Gautier Capuçon © Gregory Batardon

Sokhiev et Capuçon à la Philharmonie : l’alpha et l’oméga du romantisme

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Tugan Sokhiev, ambitieux et énergique chef russe, dirigera le 28 mai à la Philharmonie de Paris, l’Orchestre national du Capitole de Toulouse accompagné du violoncelliste Gautier Capuçon. Au programme : la Symphonie fantastique de Berlioz et le Concerto pour violoncelle de Dvořák, deux œuvres qui marquent respectivement les débuts et la fin du romantisme. Voici une mise en atmosphère avec la discographie comparée des deux oeuvres.

La Symphonie fantastique : un hymne romantique à l’orchestration

La Symphonie fantastique marque le début du romantisme dans le répertoire français grâce à une myriade de textures orchestrales inédites. Pour aborder la discographie de cette Symphonie, on doit bien se replacer dans le contexte de création et comprendre l’esthétique de Berlioz en tant que processus créatif.

Le compositeur s’intéresse aux sons non conventionnels produits par les différents instruments d’un orchestre et ordonne aux musiciens de jouer comme s’ils murmuraient, chantaient ou criaient, allant par exemple jusqu’aux limites de saturation des instruments à vent ou préconisant de jouer avec la partie en bois de l’archet pour les instruments à corde. Cette façon de transgresser les codes musicaux de l’époque rend cependant hommage à certains de ses prédécesseurs, en premier lieu Beethoven, dont l’œuvre symphonique apparaissait alors à la fois comme un monument incontournable mais aussi comme une source de blocage artistique (il fallut huit ans à Brahms pour composer une symphonie qu’il jugeât à la hauteur).
Berlioz, en contournant la figure tutélaire d’un Beethoven castrateur, produit un texte riche en textures musicales et mélodies romantiques, jetant ainsi les bases musicales du romantisme en France.

Parmi les très nombreux enregistrements de la symphonie fantastique, certains font figure de références par leur philosophie très proche de celle qu’avait adoptée Berlioz en composant sa symphonie. On pense en premier lieu à ceux du chef français Charles Munch (1898-1968), très largement considérés comme incontournables dans la discographie malgré une qualité d’enregistrement ne leur faisant pas honneur.
Plus récemment, la version de Leonard Bernstein à la tête de l’orchestre national de France en 1976 est hautement romanesque, et donne une vision élégiaque de l’œuvre toute en couleurs orchestrales vives et en contrastes dynamiques. On se laisse charmer par la chaleur du son et le sens inégalé de la narration du chef.

L’enregistrement par Pierre Boulez dirigeant le Cleveland orchestra & chorus en 1997, donne une version plus analytique et évite tout point de vue purement psychologique par le biais d’une bénéfique « tabula rasa » de la discographie de l’époque. L’isolement des cellules mélodiques fait ainsi émerger un matériau sonore épuré, qui éveille constamment l’attention de l’auditeur.

Enfin, le bouillonnant chef vénézuélien Gustavo Dudamel, enfant du Sistema, choisit de diriger non moins de 160 instrumentistes réunis sur deux orchestres: le Philharmonique de Radio France et le Simon Bolivar Youth Orchestra of Venezuela. Outrance ? Non, révérence à la démarche originale et démesurée de Berlioz.

Antonín Dvořák en 1882 © Gallica
Antonín Dvořák en 1882 © Gallica / BNF

Le Concerto pour violoncelle de Dvořák : le dernier des romantiques

Le concert du 28 mai sera également consacré au concerto pour violoncelle de Dvořák, composé en mémoire de son amour de jeunesse Josefina Kaunikova, qui disparaît peu avant la fin de sa rédaction.

Bien que Dvořák n’ait pas laissé de témoignage quant à l’influence de la mort de celle-ci sur la fin mélancolique du concerto, son fils écrira plus tard que le final constitue un hommage appuyé au « dernier amour du musicien ». D’autre part, le séjour en Amérique du compositeur, pressé de retrouver sa terre natale, explique vraisemblablement les accents slaves que l’on retrouve dans le texte musical. Le style général du concerto, bien que composé plus de 60 ans après la Symphonie fantastique, est pleinement romantique et se caractérise par une orchestration lyrique faisant la part belle aux bois et vents de l’orchestre. On notera cependant une virtuosité toute en retenue pour le violoncelle à l’image de cette coda lyrique, qui contraste avec les codas exagérément techniques des grands concertos pour cordes (Mendelssohn, Tchaïkovski…).

