Le Couronnement de Poppée mis en scène par Ted Huffman © Frédéric Stéphan

Le Couronnement de Poppée à Toulon, ou le théâtre de la déclamation chantée

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L’Opéra de Toulon présente à la scène nationale Le Liberté, Le Couronnement de Poppée de Monteverdi mis en scène par Ted Huffman, coproduit avec Rennes, Valence et Aix, où le spectacle avait été créé en juillet 2022. Sous la direction très théâtrale de Leonardo Garcia Alarcon, le plateau de jeunes chanteurs se distingue par une déclamation chantée ciselée au plus près des émotions.

Avec les travaux de rénovation de son bâtiment, l’Opéra de Toulon investit diverses salles dans la ville. Pour la mise en scène épurée que Ted Huffman avait proposée à Aix-en-Provence du Couronnement de Poppée de Monteverdi, et présentée en ce mois d’avril 2024 par l’institution varoise qui la coproduit, Le Liberté, scène nationale s’impose comme un écrin idéal, d’apparence moins strictement intimiste peut-être que le Théâtre du Jeu de Paume, mais, par l’inclinaison des gradins de fauteuils, se révèle propice à une écoute au plus près des inflexions de la parole chantée.

Le Couronnement de Poppée mis en scène par Ted Huffman © Frédéric Stéphan

Et c’est bien dans cette veine que s’inscrit Leonardo Garcia Alarcon, qui, dans sa reprise de la partition, accentue encore plus la théâtralité de sa conduite du discours. Si les premières scènes peuvent résonner à certaines oreilles avec une relative sécheresse dans la faconde du verbe, portée par une évidente virtuosité du tempo, les saveurs de Cappella Mediterraea, aux allures de grand continuo, laissent aussi s’épanouir des moments de sensualité languide, à l’exemple de l’ensommeillement de Poppée, et, surtout, accompagnent avec une exceptionnelle vérité expressive le moindre effet rhétorique et affectif de la déclamation. Rarement le recitar cantando a été porté à un tel degré d’accomplissement.

Le Couronnement de Poppée mis en scène par Ted Huffman © Frédéric Stéphan

Aiguillonnés par une telle richesse d’intentions dramatiques, les jeunes solistes donnent le meilleur d’eux-mêmes. Face à la Poppée mutine et non sans luxure de Jasmin Delfs, Nicolo Balducci, lauréat entre autres du Concours Cesti en 2022, affirme, sous les couleurs élégiaques de sa voix de contre-ténor, l’impatience impulsive de Néron – sans céder à une acidité un peu caricaturale que peut suggérer la cruauté du rôle – en contraste complémentaire duquel résonnent les soupirs d’Othon par un Paul Figuier également au diapason de la typologie du personnage. En Octavie, Victoire Brunel fait respirer la soif de vengeance avant une résignation expirée avec un admirable soin des détails dans le souffle. Ossian Huskinson résume l’essentiel de l’autorité bafouée de Sénèque. Joel Williams assume les deux matrones travesties, Arnalta et la nourrice, ainsi que les interventions également comiques de Damigella et celles du premier domestique, aux côtés de Yannis François – par ailleurs licteur – et de Luca Bernard qui endosse aussi les répliques lascives de Lucain et forme avec Sahy Ratia le duo d’ouverture des soldats, où le ténor malgache fait valoir la clarté de son émission, entendue plus tard en Liberto. Laurène Paterno livre une Drusilla frémissante d’amour, après son entrée en Fortune à laquelle s’oppose l’Amour de Juliette Mey, revenant plus tard en valet.

Le Couronnement de Poppée mis en scène par Ted Huffman © Frédéric Stéphan

Quant à la mise en scène, réalisée à Toulon par Maud Morillon, le dépouillement du plateau dessiné par Anna Wörl, sur lequel plane un agrès suspendu mi-blanc mi-noir qui résume la versatilité de la morale à l’épreuve dans cette histoire antique, ramène le foisonnement des péripéties à la quintessence des rivalités amoureuses. Les pendants sur lesquels est conservé le vestiaire d’Astrid Klein constitue l’une des réserves des changements à vue qui souligne l’amorale interchangeabilité des passions humaines dans un Couronnement de Poppée magnifié par les lumières de Bertrand Couderc qui ont sans doute gagné ici leur polissage ultime. Un spectacle conçu au service de la musique et dont s’est plus que jamais emparé Leonardo Garcia Alarcon. Pour le plus grand bonheur du raffinement quasi madrigalesque du chant.

Gilles Charlassier

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