage, sont épouvantablement laids. Mais le principal problème, c’est qu’ils unifient tous les codes vestimentaires (le roi, l’esclave, le prince, le conseiller… tout le monde est habillé pareil) et qu’ils brouillent complètement les rapports de classes entre les personnages.

Fort heureusement, cela n’atténue que peu l’enchantement de la soirée, même si ce spectacle est avant tout un enchantement musical plus que scénique.

 


Erismena
Dramma per musica en 3 actes de Francesco Cavalli
Livret d’Aurelio Aureli
Créé à Venise en 1655

Erismena : Francesca Aspromonte
Idraspe : Carlo Vistoli
Aldimira : Susanna Hurrell
Orimeno : Jakub Józef Orliński
Erimante : Alexander Miminoshvili
Flerida : Benedetta Mazzucato
Argippo : Andrea Vincenzo Bonsignore
Alcesta : Stuart Jackson
Diarte : Patrick Kilbride
Moro : Tai Oney Clerio

Cappella Mediterranea
Direction : Leonardo García Alarcón

Mise en scène et lumières : Jean Bellorini
Décors : Jean Bellorini et Véronique Chazal
Costumes : Macha Makeïeff
Maquillage et coiffure : Cécile Kretschmar

Samedi 2 décembre 2017 à l’Opéra Royal de Versailles

Biberonné à la musique classique dès le plus jeune âge, j’ai découvert l’opéra à l’adolescence. En véritable boulimique passionné, je remplis mon agenda de (trop) nombreux spectacles, tout en essayant de continuer à pratiquer le piano (en amateur). Pour paraphraser Chaplin : « Une journée sans musique est une journée perdue »

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