Un concert à Versailles, ça a toujours quelque chose de spécial. Il faudrait être particulièrement blasé pour ne pas ressentir un minimum d’excitation en traversant les grilles du château. Les visiteurs du jour sont déjà presque tous repartis, les spectateurs du soir pas encore tous arrivés. Pendant quelques instants, nous sommes peu nombreux à déambuler dans la cour, à admirer un monument dont la splendeur ne lasse jamais. Mais l’heure avance et il est temps de rentrer dans la Chapelle Royale où a lieu le concert de ce soir.
Sur le papier, c’est la seconde partie du programme qui constitue le principal intérêt de ce concert. On y donne la « Messe de Méhul » composée, comme son nom ne l’indique pas, par Franz Xaver Kleinheinz. En fait, la paternité de cette messe en la bémol majeur, dite « du Sacre de Napoléon », n’a été déterminée que très récemment. Attribuée à Étienne-Nicolas Méhul pendant pratiquement deux siècles, on sait qu’elle n’a pas été jouée pour le couronnement de Napoléon de 1804. En 2016, à l’initiative du Palazzetto Bru Zane, l’œuvre est programmée pour une série de concerts, dont celui auquel nous nous rendons ce soir. Quelques semaines avant le début de la tournée, des documents inédits ressurgissent, qui provoquent l’émoi parmi les musicologues du monde entier. La messe de Méhul ne serait pas de Méhul ! C’est la musicologue Rita Steblin qui identifie l’auteur le plus probable de cet ouvrage sacré (genre par ailleurs absent du reste des compositions de Méhul) : il s’agit donc du Kapellmeister autrichien Franz Xaver Kleinheinz. Pourquoi une telle méprise ? Était-elle volontaire ? S’agit-il d’une blague ou d’une erreur ? Tout cela reste encore à déterminer…

Les notes de programmes – très complètes, et très bien faites – nous invitent à une écoute attentive et soulignent les couleurs parfois mozartiennes, telle ou telle modulation surprenante, des détails d’orchestration… On suit cette œuvre avec intérêt, avec l’oreille de la « première fois ». Est-ce l’effet de l’excitation, du sentiment d’assister à quelque chose d’historique ? En tout cas le public frémit. À la fin du concert, il est tout simplement conquis. Il faut dire que c’est magnifiquement dirigé et superbement chanté. On pourra s’étonner de la prononciation latine retenue, avec ces « u » prononcés à la française qui sonnent bien étrangement à notre oreille. Mais les Chœurs de la Radio Flamande et les quatre solistes de ce soir sont tous remarquables. La voix de Caroline Meng peine un peu à émerger dans les tutti, couverte par celle de ses collègues. Mais on découvre dans ses trop rares solos, un timbre chaud et enveloppant absolument superbe. On a également hâte de réentendre le baryton Tomislav Lavoie pour La Reine de Chypre (Halévy) qui aura lieu en juin prochain au Théâtre des Champs-Élysées (dans le rôle du héraut).
Avouons-le tout de même : c’est finalement la première partie de ce concert qui nous transporte le plus. Elle s’ouvre par deux ouvertures de Méhul (le vrai cette fois) : La Chasse du Jeune Henri et Les Amazones, toutes deux virtuoses et captivantes. Puis vient la 5e symphonie de Beethoven, œuvre célèbre entre toutes, étonnamment insérée au milieu de ces ouvrages plus rarement joués. Et pourtant c’est comme si on l’entendait pour la toute première fois. Sans attendre la fin des applaudissements saluant son arrivée, François-Xavier Roth attaque précipitamment la symphonie. Le ton est donné : il nous attrape violemment par le col, nous projette contre le mur et ne nous laisse aucun silence, ni aucun point d’orgue pour nous laisser le temps de retomber sur le sol. « Ainsi frappe le destin à la porte » ! En effet, ça frappe, ça explose, ça percute, ça tourbillonne… Conduite à tempo extrêmement vif – y compris dans l’Andante con moto – cette symphonie se fait brutale, haletante, presque suffocante. Une demi-heure plus tard, on sort lessivés de cette course à l’abîme. Lessivés, mais ravis !