La cathédrale de Laon, site amiral du Festival de Laon dans l’Aisne accueille jusqu’à la mi-octobre grand répertoire, grands solistes et grands orchestres. Retour sur le concert dirigé par Mikko Franck avec le violoncelliste Edgar Moreau.
Les géologues sont parfois des poètes. Pour eux Laon (prononcez Lan) est une « butte témoin ». La butte, c’est évident. Posée sur une montagne plate qui domine d’une centaine de mètres la plaine picarde alentour, Laon est une merveilleuse anomalie. Quant au témoin, c’est sûr, cette butte n’est pas née de la dernière pluie. Elle en a vu de toutes les couleurs. Depuis 60 millions d’années, nous disent encore les géologues, elle a subi successivement les assauts de la mer, des glaces et de l’érosion ordinaire qui l’ont sculptée. Puis les hommes s’avisant que plus on est haut, plus on voit loin et mieux on est protégé, l’ont habitée et décorée. En plein essor gothique, avant même Notre Dame de Paris, une splendide cathédrale vint naturellement remplacer les édifices religieux antérieurs. Laon devint la « montagne couronnée ». Depuis 28 ans, cette montagne est aussi inspirée, un jardin d’altitude pour les muses. Quand s’annonce l’automne, la cathédrale devient l’écrin du « festival musical de Laon dans l’Aisne ». La butte en est toujours témoin.
Pour la musique orchestrale, les édifices religieux ont en général la réputation de n’offrir qu’une acoustique exécrable. Le son y joue naturellement avec la pierre, ses piliers, ses voûtes, ses nefs, ses chapelles. Il tourne, dit-on. Et revient tel un boomerang qui aurait mal supporté le voyage. Résultat : au-delà des premiers rangs, il peut arriver qu’on entende plusieurs fois la même musique, mais différée, déformée, distordue en une pénible bouillie cacophonique.



Or l’autre anomalie laonnoise (prononcez lannoise), c’est que « la Cathédrale de Laon est la seule où l’on puisse faire de la musique sérieuse ! ». Ce n’est pas moi qui le dis. C’est Marek Janowski, qui vint à Laon, un peu par hasard la première fois il y a une vingtaine d’années. L’Orchestre Philharmonique de Radio France qu’il dirigeait alors, cherchait un cadre idéal pour la captation télévisée d’un concert. Il fut tellement séduit par l’acoustique et la magnificence du lieu, sans doute aussi par la qualité de l’accueil, qu’il revint par la suite très régulièrement avec son orchestre. L’habitude fut maintenue par son successeur à la tête du « Philhar », le coréen Myung Whun Chung, qui fit élégamment applaudir la Cathédrale elle-même à la fin d’un concert : « Ici, je n’ai rien à faire, la musique joue toute seule ! » La tradition perdure aujourd’hui et c’est une grande fierté pour Jean-Michel Verneiges, directeur de l’Association pour le Développement des Activités Musicales dans l’Aisne (ADAMA), directeur du Festival et ardent promoteur de toutes les musiques dans son département. « Laon est la seule ville française de moins de 30 000 habitants qui voit se produire régulièrement les orchestres de Radio France », constate-t-il avant d’enfoncer le clou : « Kurt Masur qui a donné ici une « Jeanne au Bûcher » mémorable avait même le projet d’y enregistrer une intégrale des symphonies de Bruckner avec l’Orchestre National de France. C’est dire ! ».
Pour l’heure, c’est Schumann et Malher qui sont au programme en cette belle soirée de septembre à Laon. Le Philhar et son nouveau directeur Mikko Franck ont joué la veille le même programme à la Philharmonie de Paris, la nouvelle salle de la porte de Pantin dont l’acoustique fait précisément l’unanimité depuis son ouverture il y aura bientôt deux ans. Un test donc pour notre vénérable Cathédrale. D’abord le Concerto en La mineur op. 129, l’un des monuments de la littérature pour violoncelle. Le jeune Edgar Moreau, 22 ans, fait preuve de beaucoup de métier déjà. Il exploite au mieux les ressources infinies de son instrument, un David Tecchler de 1710.
Il décline avec bonheur toutes les variations tour à tour rauques ou voluptueuses imaginées par Schumann sur son thème initial. C’est bouleversant, en particulier dans le dialogue de l’Adagio avec le violoncelle solo du Philhar, Eric Levionnois, accompagné en pizzicati par le reste des cordes, un des sommets de l’œuvre et de la musique romantique. « Je retente ici les pianissimi que j’ai testé hier à la Philharmonie de Paris, ça passe ? » nous interpelle Edgar Moreau entre la répétition et le concert. Oui ça passe. Et comment !
Arrivent Gustav Malher et son Titan, sous-titre éloquent de sa première symphonie qu’il retouchera 15 ans durant jusqu’à la version définitive de 1903. C’est une fête pour l’orchestre où Mahler explore une palette inouïe de nuances et de variations pour tous les pupitres dans un patchwork de thèmes hétéroclites tirés de la nature ou du folklore. Une étrangeté dans le troisième mouvement : la ritournelle de Frère Jacques devient une marche funèbre. Un cauchemar dans le quatrième et dernier mouvement : il s’ouvre sur une explosion orchestrale d’apocalypse qui, même si elle s’apaise dans le retour des thèmes initiaux, terrifia tant ses contemporains qu’ils furent nombreux à conseiller à Mahler d’éviter ensuite la composition pour se contenter de la direction d’orchestre. Cruel procès qui, il faut bien le dire, n’a pas complètement disparu plus un siècle plus tard. Ce qui n’empêche pas l’orchestre de se régaler et de nous régaler d’un bout à l’autre de ce défi orchestral. Ah ! Le canon de la marche funèbre. Ah ! La puissance des cors dans le finale… Cet orchestre sait ce que veut dire écouter l’autre pour mieux jouer ensemble.
Mikko Franck, le jeune chef finlandais de 37 ans, aux commandes du Philhar depuis un an, dirige avec tact et mesure. Sa direction est précise et légère. Une main pour la battue (la droite), l’autre pour les nuances (la gauche) : un appel de l’index, un frémissement de la main. Sobriété remarquable. «Je suis le premier auditeur, un passeur, un facilitateur. Mon travail est d’aider les musiciens à transmettre au public l’intention du compositeur. Pas d’égo la dedans. Juste un service.» Une telle profession de foi, traduite en actes tout au long de la soirée, lui vaut à la fin de la soirée d’être aussi chaleureusement applaudi par ses musiciens que par le public. Ceux-là sont décidément faits pour s’entendre et aller loin ensemble, et c’est tant mieux.
Le festival de Laon dans l’Aisne court jusqu’au 16 octobre et pas seulement sur la montagne couronnée. L’auditorium flambant neuf de Soissons, à une trentaine de kilomètres accueille le 7 octobre l’Orchestre National de Lille dirigé par Christian Zacharias dans un programme Schumann, puis le 14, les élèves du Conservatoire National de Paris dirigés par Bruno Mantovani dans un programme Bartok, Stravinski, Boulez.
Courez-y. Car plus on est haut, plus on voit loin… Et mieux on entend.