Mercredi 4 mars, à l’ambassade de Finlande à Paris, le festival de Turku donnait un concert de présentation. Une soirée franco-finlandaise originale mêlant conversation et concert autour du compositeur Eric Tanguy et de son ami, le philosophe et essayiste Michel Onfray.
La vénérable ville de Turku, ancienne capitale de Finlande, abrite une saison musicale et un festival historique, le Turun Musiikkijuhlat, qui fête cette année sa 61e édition. On pourra y retrouver au cours de la saison de grands interprètes lyriques tels que Juan Diego Flores, Joyce Di Donato, Franco Fagioli, Thomas Hampson, et en août, le festival, qui accueille une myriade de concerts. Animé par son directeur artistique, Klaus Mäkelä, le jeune chef d’orchestre qui monte et la dynamique administratrice Liisa Ketomaki, le festival s’est forgé au fil des ans une solide réputation. Talents finnois y côtoient des artistes internationaux pour un festival urbain, ouvert sur différents lieux, salles de concert, églises ou salons de la ville. Au programme, de la musique pour tous les goûts : concerts de musique d’orchestre, musique de chambre, opéras, récitals, jazz, musiques du monde et des concerts pour grands et petits, avec la participation de grands noms dans l’interprétation nationale et internationale de musique classique.
Des passerelles entre deux pays et deux époques
Témoignant de l’éclectisme du festival du festival, cette soirée de présentation démarre par une conversation entre Eric Tanguy et Michel Onfray. Entre l’interview et la conférence, les deux amis s’appuient sur le programme musical de la soirée pour aborder des sujets comme l’amitié, la musique (et celle de Sibelius en particulier), la poésie et le deuil aussi. Sans notes, en toute simplicité, parfaitement maîtres de leurs sujets, ils captivent le public en toute convivialité.
Largement applaudis, les deux invités d’honneur de la soirée laissent la place à Suzanna Bartal au piano et Senja Rummukainen au violoncelle qui délivrent une magnifique Sonate de Debussy. Ecrite en quelques jours, entre juillet et août 1915, lors d’un séjour au bord de la mer, à Pourville, cette sonate est inspirée par les arlequinades de la Commedia Del Arte et a failli s’intituler “Pierrot fâché avec la Lune”. L’œuvre d’une durée assez courte, se détourne des grands développements du style germanique, pour proposer trois mouvements ramassés et de caractères fort variés. Le violoncelle avec ses différents modes de jeu est constamment mis en avant et servi avec beaucoup d’expressivité par Senja Rummukainen.
Renaissance de la mélodie
Puis c’est au tour de la mezzo soprano Ambroisine Bré de rejoindre Suzanna Bartal, d’abord dans une mélodie onirique, Norden de Sibelius, sur une poésie de Runeberg sur la nature, inspiration chère à Sibelius. Son style régulier et légèrement syncopé maintien l’attention sur les harmonies changeantes et l’éloquence de la ligne vocale de la jeune mezzo. Mais c’est dans la mélodie Deux âmes signée par Eric Tanguy et Michel Onfray qu’Ambroisine Bré nous saisit. Le texte de Michel Onfray décrit un douloureux passage de la vie de son ami compositeur. Dans ce chant sur la mort, sur le deuil, on découvre une autre facette de Michel Onfray, celui du poète. La narration est simple, efficace, l’accompagnement au piano doux-amer, traduit incroyablement bien le sentiment de celui qui reste, désemparé. La mezzo dont la diction est admirable, en fait une interprétation bouleversante. Ce tandem Tanguy/Onfray rappelle ici les grandes heures de la mélodie française, à la Poulenc et Cocteau, qu’ils réinventent avec une vigueur nouvelle.
Puis c’est une pièce de la compositrice finlandaise Kaiji Saariaho, Tocar, que l’on découvre avec le violoniste Petteri Livonen et Suzanna Bartal au piano , et qui donne à entendre la belle technique violonistique du nouveau violon solo de l’orchestre de l’Opéra de Paris et la remarquable pianiste. La soirée s’achève sur le Trio d’Eric Tanguy, souple et mouvant. Il installe avec subtilité des climats changeants qui montent jusqu’à un jaillissement d’énergie lumineuse. Une soirée admirablement bien servie par Suzanna Bartal, Petteri Livonen, Ambroisine Bré et Senja Rummukainen, qui lancent ainsi cette saison finlandaise très prometteuse.