Le Théâtre des Champs-Elysées accueillait vendredi soir la 6e édition des « Mozart de l’Opéra », concours de chant international fondé en 2010 par Pierre Vernes. Comme pour l’édition précédente on retrouve Roselyne Bachelot en maîtresse de cérémonie.
Le programme de la soirée fait la part belle à l’opéra italien du XIXe siècle (Donizetti largement en tête). Mais ce n’est pas en quête de raretés musicales ou pour découvrir du répertoire que l’on vient assister à cette représentation/concours. Non, ce qui nous préoccupe avant tout, ce sont évidemment les 10 artistes en compétition, de jeunes pousses, certes, mais certainement pas de parfaits débutants, comme en témoignent les C.V. déjà bien remplis qui sont présentés dans le programme.
On passera vite sur la tentative assez artificielle (et fort peu réussie d’ailleurs) de lier les airs du programme dans une intrigue sans cohérence ni grand intérêt. Ce soir, il était surtout question de chant.
Le grand triomphateur de la soirée est le baryton russe Ilya Kutyukhin, qui remporte à la fois le 1er prix du jury et le prix du public. Difficile en effet de ne pas se laisser séduire par ce timbre chaleureux et par ce legato merveilleusement conduit. Certes avantagé par le fait qu’il chante son air solo dans sa langue maternelle (La Dame de Pique), il bouleverse vite l’assemblée et se révèle également très convaincant en français (La Favorite).
Les deux autres prix du jury récompensent les deux jeunes chanteurs français en lice. Le baryton Jérôme Boutillier (2e prix) intervient d’abord discrètement dans deux ensembles (L’Elisir d’amore et Don Giovanni) avant de révéler toute sa capacité expressive, un aigu solide et un évident sens du drame dans la scène de la mort de Rodrigue (Don Carlos).
La soprano Mélissa Petit (3e prix) impressionne dans La Sonnambula. Probablement guidée par une mise en scène (ou mise en situation) un peu hasardeuse, son Amina semble peut-être un peu trop coquette, mais la virtuosité est sans faille et la soprano ose d’ailleurs des variations assez périlleuses dans la reprise de « Ah non giunge ».
Il faut également saluer l’ensemble des autres concurrents de la soirée. Et on espère avoir bien vite l’occasion de réentendre la voix de Julia Sitkovetsky qui fait preuve d’une grande homogénéité de registres lors de ses trois interventions aux vocalités extrêmement contrastées (Elvira de Don Giovanni, la Reine de la nuit de La Flûte enchantée et Lucia di Lamermoor).
L’exercice du concours est malheureusement cruel et a tendance à exacerber les difficultés et les faiblesses des candidats. Ainsi, la soprano Yaritza Veliz, probablement tendue par le fait qu’elle ouvre la soirée, est un brin placide dans l’air de Susanna (Le Nozze di Figaro) mais se montre bien plus à son aise et plus expressive dans le duo des Capuleti.
Le baryton Benjamin Lewis a un timbre agréable et une évidente musicalité (La fiancée du Tsar) mais est un peu à la peine avec la pulsation dans le trio de Don Giovanni (il n’est certes pas aidé par le chef dont la battue est exagérément lente).
Zlata Khershberg complète avec bonheur les ensembles d’Hamlet et de La Favorite. Son registre grave manque toutefois de soutien et elle se retrouve engloutie par l’orchestre dans l’air de la Princesse de Bouillon (Adriana Lecouvreur).
Lilly Jørstad ne convainc pas beaucoup, que ce soit dans l’air final de La Cenerentola qui expose une vocalisation assez brouillonne ou dans le duo entre Roméo et Juliette où elle affiche des poses convenues et outrées.
Le chant de Shan Huang est propre et la ligne musicale est bien menée dans l’air de Don Pasquale. Mais il y manque tout de même une véritable caractérisation qui révélerait la personnalité du chanteur.
Enfin on avouera avoir frémi en entendant David Astorga dans l’air d’Alfredo (La Traviata) que le ténor aborde manifestement avec beaucoup de tension et qu’il couronne d’un contre-ut tenu fort longuement mais extrêmement bas.
Cependant, on l’a dit, le contexte très particulier d’un concours ne permet pas nécessairement aux chanteurs de donner la pleine mesure de leurs capacités et il convient naturellement de féliciter l’ensemble des candidats et de leur souhaiter la plus longue route possible.
Présentation : Roselyne Bachelot
Orchestre Prométhée
Direction : Pierre-Michel Durand
Mise en espace : Florence Alayrac
David Astorga (ténor, Costa Rica)
Jérôme Boutillier (baryton, France)
Shan Huang (ténor, Chine)
Lilly Jørstad (mezzo-soprano, Norvège)
Zlata Khershberg (mezzo-soprano, Israël)
Ilya Kutyukhin (baryton, Russie)
Benjamin Lewis (baryton, Royaume-Uni)
Mélissa Petit (soprano, France)
Julia Sitkovetsky (soprano, Royaume-Uni)
Yaritza Veliz (soprano, Chili)
Programme
Le Nozze di Figaro (Mozart) : « Deh, vieni, non tardar, oh gioia bella »
Lucia di Lammermoor (Donizetti) : « Verranno a te sull’aura »
La Fiancée du tsar (Rimski-Korsakov) : « С ума нейдет красавица! »
La Sonnambula (Bellini) : « Ah! non credea mirarti »
Adriana Lecouvreur (Cilea) : « Acerba voluttà, dolce tortura »
L’Elisir d’amore (Donizetti) : « Voglio dire … lo stupendo »
La Dame de Pique (Tchaïkovski): « Я вас люблю »
La Cenerentola (Rossini) : « Nacqui all’affanno »
Don Pasquale (Donizetti) : « Cercherò lontana terra »
Don Giovanni (Mozart) : « Ah taci, ingiusto core! »
Don Carlos (Verdi) : « C’est moi, Carlos »
Die Zauberflöte (Mozart) : « Der Hölle Rache »
Hamlet (Thomas) : « Allez dans un cloître »
I Capuleti e I Montecchi (Bellini) : « Sì, fuggire, a noi non resta »
La Traviata (Verdi) : « Lunge da lei per me non v’ha diletto! »
La Favorite (Donizetti) : « Pour la fête, préviens toute la cour »
Lucia di Lammermoor (Donizetti) : « Chi mi frena in tal momento »
Jury
– Anne Blanchard, Directrice artistique des Voix du Festival International d’Opéra baroque et romantique (Beaune)
– Michel Franck, Directeur général du Théâtre des Champs-Elysées (Paris)
– Eve Ruggieri, Productrice et animatrice
– Peter de Caluwe, Directeur général du Théâtre Royal de la Monnaie (Bruxelles)
– Richard Martet, Rédacteur en chef d’Opéra Magazine
– Dmitry Vdovin, Directeur artistique du Young Artist Program, Théâtre du Bolchoï (Moscou)
– Pål Christian Moe, Casting consultant pour le Bayerische Staatsoper (Munich) et le Glyndebourne Festival Opera
– Christophe Ghristi, Directeur artistique du Capitole (Toulouse)
– Joan Matabosch, Directeur artistique du Teatro Real (Madrid)
– Fabrizio Carminati, Chef d’orchestre
– Jean-Louis Grinda, Directeur de l’Opéra de Monte Carlo et des Chorégies d’Orange
– Christoph Seuferle, Directeur artistique du Deutsche Oper (Berlin)
– Laurent Pelly, Metteur en scène
Théâtre des Champs-Elysées, 18 janvier 2019