La Philharmonie proposait un programme Schumann, Liszt, et Chostakovitch jeudi 19 septembre, défendu par l’Orchestre de Paris dirigé par l’américain Robert Trevino et le pianiste Evgeny Kissin dans le Concerto pour piano n°2 de Liszt. Pour son premier concert dans cette salle Kissin n’a pas déçu les amateurs de virtuosité même si son approche du Concerto aurait demandé un peu plus d’emphase.
Schumann composa l’Ouverture de Genoveva – première œuvre du concert – avant même l’écriture du livret confiée à Robert Reinick. Cette pièce s’est finalement émancipée de l’opéra lui-même au point qu’elle fut jouée davantage !
À une entrée en matière dominée par des cordes légères instaurant un décor plutôt austère, succède une séquence animée, puis beaucoup plus vigoureuse, mais finalement peu transcendante. Là n’était pas l’essentiel de la soirée.
La suite du programme était copieuse. Alors que le pianiste russe Evgeny Kissin avait fait sa rentrée en 2018 avec l’Orchestre national de France sous la direction d’Emmanuel Krivine dans le Concerto n°1 de Liszt, ce soir, le musicien prodige s’affiche dans le Concerto n°2 en la majeur. Une prestation très attendue à constater le fort remplissage de la Philharmonie deux soirs consécutifs. D’ailleurs, des applaudissements nourris saluent son entrée en scène alors que l’on ressent une légère crispation dans son attitude.



Le Concerto n°2 tend clairement vers le poème symphonique et contraint donc le soliste à ne pas rester au premier plan. Clarinettes et hautbois annoncent un thème qui sera prétexte à d’infinies variations avant d’être rejoints par le piano dans une suave cohabitation. Kissin commencera par imposer son empreinte dès ce premier mouvement Adagio sostenuto assai où ses doigts tombent sur les touches comme des couperets affûtés, puis des accords très marqués fusionnent avec l’orchestre dans un jeu endiablé, avant un redoutable accelerando, dialogue frénétique qui s’achèvera sur des avalanches d’octaves. Le parti pris est clair, Evgeny Kissin livre un Liszt virtuose mais sans emphase, sans vernis, sculptant cette partition avec force et dominant souvent l’orchestre par sa personnalité, au point de le reléguer régulièrement à l’arrière-plan. À cela s’ajoute un regard, un visage – comme transformés par le souffle mystique de la partition – qui magnétisent l’attention du public.
Après ce déferlement, une simple cadence aux arpèges fragiles nous fait basculer dans un Allegro moderato de velours. Soulignons à ce moment-là le violoncelle d’Eric Picard incarnant la mélodie avec éloquence dans un court instant de grâce tandis que le piano tient le rôle d’accompagnement. Le vif Allegro deciso précède une marche triomphale sonnée par des cuivres aux côtés d’un Kissin toujours très présent. Cette avant-dernière séquence laissera la place à un Allegro animato éclatant.



Le pianiste russe transformera les bis en récital de poche. Pas moins de 3 oeuvres : une fiévreuse interprétation de la transcription du lied Widmung (Dédicace) de Schumann, par Liszt, et deux valses de Chopin, l’opus 64 n°2, d’un délicat raffinement, et la fameuse n°1, “Valse du petit chien”. Le public admire le pianiste à l’oeuvre, qui semble beaucoup plus à l’aise à l’issue de cette prestation en solo.
La Symphonie n°11 en sol mineur op.103 “L’année 1905”, de Chostakovitch allait laisser toute latitude à la puissance et à l’excellence de l’Orchestre de Paris sous la baguette – franche et directive – de Robert Trevino. Une oeuvre colossale de presqu’une heure, rivalisant en longueur avec la Quatrième. Une « musique à programme » en mémoire du Dimanche rouge qui vit la répression d’une manifestation pacifiste par les gardes du tsar. Chostakovitch puise dans les mélodies populaires et révolutionnaires, mais comment prendre à bras-le-corps un tel opus, symbole de tant d’événements tirés de la mémoire russe ?
Plutôt réussi, l’Adagio lancinant rendu par des cordes scintillantes et diaphanes plante le décor de “La Place du Palais” où va avoir lieu la répression de la manifestation. Le chef s’efforce ensuite de mettre en ordre de marche les pupitres, d’insuffler les attaques avec vigueur et rigueur, mais peut-être sans une vision transcendante propice à faire sourdre les traumatismes de l’Histoire. La puissance orchestrale atteindra son armée à plusieurs reprises jusqu’au coup de Tocsin final qui trouvera son évanouissement dans l’acoustique de la Philharmonie.