Les artistes issus de l’univers du théâtre sont de plus en plus présents sur les scènes lyriques. Après Thomas Jolly qui s’est essayé avec brio à deux reprises à la mise en scène opératique, tout d’abord à l’Opéra de Paris grâce à Eliogabalo puis à l’Opéra Comique pour Fantasio, c’est au tour de Guillaume Gallienne de s’essayer à cet exercice ô combien périlleux en s’emparant de la production de La Cenerentola de Rossini. Sa proposition est volcanique et convaincante, si ce n’est cette scénographie délabrée, confiée à Eric Ruf.



La Cenerentola, c’est l’histoire de Cendrillon, œuvre cruelle et dramatique, conte tragique signé Perrault. Jacopo Ferretti s’en inspire pour élaborer un livret prenant. Lorsqu’un mendiant arrive, Angelina, qui est d’une bonté d’âme impressionnante, lui offre une collation. Ses sœurs la raillent mais déjà, se répand comme une trainée de poudre, la nouvelle annonçant que le prince Don Ramiro organisera une soirée où l’on chantera, dansera dans le palais royal avant que la plus belle ne soit désignée comme épouse. Traitée comme une esclave, la pauvre Cendrillon est sollicitée de toutes parts pour préparer ses sœurs. Il faudra une intervention spéciale pour qu’elle puisse également se rendre à ce grand événement, s’enfuir et être retrouvée par le prince qui en fera une éternelle princesse du cœur.
L’ouverture calme et féérique, au rythme allant voire guilleret, à mi-chemin entre innocence et gravité, s’effectue pendant que le rideau de scène reste baissé. Puis, il s’ouvre sur une façade de palais napolitain délabré, rougeoyant et défraîchi. La scénographie volcanique d’Eric Ruf prend sa source dans les cendres qui donnent à Angelina son surnom de Cendrillon. Cependant, elle est écrasante et esthétiquement peu raffinée. Si la pertinence de lecture de l’œuvre qu’en fait Guillaume Gallienne avec l’administrateur du Français peut se défendre, il manque néanmoins le faste du palais du Prince. En revanche, la très belle scène d’orage avec une fine pluie de cendres à l’acte II demeure une image impérissable. Le paysage lunaire, dont le sol est une coulée de lave, a tendance à emprisonner notre attention qui s’égare des voix sublimes qui évoluent avec brio, bravant l’enthousiasme du public.



Le plateau vocal est incroyablement performant. Teresa Iervolino campe une Angelina / Cendrillon rêveuse, aussi forte que fragile. Sa silhouette, accablée voire affligée, laisse exploser une voix puissante faisant triompher la bonté sur l’innocence « Ma vengeance sera le pardon ». C’est un cœur qui souffre en silence mais bien plus noble que le trône. La mezzo-soprano fait ici ses débuts à l’Opéra de Paris et s’impose avec une voix généreuse et intense dont le vibrato voluptueux emplit tout l’espace. Son air final est éblouissant. Sa ligne de chant souligne le relief de sa partition qu’elle exécute avec une extrême précision. Son jeu scénique est remarquable et captivant, discret et touchant. Maurizio Muraro est un Don Magnifico bedonnant, amateur de chair fraîche et coureur de jupons, surtout s’ils appartiennent à de belles jeunes femmes pouvant aisément être ses propres filles. Il est légèrement grotesque, tyrannique et tourné en dérision (il se retrouve avec son pantalon sur les chevilles !) et peine à projeter assez pour passer au-dessus de l’orchestre mais sa voix, profonde et large, se prête parfaitement au rôle, notamment dans l’ouverture de l’acte II. Sa performance, très théâtralisée, est un enchantement permanent. Juan José De León, quant à lui, est un Prince à la voix limpide et puissante dès sa première apparition. Son duo avec Teresa Iervolino est fabuleux à l’acte I. Lorsque son personnage décide d’observer les filles sous les habits de son laquais, on pense instinctivement au Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux mais avec moins de naïveté. Il échange son statut avec Dandini. C’est Alessio Arduini qui offre son corps et sa voix à ce personnage haut en couleur, expressif et séducteur dont la voix suave est idéale. Son jeu d’acteur est également convaincant, tout comme celui de Roberto Tagliavini, mystérieux Alidoro qui est une sorte de double masculin de la bonne fée de Disney. Vocalement et scéniquement parlant, il n’y a rien à redire. Chiara Skerath (Clorinda) et Isabelle Druet (Tisbe) sont les deux sœurs sottes et superficielles, suffisantes et vaniteuses, n’hésitant pas à dégainer le fusil pour chasser les rivales vêtues de blanc, se rêvant déjà au pied de l’autel royal.
La Cenerentola bénéficie de voix exceptionnelles qui nous rappellent que l’orgueil doit tomber en poussière et que la bonté et le pardon sont les seules composantes d’une vengeance possible. Un noble cœur triomphera toujours des épreuves de la vie et cela, le sociétaire de la Comédie-Française a su nous le transmettre avec gourmandise, grâce à cet opéra sur la cruauté familiale explosant dans une nébuleuse éruption volcanique de la violence. Un drame à la fois drôle et cruel, moins sombre que le Cendrillon de Joël Pommerat, mais tout aussi réflexif avec des récitatifs soulignés par une harpe légère et délicate qui vole la place à un piano forte. Un feu d’artifice rossinien à écouter et à redécouvrir sous la baguette enflammée d’Ottavio Dantone.