Conversation avec Alessandro De Marchi, directeur artistique du Innsbrucker Festwochen der Alten Musik.
Le festival d’Innsbruck est le plus ancien festival de musique ancienne encore actif. Quels sont les atouts de cette manifestation ?
Depuis 40 ans, le festival d’Innsbruck, qui met à l’honneur la musique ancienne et baroque, se caractérise par la recherche musicale sur instruments anciens. Si c’est courant aujourd’hui, dans les années 70, c’était quelque chose de très audacieux !
Le festival commence en juillet avec quatre concerts qui ont lieu dans la Salle Espagnole du Château d’Ambras, une magnifique salle Renaissance avec des fresques. C’est une sorte d’entrée qui introduit le plat principal : le festival du mois d’août, qui comprend plusieurs productions d’opéra, dont une au Landestheater que je dirige, une en version semi-scénique au Château et une avec les jeunes chanteurs de l’Opéra-Studio.
Il y a également plusieurs activités collatérales, comme la fête Renaissance dans le parc du château, le DJ baroque, les journées portes ouvertes au Landestheater, les rencontres avec les artistes, les conférences, les présentations de disques, les concerts à la montagne et les opéras en plein air sur grand écran.
Vous avez parlé de l’Opéra Studio, de quoi s’agit-il?
Il s’agit d’un projet lié au concours Cesti [dédié au compositeur italien Pietro Antonio Cesti, ndr.], un concours de chant baroque au jury international et prestigieux, qui cette année sera présidé par Sébastien F. Schwartz.
Tous les ans nous recevons plus d’une centaine de candidatures ; seulement une dizaine de chanteurs seront sélectionnés et auront aussi l’opportunité d’intégrer l’Opéra Studio l’année suivante.
La devise de cette édition est « Stylus Phantasticus », un style qui met l’accent sur l’improvisation…
Il s’agit d’un style né en Allemagne, dont Bieber, Buxtehude et Pachelbel sont les représentants les plus célèbres, qui se rend de plus en plus indépendant des règles du contrepoint et de l’harmonie et privilège la liberté d’improvisation. Cette façon d’interpréter la musique, fondamentale dans la musique ancienne, devient le trait d’union idéal entre la musique classique et d’autres genres, comme le jazz.
Nos concerts « Open Mind » sont tout à fait dans cet esprit : la musique s’ouvre à d’autres musiques tout comme à d’autres arts, comme la littérature… Cette année nous avons invité le pianiste italien Stefano Bollani qui proposera un programme mélangeant le jazz à Didon et Enée.
Vous vous intéressez à d’autres genres mais aussi à d’autres répertoires : l’année dernière vous avez dirigé Narciso de Domenico Scarlatti et cette année vous proposez Germanico in Germania de Nicola Antonio Porpora.
Porpora fut un brillant compositeur et le meilleur professeur de chant de son époque, qui forma, entre autres, Farinelli, Caffarelli et Porporino, et écrivit de la musique sur mesure pour leurs voix.
Je pense que nous sommes dans une bonne conjoncture pour ce type d’opéra, car c’est un genre que le public apprécie, comme on le voit avec des artistes comme Cecilia Bartoli, Franco Fagioli et Philippe Jaroussky.
Cette année vous dirigerez également une autre œuvre rare, le Don Trastullo de Niccolò Jommelli.
Oui, ce sera au Château d’Ambras dans une version semi-scénique.
Je suis passionné par le œuvres à redécouvrir, tout comme j’aime bien trouver des interprétations particulières d’opéras déjà au répertoire. Par exemple il y a deux ans nous avons fait la Clémence de Titus dans une version début XIXe, avec des coupures, des interpolations et des airs d’autres compositeurs. Pour nous c’est une nouvelle vision de l’opéra, qui permet également des débats intéressants.
Comment sélectionnez-vous les artistes ?
J’essaye d’inviter des artistes différents tout en choisissant les meilleurs : cette année il y aura, entre autres, Pablo Heras-Casado avec son ensemble, Patrick Cohën-Akenine pour la production d’Opéra Studio, Jerôme Lejeune avec Sandrine Piau, Roberta Invernizzi et le Arnold Schönberg Chor.
Pour moi il est important de travailler avec des artistes qui ont une approche stylistique consciente, basée sur des connaissances historiques profondes mais qui savent aussi faire vivre la musique, pas d’une manière muséale mais libre et vibrante.
Vous avez un lien très fort avec la ville d’Innsbruck…
Nous essayons de mettre en valeur le patrimoine historique de la ville, en faisant des concerts non seulement au Château d’Ambras et au Landestheater, mais aussi dans la Riesensaal de la Hofburg (ancienne résidence impériale), dans la Cathédrale Saint-Jacques, dans les abbayes de Stams et de Wilten et dans les églises anciennes. Le public vient aussi pour visiter ces lieux et pour profiter de l’atmosphère.
Quel est donc ce public ?
70 % du public, dont beaucoup de jeunes, viennent de la ville et de la région, mais il y a également des étrangers, d’Allemagne, d’Italie, de France, de Russie, de Pologne et même du Japon !
Le pourcentage de billets vendus est très élevé et certains concerts sont déjà complets.
Quels dont vos objectifs ?
Nous souhaitons conserver une certaine tradition du festival tout en cherchant à innover et à varier les artistes.
Notre ambition est de devenir le “Bayreuth de la musique ancienne”, notamment auprès du public étranger et surtout français. D’autant plus que cette année verra l’opéra français à l’honneur, grâce à une collaboration avec le Centre de Musique Baroque de Versailles !
En quoi consiste cette collaboration ?
Pour la production d’Armide de Lully, le Centre de Musique Baroque de Versailles nous fournira des instruments et des costumes, mais également de très précieuses compétences : Benoît Dratwicki sera coach pour l’ancien français et Patrick Cohën-Akenine assurera la direction. Le public français ne sera pas déçu !