L’Opéra royal du Château de Versailles accueillait les 24, 25 et 26 novembre 2017 “Le Ballet Royal de la Nuit”, inspiré du Grand divertissement royal du 23 février 1653. Initié et conçu par Sébastien Daucé, directeur musical de la formation de musique ancienne, l’Ensemble Correspondances, le spectacle est mis en scène, chorégraphié et scénographié par Francesca Lattuada.
La publication en 2015 du Concert royal de la nuit enregistré par l’Ensemble Correspondances dirigé par Sébastien Daucé a marqué les esprits. Il s’en est fallu de peu que cette publication (chez Harmonia Mundi) ait eu chez certains, une résonance comparable et provoque un choc égal à celui provoqué, en 1987, par les toutes premières représentations “modernes” d'”Athys”. Représentations qui, comme l’on sait, ressuscitèrent le chef d’œuvre de Jean-Baptiste Lully grâce à William Christie, son ensemble les Arts Florissants et le metteur en scène Jean-Marie Villégier et qui firent ressurgir un monde sonore alors inouï, celui de la Tragédie Lyrique.
La publication de ce “Concert royal” s’est en tous cas avérée à la hauteur de l’ambition musicale de Sébastien Daucé, directeur musical des Correspondances : celle de reconstituer musicalement le Grand divertissement royal du 23 février 1653 au cours duquel le jeune Louis XIV âgé de 15 ans, lui-même excellent danseur, a été fêté avec les meilleurs musiciens de son temps, en présence du futur roi d’Angleterre et de la fine fleur de la noblesse française.
L’exceptionnelle réussite de cette reconstitution mêlant musiques de Jean de Cambefort (1605-1661), Isaac de Benserade (1613-1691), Antoine Bosset (1587-1643), Louis Constantin (1697-1779), Michel Lambert (1610-1696), Francesco Cavalli (1602-1676) et Luigi Rossi (1597-1653) appelait d’évidence une transposition visuelle, sinon chorégraphique, de cette nuit royale.
Le spectacle proposé ne pouvait trouver meilleur cadre que le somptueux Opéra royal du Château de Versailles.
Tout en le modifiant à la marge, le Ballet royal de la nuit, créé à Caen le 8 novembre 2017, conserve l’itinéraire musical proposé au disque, constitué de plus ou moins brèves séquences musicales instrumentales et/ou chantées et structuré autour de quatre “Veilles”; tout d’abord “La Nuit”, puis “Vénus & les Grâces” ; suivent “Hercule amoureux” et “Orphée”, ce “Grand divertissement pour le jeune Roi-Soleil” se concluant par un “Grand Ballet : le Soleil”.
Sébastien Daucé précise que “si nous avions sélectionné une partie des danses du “Ballet de la Nuit” pour notre enregistrement de 2015, le spectacle de 2017 les propose toutes.” Il ajoute: “nous avons travaillé de concert avec Francesca Lattuada (Mise en scène et chorégraphie) et Oliver Charpentier (Dessin des costumes) à imaginer comment traduire ce genre au XXIe siècle”, sachant, précise-t-il, que, selon lui, avec le ballet de cour, à la différence de l’opéra, il est nécessaire de “retravailler sur l’œuvre elle-même pour qu’elle puisse porter le même message.”
Le spectacle, sur trois d’heures d’horloge, se déploie sur plusieurs tableaux chantés, dansés, mêlant courses effrénées, chorégraphies diverses, acrobaties, jeux de lumières enveloppés de fumées colorées (” le Sabbat” et autres tableaux…), réinvention du ballet de 1653.
Ce qui nous est proposé est une “nuit royale” réinterprétée avec ses sortilèges et sa part d’obsessions, flamboyantes ou ténébreuses, parfois visuellement sublimes. Un grand bravo aux danseurs et acrobates.
On cherchera donc en vain ne fut-ce qu’une esquisse de danse baroque, le parti-pris de la mise en scène et de la chorégraphie en ayant conçu délibérément l’absence, les apparitions du Jeune Louis relevant plus d’une revue parisienne que du Ballet de Cour.
Nombreuses “séquences” sont particulièrement réussies telles le “Récit de la Nuit”,” le Sabbat”, la magie de l’Aurore qui vient briser le rêve de la Nuit, une “Vénus italienne” merveilleusement chantée (Lucile Richardot), et d’autres scènes comme “Deux Zéphyrs et un ruisseau”… dans le dépouillement et l’onirisme.



Les véritables champions de la soirée sont d’une part le chœur sublime des Correspondances d’une homogénéité stupéfiante et d’autre part l’orchestre et son chef. Ils font merveille dans l’interprétation de ces musiques si diverses et pourtant si proches (de Cambefort à Luigi Rossi) transformées en une seule trame sonore grâce à la reconstitution musicale minutieusement réalisée par Sébastien Daucé. Dans sa fosse éclairée et peu profonde, donc visible de tous, l’orchestre est au centre du théâtre, cœur palpitant de cette nuit royale. Il associe à son triomphe celui des voix de Lucile Richardot (La Nuit ,Vénus) d’Ilektra Platiopoulou (Junon), d’Etienne Bazola (le Sommeil), de David Cornillot (Endymion), et enfin de Renaud Bres (Hercule), sans oublier Nicolas Brooymans (Grand Sacrificateur).