Eric-Emmanuel Schmitt donne “Madame Pylinska et le secret de Chopin” jusqu’au 29 septembre à Paris. Un tendre récit autobiographique où la dérision côtoie la virtuosité musicale grâce au pianiste Nicolas Stavy.
Sur la petite scène du théâtre Rive-Gauche, côté cour, Eric-Emmanuel Schmitt est assis derrière un bureau éclairé tandis que le reste de la scène est plongé dans le noir. Le monologue d’une durée de deux heures débute : “Dans la maison de mon enfance vivait un intrus”. L’intrus, c’est un piano droit Schiedmayer, symbolisé par le Steinway installé côté jardin et tenu par Nicolas Stavy.
Une “épiphanie”
La pièce autobiographique est directement inspirée du livre éponyme paru chez Albin Michel. Schmitt nous raconte qu’il fut d’abord rebuté par l’instrument avant d’en tomber amoureux à neuf ans lorsque sa tante Aimée vint jouer une pièce de Chopin sur le fameux piano. Selon ses mots ce fut une “épiphanie”. (Notons que ce n’est pas la première fois qu’il vit ce type d’expérience, l’auteur affirme avoir reçu la foi lors d’une “nuit de feu” en février 1989 en Algérie). Démarre alors l’envie irrépressible de jouer ce compositeur.
Après l’échec d’une première tentative d’apprentissage, Schmitt fait appel à Madame Pylinska, une professeure polonaise pour le moins excentrique. Là, débute réellement la quête du “secret” de Chopin au moyen d’un piano qui prend parfois les allures d’une madeleine de Proust, à la recherche d’un temps perdu, celui des premières sensations musicales éprouvées avec sa tante.



Schmitt, une épaisse étole en autruche autour du cou, campe le personnage féminin de façon convaincante. Un accent autoritaire et un ton professoral, alliés à une ironie pouvant tourner au sarcasme, rendent cette Pylinska irrésistible.
Le premier cours, et le voyage initiatique, commencent d’ailleurs par une injonction atypique : “Couchez-vous sous le piano”, en écho à ce qu’a expérimenté le jeune Chopin dans le but de ressentir les vibrations de l’instrument. Puis, entre chaque leçon, au lieu de proposer un travail technique, sa rocambolesque professeure lui demande d’aller cueillir les fleurs au parc du Luxembourg sans faire tomber la rosée, d’écouter le silence, de faire des ronds dans l’eau pour observer les ondes, ou de regarder les effets du vent dans les arbres… Une méthode aux antipodes des formations académiques !
Décès d’Alfred Cortot
On se laisse prendre facilement au jeu du dialogue entre l’écrivain et sa professeure. Par exemple, lorsque Madame Pylinska fait part du décès d’Alfred Cortot (auquel répond la mine incrédule de Schmitt), la salle éclate de rire en apprenant qu’il s’agit seulement d’un chat…
Un bémol cependant, le gimmick “charité chrétienne” – utilisé à chaque fois qu’elle préfère se taire au lieu de lancer une remarque acerbe – revient un peu trop régulièrement et peut finir par lasser.
Les leçons de piano tournent à l’éducation sentimentale lorsque la professeure conseille à son élève de “faire l’amour avec quelqu’un” avant la prochaine séance et fournit d’autres recommandations censées favoriser l’abandon à la musique… jusqu’au jour où Schmitt rencontre véritablement l’amour.



Côté décor, des partitions parsèment le plafond et un fauteuil installé devant un paravent trône entre les deux protagonistes. Pour tout effet spécial on notera une simple ampoule qui descend et remonte au-dessus du Steinway symbolisant une araignée mue par la musique de Chopin. La mise en scène minimaliste signée Pascal Faber favorise une écoute attentive du texte et de la musique.
De la musique… à l’écriture
En contrepoint, le pianiste Nicolas Stavy (Prix Spécial au Concours Chopin à Varsovie en 2000) tient le rôle discret d’accompagnateur du récit au moyen d’extraits musicaux, mais aussi celui de soliste. On ne boude pas notre plaisir d’entendre une interprétation soignée de pièces intégrales telles que le Nocturne, opus 9, n° 1, le Prélude opus 28, n° 1, le Prélude opus 28, n° 7, la Ballade n°1, opus 23, ou le Prélude opus 28, n°20.
Bien sûr, il n’est pas seulement question de Chopin dans cette pièce. L’originale Madame Pylinska évoque Bach, Beethoven, Schubert ou Liszt lors de ses cours mais seul le franco-polonais semble trouver grâce à ses yeux : “Je suis monothéiste. Je n’aime qu’un compositeur : Chopin”. Ce qui a le mérite d’être clair.
L’amateur de musique classique ne trouvera pas dans ce spectacle une analyse musicologique révélant des secrets de composition ou d’interprétation mais plutôt une traduction de l’expérience sensorielle d’Eric-Emmanuel Schmitt face à Chopin. Cependant, un autre but se profile au fil de l’histoire. Tout en parlant de musique et d’amour, Schmitt nous amène habilement sur le terrain de l’écriture car on comprend que sa quête du « secret » de Chopin lui aura finalement servi à trouver les ressources essentielles à son travail d’auteur…
A voir au Théâtre Rive-Gauche jusqu’au 29 septembre.