Nikolaus Harnoncourt nous quittait le 5 mars 2016. Dans l’ouvrage “Le Baiser des Muses”, le journaliste Bertrand Dermoncourt nous transmet le fruit de ses longues discussions avec le maître. Un livre d’autant plus intéressant qu’il propose des témoignages sincères et en partie inédits.
Il faut le signaler, les 128 pages de cet opus sont efficacement orchestrées par l’auteur qui a côtoyé le chef à Zurich, Salzbourg ou Amsterdam. Il regroupe diverses interviews données dans la presse spécialisée et regroupées ici par thématiques.
Au long des pages, Harnoncourt partage son expérience de musicien d’orchestre : de sa place de violoncelliste à l’Orchestre symphonique de Vienne (il fut recruté par Herbert Von Karajan) à son émancipation en tant que chef. Les notes de bas de page viennent utilement compléter, éclairer, voire contredire certaines déclarations du musicien.
Au-delà de ses fameuses interprétations sur instruments d’époques, le fondateur du Concentus Musicus Wien est surtout le héraut d’une interprétation riche de sens, authentique. Sa parole est franche, libre, quitte à égratigner parfois des compositeurs. Exemples : “Pourquoi jouer Salieri quand on connaît son concurrent Mozart ou son élève Schubert ?”. Rossini, Berlioz et Gluck ? Surestimés ! Tout comme le pauvre Lully qui en prend pour son grade… Quant aux orchestres aujourd’hui, “toutes les phalanges tendent à sonner de la même manière” avance-t-il.
Plus constructif, selon lui intuition et connaissance sont indispensables à la pratique de la musique mais “suivre sa seule intuition sans aucune connaissance peut amener à trahir gravement l’oeuvre que l’on souhaite servir”.



Sa discographie prend une large place dans cet ouvrage. Depuis son premier opus des Concertos Brandebourgeois en 1950, le chantre de l’interprétation de la musique ancienne sur instruments anciens comptabilise plus de 500 enregistrements ! Dès ses débuts, le chef souhaite graver des oeuvres hors des sentiers battus. Il rappelle : “dans les années 1950 et 1960, nous pensions que le but d’un disque était de faire connaître des répertoires inconnus”. Et de reconnaître que, plus tard, les maisons de disques se sont souvent entêtées à enregistrer les mêmes oeuvres…
Des contradictions apparaissent cependant, comme avec ce changement de cap au sujet de Verdi. Assurant d’abord ne pas vouloir le jouer – d’après lui les chefs italiens étaient plus enclins à interpréter ce compositeur – il finira par s’y résoudre et à diriger Aida. Un revirement justifié plus tard : “je crois beaucoup plus aujourd’hui au caractère international de la musique occidentale”. On découvre aussi des projets laissés sur le bord du chemin, tel Otello de Verdi.
Précieux, ce livre s’adresse à tous les curieux désireux de cerner les contours de ce personnage qui a poursuivi un même but toute sa vie, “retourner à la partition originale et ne croire personne.”
Le Baiser des Muses, une livre paru chez Actes Sud.