Samedi 14 septembre, nous avons assisté à la première de Mme Butterfly de Giacomo Puccini à l’Opéra Bastille. Ce chef-d’œuvre du répertoire opératique est présenté dans une mise en scène de Robert Wilson, interprétée par l’orchestre de l’Opéra national de Paris sous la direction de Giacomo Sagripanti.
Une jeune geisha de quinze ans épouse F. B. Pinkerton, un lieutenant de la US Navy. Son amour éperdu pour ce bel américain et pour tout l’Occident qu’il représente l’éblouit, si bien qu’elle renie sa famille et sa culture. Au deuxième acte, trois ans ont passé depuis que Pinkerton est reparti en Amérique. Cio-Cio-San l’attend toujours, avec leur fils. Quand elle comprend qu’il a refait sa vie aux Etats-Unis, elle se voit contrainte de confier l’enfant à la nouvelle femme de son amour perdu, et de se donner la mort pour sauver son honneur. Cette jeunesse fragile, Ana María Martínez l’interprète avec grâce et finesse. Sa voix d’une légèreté déconcertante incarne à la perfection ce personnage d’une jeunesse inconsciente et s’inspire même des métaphores qui la définissent, comme celle du papillon. Dans ce monde poétisé, l’emprunte japonaise prend une large part.



Une mise en scène épurée
Le théâtre nô est une inspiration esthétique avouée par le metteur en scène Robert Wilson pour cette production dont les prises de liberté regardent vers l’épuration, la clarté et la construction lisse. Cette référence est exploitée sans artifices, pensée entre un minimalisme moderne et la mise en scène de traditions rigoureuses. La perception de l’espace comme une possibilité scénique irréductible, mais aussi l’appropriation des costumes dont seuls les plis sont conservés au détriment de leurs abondants imprimés traditionnels, nous plongent dans une atemporalité travaillée. Cet hors-temps n’est autre que celui du rituel, un temps suspendu et concentré. Les mouvements y sont stylisés et accompagnent les émotions des personnages, à l’image d’une pantomime. Par ses mouvements, Cio-Cio-San est ramenée à son irrémédiable condition de marionnette, d’autant plus tragique qu’elle en manie ses propres fils. Son fils semble pourtant libéré de cette emprise et grandit, statuaire, dans des positions arrêtées qui ne sont pas celles de sa mère. A cet endroit, l’interprète fait preuve d’une remarquable maîtrise et d’une conscience scénique impressionnante pour son jeune âge.
Mouvements hiératiques
Dans ce monde désincarné et immatériel, la passion de Cio-Cio-San pour l’américain Pinkerton se fait une place encore plus cruelle. Figée dans une attente incertaine pendant trois ans, sa souffrance est appuyée par la mise en place d’un temps dilaté et d’un espace infini. Sans être vide, la scène semble illimitée et rien n’obstrue le regard du spectateur qui se perd au loin. Lorsque Robert Wilson veut le capter, une poursuite irradie de façon métonymique un visage, une main, un bras tendu. Au-devant de cet horizon d’ombres aux mouvements hiératiques et anguleux, des lignes se dessinent à contre-jour. La lumière nait d’un écran souvent dégradé, parfois monochrome, inconditionnellement bleu.



Ainsi, ascétisme et minimalisme s’accordent dans une démarche de purification des formes et une dualité de couleurs. Au blanc matrimonial du premier acte se substitue le noir du désespoir amoureux. Sans le savoir, la jeune fille porte les couleurs de son propre deuil, prédit sa propre fin et par sa robe, et par ses dires. Le « papillon percé d’une épingle et fixé sur une planche » n’est autre qu’elle-même, et tous, sinon elle, en sont conscients. Deux personnages accompagnent l’héroïne vers sa fin tragique. Marie-Nicole Lemieux en superbe Suzuki incarne la servante, fidèle et maternante, puissante et tendre. A ses côtés et pourtant ennemi, Laurent Naouri en consul américain est grave et profond. Par son humanité vibrante et une voix sans surplus, il conseille, juge et plaint le drame dont il est témoin, avec une sobriété remarquable.
Chanteurs et musiciens érigent avec soin les arrêts sur image de cette mise en œuvre collective. D’un merveilleux raffinement et d’une précision cristalline, l’orchestre de l’Opéra national de Paris laisse s’épanouir aussi bien les sonorités les plus ténues que les emphases puissantes. A sa tête, Giacomo Sagripanti conduit intensément et avec une grande sensibilité cet opéra pour un concert d’une irréprochable qualité.