Après avoir enregistré un disque consacré à l’opéra français, Sabine Devieilhe est venue le présenter à la Philharmonie de Paris, accompagnée par l’orchestre Les Siècles dirigé par François-Xavier Roth
Quelques minutes avant le début du concert, alors que la Philharmonie commence à se remplir, les spectateurs attendent avec impatience l’arrivée de Sabine Devieilhe. Celle qu’on présentait, il y a quelques années à peine comme la « nouvelle Dessay » est désormais devenue « la Devieilhe ». La première partie du concert est consacrée à Shakespeare et nous emmène ensuite vers des climats orientaux vus par l’Occident du XIXe siècle.



Dans la poésie shakespearienne
Après une brillante ouverture de Mignon d’Ambroise Thomas, le soprano apparaît enfin sur scène et s’avance vers l’orchestre en tout simplicité dans une ample robe fleurie. Avec une technique impeccable, elle attaque la polonaise de Mignon, Je suis Titania la blonde, s’amusant à lancer dans l’air les aigus “surnaturels” de la Reine des fées. Le contrôle est parfait. Le public est déjà conquis, admiratif.
L’orchestre nous fait ensuite danser avec le Prélude et la Valse du ballet Coppélia de Léo Delibes.
L’alternance des mélodies avec des pièces purement instrumentales permet de mettre en valeur les sonorités de l’orchestre de François-Xavier Roth, dont la spécificité est d’utiliser à chaque concert les instruments correspondant à l’époque du répertoire. Le son des Siècles est limpide et clair. On apprécie les ouvertures de Raymond et de La Princesse Jaune, qu’il n’est pas si courant d’entendre. Mais on avoue avoir ressenti parfois une certaine retenue de la part des musiciens. De ce fait, malgré le timbre envoûtant de Sabine Deveille, on peine à éprouver de l’empathie pour la malheureuse Ophélie de Shakespeare, morte deux fois au cours de la soirée, chez Berlioz (La Mort d’Ophélie – extrait de Tristia op.18) et chez Thomas (À vos jeux, mes amis).
Malgré cela, on est charmés par les belles couleurs de l’orchestre, notamment par les alti évoquant les ondes dans lesquelles se jette l’amante d’Hamlet et par le fascinant contraste entre les aigus chaleureux de la soprano et ceux, plus froids, des percussions.
Vers un orient fantasmé
Grâce à l’ambiance intimiste créée par l’effectif réduit à deux flûtes, deux clarinettes, un hautbois, une harpe et un quatuor à cordes, on est immédiatement captivés par les Quatre Poèmes hindous de Maurice Delage, notamment dans Lahore où les pizzicati du violoncelle imitent la sonorité d’un Sitar, rejoint ensuite par le hautbois, l’alto et la flûte traversière, et par la soprano chantant avec douceur le beau texte d’Heinrich Heine.
La beauté et la souplesse de la voix de Sabine Devieilhe sont mises en exergue par le rossignol d’Igor Stravinsky (Chanson du rossignol), où la voix, la flûte et le piccolo procèdent par imitations, puis par le japonisant Le jour sous le soleil béni d’André Messager où l’on reste suspendus au fil de son aigu pianissimo.
Dans le ballet de Lakmé, qui joue la carte de la « couleur locale » grâce à un jeu sur les timbres et à l’utilisation de gammes orientales, on apprécie le jeu des flûtes (Marion Ralincourt et Laure Mourot) et le légato envoutant du hautbois de Stéphane Morvan.
Sabine Devieilhe, habituée du rôle de Lakmé, nous en livre pas moins de trois airs : Les fleurs me paraissent plus belle, Tu m’as donné le plus doux rêve (en bis du concert), et le célèbre Air des clochettes. Dans cet air, elle impressionne évidemment par sa grande maîtrise technique (un legato impeccable de douceur et un jeu d’écho admirablement exécuté), mais parvient à s’échapper de la simple démonstration de virtuosité et rend compte de la situation dramatique jusque dans son regard très expressif.
Pour le dernier bis, une surprise nous attend. En guise de dernier cadeau, Sabine Devieilhe interprètera une très belle Romance d’Ariel (Debussy) accompagné par le pianiste d’exception Alexandre Tharaud.