Gabriel Sivak est un compositeur et pianiste franco-argentin, qui a étudié avec Édith Canat de Chizy, Éric Tanguy et Philippe Leroux. Il a reçu de nombreux prix et distinctions pour sa musique, dont le Prix d’encouragement aux jeunes compositeurs de l’Institut de France / Académie des Beaux Arts et est lauréat de la Fondation Banque Populaire depuis 2017.
Nous l’avons rencontré à l’occasion de la création de Rivière d’encre, une installation pour laquelle il a collaboré avec l’historien Serge Gruzinski, le vidéaste Gaston Igounet et le luthier Benoît Poulain et qui sera accueillie à la Sorbonne du 15 novembre au 14 décembre 2018, dans le Campus Pierre et Marie Curie dans la Bibliothèque de Biologie-Chimie-Physique recherche.
Vous venez de réaliser Rivière d’encre, une installation qui sera exposée à la Sorbonne à partir du 15 novembre prochain. Pourriez-vous nous en raconter la genèse ?
Rivière d’encre est un projet qui fait le lien entre les machines de l’imprimerie et le numérique à travers une installation mêlant sons électroniques, images en mouvement et machines.
On retrace la genèse de l’imprimerie de Johannes Gutenberg jusqu’à l’arrivée du numérique, puis on met en avant les conséquences de ces révolutions sur l’art, l’homme et la société dans son ensemble. L’installation, qui dure 30 minutes, a aussi un caractère documentaire, car elle contient l’interview de l’historien Serge Gruzinski, que j’ai interrogé autour du développement de l’imprimerie et d’internet.
Pourquoi avez vous choisi ce sujet si particulier ?
Je m’y suis intéressé car mon grand-père maternel avait une imprimerie dans le sud de l’Espagne et j’ai vu cette recherche comme un moyen de m’approcher de cet homme, que je n’ai malheureusement pas connu, car il était décédé avant ma naissance. Curieusement cette recherche m’a aidé a mieux comprendre notre temps.
Comment avez-vous “capturé” ce sujet en musique ?
Je me suis rendu à la Maison de l’imprimerie à Rebais où j’ai enregistré le bruit des machines en mouvement. J’ai ensuite retravaillé cette matière sonore en studio en essayant de rendre le son tantôt abstrait tantôt concret.
Cette musique électroacoustique interagit avec les machines de l’installation construites par le luthier Benoît Poulain et des vidéos où, comme dans la musique, l’abstrait cohabite avec le concret.
On y retrouve la réflexion de Serge Gruzinski sur l’imprimerie et internet en tant que leitmotiv, s’alternant aux concepts visuels imaginés par Gaston Igounet sur la base d’images d’archives, évoquant les matériaux de l’époque, des caractères typographiques aux vieilles machines elles-mêmes.
Quels sont les sujets abordés par cette œuvre ?
Elle s’interroge autour de sujets tels que le développement du capitalisme dans sa forme la plus extrême, avec le contrôle d’internet afin de limiter les libertés, mais aborde aussi la question des informations circulant sur la toile.
Cette immense quantité d’informations est donc une arme au double tranchant car tout n’est pas forcement accessible à tout le monde car leur décodage nécessite des bases culturelles et un esprit analytique. Et beaucoup de choses peuvent nous échapper tout de même, car il y a aussi la barrière de la langue.
Pourquoi avez-vous choisi de créer une installation ?
Comme la plupart de mon travail se fait avec des instrumentistes, j’ai cherché un format différent, plus souple et libre des contraintes de temps et de lieu.
Le projet est en lien avec une pièce instrumentale que je suis en train de terminer pour les percussions de Strasbourg, qui fait donc le lien entre ces instruments et les machines d’imprimerie. L’installation peut être vue comme une sorte d’avant-goût de cette création qui aura lieu en mars 2019.
Quels ont été les défis de cette installation ?
Le travail le plus difficile pour moi a été la préparation de l’interview de Serge Gruzinski, car c’est un grand spécialiste et il fallait lui poser des questions pertinentes et intéressantes.
J’ai donc lu des livres très pointus sur le développement d’internet, notamment La machine à remonter le temps de Serge Gruzinski et L’emprise numérique de Cedric Biagini, et j’ai dû plonger dans un monde très éloigné du mien.
Aussi le fait que l’installation allait être présentée dans l’université, m’a fait me pencher vers un travail plus documentaire.
En 2017 vous êtes devenu lauréat de la Fondation Banque Populaire. Comment avez-vous décidé de candidater ?
J’avais entendu parler de la Fondation grâce à des amis compositeurs et comme j’avais envie de développer des projets qui auraient pu les intéresser, j’ai décidé de postuler.
Comment la Fondation Banque Populaire vous a donc aidé dans votre carrière ?
La Fondation m’a conseillé et m’a mis en contact avec d’autres musiciens, des journalistes et des conseillers de la SACEM pour des sujets plus techniques, et depuis 2017 elle a déjà soutenu plusieurs de mes projets, dont Rivière d’encre, et mon dernier disque, que je viens de finaliser.
L’album s’appelle La patience et contient plusieurs commandes que j’ai eu autour de la voix. Je les ai réunies afin d’explorer les différentes formes vocales, en cherchant dans le son l’évolution de la voix, de celle d’un bébé — ma fille, que j’avais enregistré à sa naissance, au choeur d’enfants (la Maîtrise de Radio France) ; de la musique de chambre (Tres instantes oniricos pour soprano, violoncelle et piano) à un Concert pour chanteur de Slam et orchestre symphonique (une commande de l’orchestre de Picardie). Dans le CD il y a également Loveless land pour soprano, ténor et piano, sur texte d’Oscar Wilde et Le raboteur de nuages pour voix, harpe et ondes Martenot — une formation que je trouve très intéressante.
Le travail de la voix est assez nouveau pour moi, mais j’ai relevé le défi et j’y ai retrouvé ma personnalité. Finalement j’aime bien me retrouver dans des positions inconfortables pour créer, car cela stimule ma créativité.
Pour quelle formation préférez-vous écrire ?
J’aime beaucoup écrire pour orchestre car il y a une grande richesse de couleurs et de timbres, mais j’aime aussi composer pour quatuor a cordes, comme j’ai fait pour le quatuor Voce avec la Suite Capoeira.
Une pièce en hommage à la capoeira et au Brazil, ce qui renvoie à vos origines sud-américaines…
Oui, certaines de mes pièces ont effectivement une influence sud-américaine, comme cette Suite, ou encore ma pièce Ciudades limitrofes pour flûtes traditionnelles de la cordillère des Andes et ensemble (piano, flûte, clarinette, percussion). L’oeuvre de chacun a, bien évidemment, une relation très étroite avec sa trajectoire de vie.
Après ça dépend des projets, mais l’essentiel est que je puisse me reconnaître dans mes oeuvres et que je puisse continuer à me passionner comme un enfant.
Que conseillerez-vous à la nouvelle génération de compositeurs ?
Je leur recommande de travailler très dur, en surmontant l’angoisse de la création, de continuer à explorer sans préjugés plusieurs types de musique et d’instrumentarium et de se laisser surprendre. Je pense notamment à ma collaboration avec un slammeur qui m’a appris beaucoup de choses, dont le beatbox qui m’a ensuite influencé dans l’écriture de la pièce Une poignée de consonnes pour les percussions de Strasbourg.