La Traviata revisited © Pierre Planchenault

La Traviata revisited : recyclage des émotions verdiennes à Bordeaux

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Après Didon et Enée revisited l’an dernier, l’Académie de l’Opéra de Bordeaux présente en ce début février 2024, en partenariat avec la Ferme de Villefavard, une relecture d’un autre grand classique du répertoire, La Traviata, également confiée à des artistes en début de carrière. Dans la mise en scène d’Eddy Garaudel qui, au carrefour du théâtre et de l’opéra, resserre le drame autour des amants et du père d’Alfredo, Lise Borel réinvente un nouvel accompagnement aux couleurs modales à la ligne de chant verdienne.

Initié par Emmanuel Hondré lors de sa première saison à l’Opéra de Bordeaux, le programme de l’Académie se veut un tremplin pour de jeunes solistes dans une réinvention du répertoire lyrique pour des formes propres à investir des lieux où le genre n’a pas l’habitude d’aller, en particulier hors des métropoles. C’est dans ce sens que s’est noué le partenariat avec le Centre culturel de rencontre de la Ferme de Villefavard, foyer musical à l’histoire riche au cœur du Limousin rural. Après Didon et Enée de Purcell pour l’édition augurale, c’est au tour d’une des icônes lyriques, La Traviata, de passer au tamis de cette approche au carrefour du théâtre et de l’opéra, avec la contrainte, partie intégrante de l’ensemble du projet de l’Académie, de puiser dans le fonds de décors et de costumes de l’Opéra de Bordeaux, selon l’esprit d’une sobriété au diapason des enjeux écologiques contemporains – dans une ville dirigée par Les Verts depuis 2020.

La Traviata revisited © Pierre Planchenault

L’adaptation de l’opéra de Verdi réalisée par Eddy Garaudel glisse quelques échos du roman de Dumas, sans toucher à la linéarité dramaturgique de l’opus lyrique, émondé seulement des tableaux d’ensemble. La fête chez Flore se résume à une brève confrontation entre Violetta et Alfredo : la confrontation de la courtisane avec son reflet dans un grand miroir réfléchissant également la salle reprend un procédé habile certes sans nouveauté, mais qui fait résonner la solitude de l’héroïne au cœur du théâtre d’artifices où son destin est pris, avant une insulte aux billets dans l’allée centrale du parterre, laconique au risque de l’anecdote. L’économie du plateau et des accessoires, réglée par Georgia Tavares – un canapé et un buffet de cocktail derrière une demi-cloison au premier acte, le tombé d’un dais en tulle comme le souvenir d’une intimité de baldaquin au deuxième ou encore le dépouillement de la chambre de Violetta au troisième qui devient tombe sur laquelle sont jetées des roses au moment de l’épilogue, image réinventant la conclusion du roman que John Neumeier avait reprise dans son ballet La Dame aux camélias – ramène à la quintessence des émotions et des situations.

La Traviata revisited © Pierre Planchenault

La réécriture du livret dans la langue d’aujourd’hui, avec une alternance entre chant et dialogues parlés gommant la convention des récits chantés, met à nu les réalités sociales et morales, que le vocabulaire du dix-neuvième siècle étouffe et met parfois à distance, quitte à simplifier certains traits psychologiques. Dans le rôle-titre, Déborah Salazar met ainsi davantage en avant une certaine désinvolture derrière laquelle se cache une fragilité pas toujours exempte de stéréotypes, compensés par la rondeur et la chaleur de son soprano qui portent la sincérité des sentiments, jusque dans l’évanescence du chant dans le parlé. Davide Tuscano livre un Alfredo vibrant, avec une belle clarté juvénile qui n’exclut pas, non sans justesse, les accents gauches de l’amant. Le Germont solide de Yosif Slavov, baryton un peu vert pour l’emploi, aura quant à lui sans doute le temps pour étoffer les nuances de son intonation et de l’autorité du patriarche.

La Traviata revisited © Pierre Planchenault

Confiés à un effectif instrumental – piano, harpe, accordéon et percussions, placé au cœur de la scénographie –, les arrangements de Lise Borel inscrivent la ligne vocale de Verdi, gardée intacte ou presque, dans un halo modal qui fait songer à Debussy et Ravel pour le meilleur de la décantation suggestive, ou à d’autres faiseurs de musique de film, certes talentueux, dans des passages qui remplacent les conventions de l’écriture verdienne par d’autres, lesquelles tendent à les réduire à certains clichés de notre époque. Dans un certain étirement des tempi induit par le procédé, les arpèges de l’accordéon comptent parmi les figures imposées les plus efficaces pour restituer la tension expressive de la partition. Entre fidélité dramatique et expérimentation musicale un peu timide, cette Traviata revisited semble parfois chercher son identité.

Gilles Charlassier

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