La Bohème © Bernd Uhlig / OnP
La Bohème © Bernd Uhlig / OnP

La Bohème à l’Opéra de Paris : Allô Houston, on a un problème !

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Pour cette nouvelle production de La Bohème de Puccini, le metteur en scène Claus Guth nous propose un voyage en orbite déroutant.

 

C’est avec un mélange d’excitation et d’inquiétude que je suis parti assister à cette nouvelle Bohème de l’Opéra de Paris. Avant même la première, la polémique avait déjà commencé. Alors, coup de génie ou trahison ?

Côté distribution, c’est Sonya Yoncheva qui remporte la palme de l’applaudimètre. Reconnaissons en effet que la chanteuse possède un timbre particulièrement séduisant et immédiatement reconnaissable. Néanmoins, la première partie du spectacle a l’air de lui poser quelques difficultés. Son air « Sì. Mi chiamano Mimì » bien chanté au demeurant, manque légèrement d’incarnation. Mais il faut dire qu’elle n’est pas aidée en cela par la mise en scène (on y reviendra). En panne de projection, elle se retrouve parfois couverte par ses partenaires et par l’orchestre. L’aigu final du 1e tableau vibre même très dangereusement. Visiblement plus à l’aise dans la 2e partie, elle nous offre de magnifiques moments d’émotion intense, comme lors de la scène finale où la voix s’éteint peu à peu en même temps que le personnage.

La Bohème © Bernd Uhlig / OnP
La Bohème © Bernd Uhlig / OnP

A ses côtés, le ténor Atalla Ayan compose un Rodolfo très touchant. Le timbre est superbe et le chanteur semble n’éprouver aucune difficulté dans le rôle, y compris dans les terribles aigus du célèbre « Che gelida manina! ». L’autre couple de l’histoire est particulièrement bien servi par Artur Ruciński et Aida Garifullina. Le premier possède un volume impressionnant et campe un Marcello extrêmement convaincant. Chez la seconde, on admire le timbre délicieux, la technique impeccable, l’aigu rayonnant et la capacité à faire rire (tableaux 2 et 3) et à émouvoir (tableau 4). Alessio Arduini et Roberto Tagliavini complètent joliment ce casting homogène.

A la baguette, on attendait impatiemment les débuts bastillesques de Gustavo Dudamel. On est conquis dès les premières mesures. Le chef tire de l’Orchestre de l’Opéra de Paris des couleurs qu’on avait rarement entendues. Les nuances, les contrastes, les atmosphères, les tempos… tout est magnifiquement conduit et constitue un enchantement pour les oreilles. Il obtient un triomphe amplement mérité aux saluts finaux.

Musicalement, on est proche du sans fautes, mais on avoue une légère déception en revanche au sujet des Chœurs de l’Opéra de Paris, qui font entendre régulièrement de légers problèmes de mise en place, qui seront sûrement corrigés dans les représentations à venir.

Venons-en à la mise en scène… Allez, j’enfile mon habit de puriste en colère.

Je crois pourtant faire partie de ceux qui apprécient généralement les relectures, surtout dans des œuvres aussi fréquemment données que La Bohème – pas question de re-re-revoir une énième version alla Zeffirelli se contentant de planter un beau décor sur une scène gigantesque. La mise en scène d’opéra, ce n’est pas juste un beau décor…

Mais en l’occurrence, Claus Guth semble avoir eu une fausse bonne idée. Disons-le tout de même, la production est esthétiquement plutôt réussie, les lumières sont très travaillées, tout cela n’est pas dénué de propos, et on n’y verra rien d’indigne à proprement parler. Mais s’agit-il toujours de La Bohème de Puccini ? C’est moins sûr ! Nous voilà donc mis en orbite, prisonniers dans un vaisseau spatial en perdition. Les comparses du 1e tableau sont des astronautes livrés à eux-mêmes et attendent vainement des secours en revivant les moments les plus heureux de leur vie passée. Admettons… La référence à Solaris est assez évidente. Mais elle suppose tout de même de bien connaître sa Bohème avant de venir à Bastille. Lorsque pour les besoins d’une mise en scène, on fait disparaître un personnage (ici Benoît) de la distribution, c’est déjà mauvais signe. Mais ce qui paraît plus problématique encore, c’est que le résultat d’ensemble me semble assez complexe à suivre, voire complètement hermétique à qui découvrirait La Bohème pour la première fois. Mimi est un souvenir de Rodolfo qui vient hanter son présent. Plus le poète se rapproche de la mort, plus son ancienne vie envahit son esprit. Cette Bohème de l’espace est donc un immense flash-back. Lorsque la foule en liesse du 2e tableau se transforme en cortège funéraire pour une Mimi pas encore morte, on y ajoute en plus un flash-forward dans le flash-back. Avec le dédoublement des personnages (un chanteur et un figurant pour les rôles principaux), on a donc parfois 3 temporalités superposées sur la même scène. Il faut suivre ! Et s’il faut lire au préalable 37 pages de notes d’intention du metteur en scène pour comprendre la cohérence interne du spectacle c’est tout de même révélateur d’un problème de conception, d’autant plus que La Bohème ne compte pas parmi les intrigues les plus difficiles à comprendre. La transformation du 4e tableau en scène de cabaret fonctionne quelques instants et trouve sa logique dans le jeu des compères qui tentent d’oublier la tristesse de leur quotidien. Mais elle finit par saper l’impact dramatique de la scène et de la musique, notamment dans l’air de Colline « Vecchia zimarra, senti » soutenu, allez savoir pourquoi, par un numéro de mime légèrement hors de propos.

Il va sans dire que le spectacle a été considérablement chahuté. Les huées et les invectives entre les spectateurs ont d’ailleurs commencé dès le début du 3e tableau. « Trahison ! », « Fermez les yeux ! », « Tais-toi, inculte ! », « A bas la mise en scène ! »… C’était à prévoir. Et compte tenu de la belle qualité d’ensemble des musiciens, on se dit que tout cela ressemble à un beau gâchis. Quel dommage !

Disons-nous pour nous consoler que l’opéra continue apparemment de susciter de vives passions. C’est bon signe, non ? Ce n’est donc pas un genre mort !

 


La Bohème
Opéra en 4 tableaux de Giacomo Puccini
Livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa
Créé en 1896 au Teatro Regio de Turin

Mimì : Sonya Yoncheva
Musetta : Aida Garifullina
Rodolfo : Atalla Ayan
Marcello : Artur Ruciński
Schaunard : Alessio Arduini
Colline : Roberto Tagliavini
Alcindoro : Marc Labonnette
Parpignol : Antonel Boldan
Sergente dei doganari : Florent Mbia
Un doganiere : Jian-Hong Zhao
Un venditore ambulante : Fernando Velasquez

Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris
Maîtrise des Hauts-de-Seine / Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris
Direction musicale : Gustavo Dudamel

Décors : Étienne Pluss
Costumes : Eva Dessecker
Lumières : Fabrice Kebour
Vidéo : Arian Andiel
Chorégraphie : Teresa Rotemberg
Dramaturgie : Yvonne Gebauer
Chef des Choeurs : José Luis Basso
Mise en scène : Claus Guth

1 décembre 2017 à l’Opéra Bastille

Biberonné à la musique classique dès le plus jeune âge, j’ai découvert l’opéra à l’adolescence. En véritable boulimique passionné, je remplis mon agenda de (trop) nombreux spectacles, tout en essayant de continuer à pratiquer le piano (en amateur). Pour paraphraser Chaplin : « Une journée sans musique est une journée perdue »

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