Irène Duval
Irène Duval © Béatrice Cruveiller

1 salle, 2 albums, 4 musiciens : soirée jeunes talents à Gaveau

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Retour sur le concert des jeunes musiciens Irène Duval, Pierre-Yves Hodique, Virgil Boutellis-Taft et Guillaume Vincent à la salle Gaveau.

 

A l’occasion de la sortie de leurs enregistrements respectifs, deux couples de jeunes musiciens se sont alternés sur la scène de la salle Gaveau, pour un programme hétéroclite de duos et de trios.

Irène Duval et Pierre-Yves Hodique ont ouvert le bal avec la Sonate pour violon et piano de Poulenc, qui introduit également leur disque, Poèmes, alliant la musique française de Poulenc, Chausson et Fauré, à celle de l’Europe de l’Est de Karol Szymanowski et Heinrich Wilhelm Ernst.
Dès le premier coup d’archet, Irène Duval montre son énergie et sa détermination et interprète avec ferveur cette œuvre touchante, composée pendant la deuxième guerre mondiale à la mémoire de Federico García Lorca, tué par des franquistes au début de la guerre civile espagnole.

Le bouleversant Poème op.25 de Chausson commence par un pianissimo misterioso opportunément rendu par le toucher délicat de Pierre-Yves Hodique, suivi par le violon qui entonne la troublante mélodie inspirée du Chant de l’amour triomphant de Ivan Sergueïevitch Tourgueniev (1818-1883).
Cette nouvelle raconte l’histoire des deux frères Fabio et Muzio, respectivement peintre et musicien, amoureux de la même femme, Valéria. Repoussé par cette dernière, Muzio part pour un voyage lointain. Un jour, il revient à Ferrara, en emportant avec lui un violon indien avec lequel il joue une mélodie passionnée pour sa bien-aimée, qui en reste profondément troublée. Cette étreinte musicale (ou réelle, ce n’est pas clair) laisse Valéria enceinte et pousse Fabio à tuer Muzio par jalousie. La mort de Fabio n’est cependant pas certaine et son “chant d’amour” revient au cours de l’histoire pour hanter Valéria.
Les musiciens font preuve d’une belle alchimie et poétisent cette émouvante pièce, dédiée à Eugène Ysaye, qui se termine par des trilles en suraigu pianissimo qui donnent les frissons.

C’est ensuite à Virgil Boutellis-Taft et à Guillaume Vincent de prendre place sur scène, afin de présenter des œuvres tirées de leur CD Entre Orient et Occident, qui explore la musique du XXème et XXI siècles et ses influences, entre France, Europe de l’Est et Moyen-Orient.

Après un début un peu déséquilibré, où le jeu de Virgil Boutellis-Taft est un peu en retrait par rapport à l’effervescence de Guillaume Vincent, l’interprétation de la Sonate pour violon et piano de Janáček prend de l’élan au troisième mouvent et se conclut dans un finale de grande intensité.
Les deux musiciens nous offrent ensuite une belle exécution des Danses populaires roumaines de Bartók avec des changements d’ambiance très convaincants. Nous remarquerons tout particulièrement le decrescendo en pianissimo du finale d’Opogó / Pe loc, où Virgil Boutellis-Taft magnétise les auditeurs avec une transition très réussie entre notes et simple frottement de l’archet sur les cordes du violon.

Cette œuvre qui tisse le lien entre musique savante et tradition populaire est ensuite intelligemment associée à deux pièces contemporaines : Once there was and once there wasn’t de Tara Kamangar, qui puise dans la musique populaire kurde et dans le jeu du célèbre violoniste kurde-iranien Mojtaba Mirzadeh (1945-2005) ; et Chants du Sud de Philippe Hersant, inspirés des musiques traditionnelles d’Algérie, du Maroc, d’Espagne séfarade, d’Europe centrale, des Balkans et de Turquie.

Virgil Boutellis-Taft / soirée jeunes talents © Jean-Baptiste Millot
Virgil Boutellis-Taft © Jean-Baptiste Millot

Tara Kamangar est une jeune pianiste et compositrice américaine d’origine iranienne au parcours éclectique. Diplômée en piano à la Royal Academy of Music de Londres et en anthropologie à l’Université d’Harvard, cette passionnée d’ethnomusicologie a composé la bande originale du documentaire franco-iranien Fifi hurle de joie, sur le “Picasso perse” Bahman Mohassess, et participé en tant que violoniste et pianiste au projet crossover Triptyq Sessions.
Créé au Carnegie Hall en novembre 2015 par Kamangar elle-même et son dédicataire Virgil Boutellis-Taft, Once there was and once there wasn’t est une pièce pleine de ferveur, ici splendidement rendue par le duo qui fait preuve de solidité technique et de synergie.

Cette partie du concert se termine par un fascinant voyage en Méditerranée offert par Les chants du Sud de Philippe Hersant. Dédiées au violoniste Philippe Graffin, ces six brèves pièces pour violon solo s’interrogent sur la mémoire des musiques du passé, en créant ce que le compositeur appelle un “folklore réinventé”.
Virgil Boutellis-Taft rend donc un bel hommage au Président du jury de la Fondation Banque Populaire, qui en 2012 l’avait choisi comme lauréat, tout comme les autres trois interprètes. La preuve d’une dynamique qui va bien au delà de l’aspect financier, et qui aboutit également à une transmission intergénérationnelle et à des fructueuses collaborations.

 


Irène Duval, violon
Virgil Boutellis-Taft, violon
Pierre-Yves Hodique, piano
Guillaume Vincent, piano

« Poèmes »  Mirare/Harmonia Mundi (Irène Duval – Pierre-Yves Hodique)
« Entre Orient et Occident »  Evidence Classics/Hamonia Mundi  (Virgil Boutellis-Taft – Guillaume Vincent)

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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