Un bel hommage est rendu à Nikolaus Harnoncourt par le biais d’un double DVD, sorti le 27 mai 2016 chez Euroarts. On y découvre pour la première fois rassemblés, les enregistrements aux festivals de Salzbourg 2012 et 2013 de deux œuvres sacrées de Mozart et un oratorio — les saisons — de Haydn. Harnoncourt, en osmose avec son Concentus Musicus et le Arnold Schönberg Choir, donne une nouvelle démonstration de son aisance dans la musique liturgique. Une expérience musicale (et visuelle) à ne pas manquer.
Un mot sur Harnoncourt et le festival de Salzbourg. Ce chef autrichien, qui avait commencé en tant que violoncelliste de l’orchestre symphonique de Vienne, est embauché en 1952 par Karajan, alors chef du philharmonique de Berlin. Ironie de l’histoire, c’est Karajan lui-même qui empêchera le festival de Salzbourg d’embaucher Harnoncourt, devenu chef de son propre orchestre. Ce n’est qu’à la mort du chef allemand, que le chef autrichien pourra diriger son orchestre à Salzbourg pour la première fois en 1992.
Harnoncourt est surtout connu pour son travail au sein du Concentus Musicus de Vienne, orchestre qu’il a fondé avec sa femme en 1953. Rapidement l’orchestre deviendra l’un des plus réputés pour la musique ancienne. Harnoncourt y défendra comme valeurs cardinales la recherche académique, le jeu sur instruments d’époque et l’historicité des œuvres, dans une démarche informée et contextualisée, dans laquelle le chef et l’orchestre distillent l’authenticité historique disparue (ou aura que Walter Benjamin définira comme la résurgence du passé dans le présent).
Il s’agit là d’un parti pris radical qui est loin de faire l’unanimité au sein de la communauté musicale. Boulez –très critique de la philosophie d’Harnoncourt, allant jusqu’à la comparer à une « momification » de la musique- considérera à l’inverse que le contexte de création doit être dépassé pour laisser place à une sacralisation du texte musical. Cet antagonisme conduira d’ailleurs Harnoncourt à s’aventurer plus facilement dans la musique ancienne plutôt que dans la musique contemporaine, à l’inverse de Boulez. « La musique d’aujourd’hui ne satisfait ni les musiciens ni le public, dont la plus grande part s’en détourne carrément. Pour combler le vide qui s’est ainsi créé, on revient à la musique historique. » dira Harnoncourt pour se justifier de sa frilosité dans le répertoire moderne.
Le programme du DVD commence par deux œuvres sacrées de Mozart. La première, la Messe en do majeur K. 262 bien nommée « Missa longa » de par sa durée (30 minutes) se caractérise par une orchestration de type symphonique avec de longues mélodies reprises en contrepoint par les différents instruments de l’orchestre. Harnoncourt s’attache ici à marquer l’antagonisme entre les épisodes de tension et ceux de détente brusque, qui caractérisent le style mozartien arrivé à pleine maturité.
La deuxième œuvre sacrée de Mozart est la dernière de ses litanies et ressemble davantage à une symphonie additionnée d’un chœur plutôt qu’à une œuvre sacrée traditionnelle. On perçoit le travail d’Harnoncourt sur les modulations et contrastes thématiques très marqués qui rapprochent cette litanie du style de la missa longa.
La dernière partie du DVD est réservée aux Saisons d’Haydn Hob.XXI.3, faisant partie des œuvres de vieillesse du compositeur.
Le livret, qui inspirera Haydn, sera par la suite largement remanié, parfois pour le pire, aux yeux du compositeur affaibli par la maladie. En effet, son traducteur Gottfried Van Switen, y glisse quelques images d’Epinal sur les paysans de l’époque, du genre : « Le paysan ne se plaint pas du petit larcin, qu’il a à peine remarqué ». Ou encore celle-ci: « Le pâtre allègre rassemble à présent les joyeux troupeaux autour de lui » que l’on chantera candidement printemps comme été.
Certaines parties de l’œuvre, à rapprocher de la symphonie pastorale de Beethoven, contiennent à la fois les nobles prémices du style romantique et d’originales innovations orchestrales pas forcément toutes assumées par Haydn lui-même — à l’image de ces bassons peu capables d’imiter le croassement des grenouilles sans tomber dans le grotesque ou le « Frenchified trash », pour reprendre les mots du compositeur.
Harnoncourt développe une palette de nuances et de contrastes qui correspond merveilleusement à la nature scintillante du livret : « Au dessus des surfaces brûlées s’étend, en vapeurs caressantes, une mer aveuglante de lumière et de reflets ». Le mérite revient également aux solistes et au chœur, qui se comportent en narrateurs captivants et nous enveloppent de leurs timbres purs et chatoyants. On se laisse presque bercer et emporter vers les visions champêtres et réalistes de Constable.

En résumé, ce DVD mérite certainement l’attention de ceux qui n’auront pas eu la chance d’écouter ces œuvres en concert. Ceux qui voudront approfondir le style d’Harnoncourt pourront également se plonger dans le documentaire récemment réalisé par Christian Berger à l’occasion de la collaboration avec Lang Lang pour l’enregistrement de deux concertos de Mozart.
On y trouve beaucoup d’éléments de compréhension du style d’Harnoncourt : authenticité du matériau sonore, élimination du vibrato pour un son épuré, et bien entendu respect absolu de l’historicité du texte musical.