Plein feux sur la musique de chambre à la 24ème édition du Verbier Festival, à l’enseigne des rencontres les plus inédites
Une par une, les petites cabines téléphériques montent sans arrêt vers le sommet.
Autour, les montagnes verdoyantes garantissent un paysage à 360° à couper le souffle. Le glacier des Combins, qui d’habitude est enneigé même en été, dévoile sa roche nue, signe inquiétant du changement climatique.
J’arrive au centre ville de Verbier, où des charmants chalets s’alternent aux agences immobilières de luxe et aux boutiques hors de prix. Station de ski renommée l’hiver, aux mois de juillet et d’août elle se réanime grâce à son festival international de musique classique. Pendant ce temps, aux touristes randonneurs se rajoutent les festivaliers : les jeunes musiciens de l’académie, les artistes invités, les journalistes, les employés du festival et, bien évidemment, les mélomanes. Mais ce cadre alpin privilégié, n’est pas le seul attrait du Verbier festival, qui peut vanter un calendrier exceptionnel de concerts, autour des plus grands musiciens de notre temps. Et ce qui est encore plus intéressant est que ces derniers offrent au public non seulement des performances en solistes, mais se produisent également en compagnie de leurs prestigieux collègues, dans des “rencontres inédites” qui promettent des émotions intenses et imparables.
Pour ce qui concerne la musique de chambre, Verbier est un endroit unique, où l’on peut voir la grande violoniste Janine Jansen jouer en tant que second violon avec Vadim Repin, Micha Maisky, Maxim Rysanov et Vladimir Feltsman, ou encore se lever un matin pour aller écouter Vadim Repin et Nikolaï Lugansky dans l’église du village.
De même, à Verbier il est possible de se retrouver dans une master-class de Thomas Hampson, Tim Carroll, Gabor Takacs-Nagy, Sergey Babayan, Yuri Bashmet, Antoine Tamestit, James Ehnes, Pamela Frank, ou encore du quatuor Ebène, et participer à des échanges emblématiques pour les jeunes étudiants, qui les accompagneront durant toute leur vie.

Au fil du temps, Verbier a été adoptée par les plus grands solistes, qui y reviennent régulièrement, pour mettre leur talent au service de la musique d’ensemble, ou leur expérience au profit de l’académie. Mais il y a aussi des jeunes talents, dénichés par Martin Engström, fondateur et directeur du festival, pour lesquels le festival est un véritable tremplin, comme il l’a été pour des grands artistes : entre autres, Renaud Capuçon, Betrand Chamayou, Vadim Gluzmann, Sol Gabetta et le Quatuor Modigliani.
Cet esprit de rencontre, de partage et de transmission, se montre donc efficace et pertinent : les concerts sont complets, tout comme les master-classes, où le public s’affole pour découvrir les coulisses de l’excellence musicale.
Le répertoire est aussi au cœur de ces journées estivales au sommet : on y retrouve, par exemple, le sublime Quatuor pour piano et cordes en mi mineur de Sergueï Taneïev. Moins connu en occident que ses illustres maîtres (Piotr Ilic Tchaïkovski et Nikolaï Rubinstein), Taneïev est pourtant l’une des figures musicales les plus importantes du XIXème et XXème siècle. Le compositeur, au style compositif raffiné et méticuleux, était également pianiste et professeur au Conservatoire de Moscou, et parmi ses élèves figurent Rachmaninov et Scriabine.
Dans la salle éphémère des Combins, nous assistons à une exécution précise et mesurée de cette œuvre, qui privilégie l’équilibre entre chaque instrument. Nous avons donc le plaisir de profiter en égale mesure des aigus riches du violon d’Alexander Sitkovetsky, des graves très aériens de Maxim Rysanov (alto) et Pablo Ferrandez (violoncelle) et enfin de la grande légèreté du toucher de Lukas Geniusas au piano, nous offrant une authentique plongée dans le lyrisme subtil de Taneïev.

En attendant la création d’une véritable salle de concert, prévue dans les années à venir pour accueillir un millier de spectateurs, c’est dans la charmante église moderne de Verbier que l’on profite mieux de l’acoustique. Dans l’autel, la scène est entourée d’un épais tissu noir et surmontée par un toit en bois et un puits de lumière, reprenant la forme arrondie de la salle. En face, le public bénéficie d’un cadre d’écoute très propice à la musique de chambre et d’une ambiance intime et de recueillement.
Le violoniste James Ehnes et le pianiste Julien Quentin y proposent un programme associant la Rhapsodie n°1 pour violon de Bela Bartók, la Sonate pour Violon et piano en mi mineur op.82 d’Edward Elgar et les Cinq mélodies pour violon et piano op. 35 bis de Sergueï Prokofiev.
Encore une fois la journée commence en partageant des émotions très fortes avec les autres spectateurs. Nous sommes tous épatés par le raffinement et la virtuosité d’Ehnes, dont on remarquera l’admirable légèreté de l’archet, et par sa grande complicité avec Quentin, qui se montre tout particulièrement attentif aux dynamiques.

Le soir, nous retrouverons Ehnes, le temps d’une nouvelle rencontre inédite avec Antoine Tamestit, Micha Maisky et Nicolaï Lugansky, autour de Brahms.
Pendant que les autres instrumentistes s’alternent dans des sonates pour se retrouver dans un quatuor final, Lugansky reste sur scène et assure un accompagnement sophistiqué et pertinent. Si Maisky brave le danger dans l’arrangement pour violoncelle et piano de Paul Klengel de la Sonate pour violon et piano n°1 op. 78, Tamestit, de son côté, fait honneur à son instrument, qui a rarement la place de soliste, en nous offrant une Sonate pour alto et piano en mi bémol majeur op. 120 n°2 assurée et entraînante.
Les spectateurs sortent de l’église en silence, encore imprégnés par la musique. Dehors, il fait nuit. Les étoiles se cachent derrière les montagnes, pendant que les quelques faibles lumières des chalets leur font miroir. Ils redescendent doucement la pente, en prenant un petit chemin paisible qui conduit au centre de Verbier.
Certains rentrent directement à l’hôtel, tandis que d’autres s’arrêtent dans un bar pour déguster les fromages et les vins locaux, issus des cépages traditionnels du Valais. L’acclimatation se fait si naturellement, que personne n’a décidément aucune envie de quitter ce petit paradis alpin.