Otages © Jean-Louis Fernandez

Otages, une création aux confins du théâtre musical

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Troisième spectacle de l’édition 2024 du Festival de printemps de l’Opéra de Lyon intitulé « Rebattre les cartes », la création d’Otages de Sebastian Rivas, présentée au Théâtre de la Croix-Rousse, adapte une pièce homonyme de Nina Bouraoui. Dans la mise en scène de Richard Brunel, Nicola Beller Carbone fait du récit de Sylvie Meyer en forme de flash-back, le centre de gravité d’un spectacle lyrique qui assume l’hybridation du théâtre musical.

A la tête du centre national de création musicale de Lyon, le Grame, Sebastian Rivas propose, dans le cadre de l’édition 2024 de la Biennale des musiques exploratoires, la création de sa nouvelle œuvre scénique. Adaptant la pièce homonyme de Nina Bouraoui, Otages fait le portrait d’une femme, Sylvie Meyer, qui a séquestré son patron avec un couteau, après des années de harcèlement, fragilisée par son divorce qui a fait basculer sa vie. Conçue à la manière d’un monologue mélodramatique où les interventions masculines – l’époux, le patron –, dévolues à Ivan Ludlow, s’inscrivent dans une récapitulation psychologique des faits où colludent les souvenirs et les intentions.

Otages © Jean-Louis Fernandez

Placé en fond de scène, derrière le dispositif scénographique – dessiné par Stephan Zimmerli – aux allures de bureaux de plexiglas où, comme les espaces dans la tête de l’héroïne, se confondent vies privée et professionnelle, l’ensemble, entièrement féminin, des neuf pupitres dirigés par la cheffe argentine Rut Schereiner déploie une partition plus proche du tamis sonore que de la dialectique orchestrale traditionnelle à l’opéra. Des éléments bruitistes se mêlent à une texture instrumentale souvent feutrée, comme une tension menaçante, avec un effet de suspens quasi cinématographique. La partie musicale se fait composante d’un arrière-plan narratif qui intègre également les vidéos de Yann Philippe et les lumières de Laurent Castaingt.

Otages © Jean-Louis Fernandez

Car ce tissage fonctionne d’abord comme un support à la performance de Nicola Beller-Carbone. Le léger accent allophone de la soprano allemande éclaire avec une justesse opportune l’étrange familiarité où se meut l’univers mental de la protagoniste, dont les lacis et les replis sont révélés par la subtilité d’un flux vocal alternant parlé et chanté au gré des émotions, et magnifié avec une remarquable précision expressive. Si le procédé n’a désormais rien de révolutionnaire dans le paysage opératique contemporain, il retranscrit ici avec une sorte de naturalisme psychologique le trouble, sinon la détresse, d’une femme prise en otage de sa destinée – à rebours de la jouissance gratuite de l’artifice esthétique.

Otages © Jean-Louis Fernandez

Confiée à Richard Brunel, la mise en scène de cette forme explorant un avatar de théâtre musical qui conserve de l’opéra la transsubstantiation des mots par le travail de la matière sonore, accompagne la porosité de ce (presque) seule en scène entre l’intérieur et l’extérieur, entre le soi et le contexte, traduisant l’emprise avec laquelle se débat Sylvie Meyer. Dans ce parcours qui tient d’abord de la remémoration, où les images vidéos et la présence théâtrale forment une sorte de continuum hétérogène, reflété par l’écriture de Sebastian Rivas, l’issue policière, avec le couteau comme pièce à conviction, est renvoyée vers une anecdote d’épilogue. Décevant sans doute les attentes plus spécifiquement lyriques, le spectacle se met d’abord au service de la vérité d’une incarnation qui dépasse les clivages réalistes pour mieux le public, dans un retour à l’expérience théâtrale comme élucidation du monde par la tension entre distance et compassion.

Gilles Charlassier

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