La lente introduction du premier mouvement (plus de trois minutes) peut faire craindre un manque de souffle mais prépare en réalité la noble entrée du violoncelle sur le mode majeur. Le développement qui suit promène l’auditeur dans un kaléidoscope d’émotions : passion, frénésie et mélancolie bien sûr avec l’apparition du deuxième thème aux accents slaves. La coda conclut fièrement le mouvement et triomphe de la mélancolie grâce à la présence galvanisante des cuivres. Le mouvement qui suit, renoue avec la mélancolie par une langoureuse mélodie initiée par le violoncelle puis reprise en cœur par l’orchestre. Le dernier mouvement du concerto commence par une marche héroïque qui laisse place à un long développement méditatif préparant à un final lumineux et serein. Peu de temps après cette composition, Dvořák regagne sa terre natale. Il mourra quelques années après l’avènement du nouveau siècle, emportant avec lui le destin de la musique romantique.

Pour se plonger dans l’écoute du concerto de Dvořák, l’interprétation qu’en firent le chef George Szell et Pierre Fournier en 1961, est devenue depuis une version de référence. On y retrouve le phrasé éloquent et aristocratique de Fournier, qui ne tombe jamais dans l’excès et rentre en osmose avec un orchestre tenu au cordeau par la baguette du talentueux Szell.
En contraste avec cette version apollinienne, l’enregistrement par Jacqueline Du Pré et Daniel Barenboim en 1971 met l’accent sur le folklore des mélodies grâce à l’énergie proprement incroyable du chef et de la violoncelliste. Les chants sont chaleureux, les mélodies y sont magnifiées par les énergiques attaques de la soliste et l’ensemble du concerto reflète la fougue et la jeunesse des deux interprètes.

Plus récemment, Paavo Järvi dirigeant l’orchestre de Paris accompagné de Gauthier Capuçon à la salle Pleyel offre une réjouissante version de ce concerto. Le son de l’orchestre est clair et lumineux, tandis que le soliste évite les excès que lui pardonnerait sa relative jeunesse. Son ton sobre mais vif sied parfaitement aux victorieuses mélodies du premier mouvement ainsi qu’à celles méditatives du dernier mouvement.

Qu’en sera-t-il de l’interprétation qu’en feront Capuçon, cette fois-ci dirigé par Sokhiev, lors du concert à venir. Le chef russe parviendra-t-il à trouver la juste mesure de Järvi et à rentrer en osmose avec la sobriété du soliste ? On espère qu’ils sauront trouver une harmonie plus chaleureuse que la mésentente glaciale qui rendit tristement célèbre l’interprétation du concerto donnée par Casals et Pierné (video à 12’32).

 


Discographie de la Symphonie fantastique :
“Hector Berlioz, Symphonie fantastique” Leonard Berstein, Orchestre National de France, 1976, EMI – Écouter
“Hector Berlioz,  Symphonie fantastique, Tristia op. 18” Pierre Boulez, The Cleveland Orchestra & Chorus, 1997, Deutsche Grammophon – Écouter
“Concert salle Pleyel, octobre 2009; Symphonie fantastique” Gustavo Dudamel, Orchestre Philharmonique de Radio France et le Simon Bolivar Youth Orchestra of Venezuela, 2009, Arte – Écouter

Discographie du Concerto pour violoncelle :
“Dvorak, Concerto pour violoncelle” George Szell, Pierre Fournier, Orchestre Philharmonique de Berlin, 1961, Deutsche Grammophon – Écouter
“Dvorak, Cello concerto; Haydn concerto in C” Daniel Barenboim, Jacqueline Du Pré, Chicago Symphony Orchestra, 1971, EMI – Écouter
“Dvorak/Herbert Cello concertos” Paavo Järvi, Gautier Capuçon, Frankfurt Radio Symphony Orchestra, 2008, Erato – Écouter

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