L’orchestre de l’Opéra national de Paris dirigé par Philippe Jordan, a proposé de découvrir l’Anneau du Nibelung de Wagner en une seule soirée, avec la complicité de la soprano Anja Kampe.
Quelle curieuse expérience que ce concert autour d’extraits symphoniques de la Tétralogie de Wagner.
Plus qu’à une série de « morceaux choisis », c’est véritablement à un Ring en accéléré que nous convient Philippe Jordan et l’orchestre de l’Opéra de Paris. Deux heures seulement ! Deux heures pour traverser quatre opéras dont on a extrait les passages purement orchestraux ; deux heures pour monter au Walhalla, s’enfoncer dans les profondeurs du Nibelheim et nager dans les eaux du Rhin ; deux heures de l’Anneau du Nibelung sans paroles… Enfin, presque, puisque nous aurons droit malgré tout à la scène d’immolation de Brünnhilde, qui conclut à la fois Götterdämmerung et la Tétralogie dans son ensemble.
Par bonheur, les extraits choisis sont joués dans l’ordre où ils apparaissent dans l’œuvre et sont, pour la plupart, enchaînés les uns aux autres sans interruption. Cela nécessite bien quelques aménagements musicaux, comme celui de confier quelques lignes vocales à des solistes (notamment les Filles du Rhin « chantées » par les bois), mais les transitions fonctionnent bien et ne laissent pas de « coutures apparentes ».
La proposition musicale est donc intéressante, mais osons dire un peu déroutante ! Pour qui connaît bien le cycle complet, c’est comme s’il manquait constamment quelque chose (les passages non retenus, les voix…). On y retrouve la couleur du Ring, mais pas vraiment la saveur. Il faut dire que Wagner ne se prête pas facilement à une exécution morcelée. Et a-t-on réellement une idée de ce qu’est le théâtre wagnérien après un assemblage d’interludes, aussi beaux soient-ils ?
Mais ignorons un instant les puristes. Acceptons le principe de base de ce concert. Si l’idée de faire découvrir L’anneau du Nibelung de manière plus digeste que l’intégrale de 15 heures est intéressante, la mayonnaise wagnérienne ne prend pas, principalement à cause du volume sonore excessif et déséquilibré de l’orchestre. Le splendide prélude de Rheingold démarre bien trop fort, et prive l’éveil du Rhin de l’ampleur qu’on attend dans ce long crescendo. De même, la Chevauchée est plus bruyante qu’haletante.
La principale victime de cet excès de décibels est assurément Anja Kampe, pratiquement inaudible durant l’Immolation, tant elle est couverte par l’orchestre. Quel dommage de la part d’une artiste par ailleurs remarquable, y compris dans ce répertoire où elle a été une formidable Sieglinde et une touchante Isolde.
Cependant, il y a eu de très estimables moments, comme ces délicats Murmures de la forêt de Siegfried, qui ont su mettre agréablement en valeur les interventions impeccables des bois, ou la tragique Trauermusik accompagnant la mort de Siegfried, où tant de leitmotive de Siegfried et Götterdämmerung convergent et se superposent, ou encore cette Entrée des Dieux au Walhalla qui conclut si solennellement das Rheingold. Philippe Jordan, qui a dirigé sans partition, maîtrise son Wagner, sait mettre en valeur le tissu de motifs de cette musique et en souligner des détails inattendus.
Si j’avoue être sorti de ce concert, pourtant si alléchant et prometteur, en pensant « quel dommage ! », mes oreilles indiscrètes n’ont pu s’empêcher d’entendre des conversations de spectateurs quittant la salle. Découvrant manifestement le Ring pour la première fois, emballés par cette bande-annonce quasi-muette, certains ont affirmé «Ça m’a donné envie d’écouter le cycle en entier ! ». C’est peut-être le principal après tout, non ?
Anja Kampe, soprano
Orchestre de l’Opéra national de Paris
Direction musicale – Philippe Jordan
Programme :
Richard Wagner
Das Rheingold (l’Or du Rhin) : Prélude, Interludes, Entrée des dieux au Walhalla
Die Walküre (la Walkyrie) : Chevauchée des Walkyries, Incantation du feu
Siegfried : Murmures de la forêt
Götterdämmerung (le Crépuscule des dieux) : Voyage de Siegfried sur le Rhin, Marche funèbre de Siegfried, Immolation de Brünnhilde