A la veille de la première de la nouvelle production de Rusalka mise en scène par le duo Le Lab – Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil – que son époux, Domingo Hindoyan, dirige, Sonya Yoncheva donne un récital à l’Auditorium, dans un programme de mélodies et d’airs italiens. Malcolm Martineau l’accompagne magistralement au piano.
Sonya Yoncheva compte parmi les grandes voix du moment, avec une touche glamour dans le timbre comme dans la présence. Ce n’est pas la robe satinée fuschia dans laquelle elle entre sur la scène de l’Auditorium qui dira le contraire. Pour autant, le programme de récital, entièrement italien qu’elle a déjà donné une trentaine de fois, et qui fait escale à Bordeaux la veille de la première de Rusalka dirigée par son époux Domingo Hindoyan, ne recherche pas le spectaculaire. Pan moins connu de la production des compositeurs transalpins du XIXème et début du XXème siècles, la canzone, déclinaison dans la patrie de Garibaldi du lied allemand et de la mélodie française, importe l’émotion lyrique dans les salons. Ce sont des pages souvent brèves, qui s’attachent à la couleur d’un sentiment – que la soprano bulgare fait contraster dans les quatre pièces de Puccini en ouverture de soirée. La mélodie de Martuci et les deux de Tosti, dont la célèbre Ideale, respirent une simplicité ça et là discrètement affectée de raffinement. Dans les trois numéros de Verdi se reconnaît un sens de l’élan expressif : comme les partitions précédentes, ils servent d’écrin au timbre charnu, presque capiteux de la soliste, mais ne bousculeront pas l’historiographie établie.

Après l’entracte, Sonya Yoncheva revient en tunique blanche à l’encolure gemmée dans un style néo-antique façon Directoire ou Premier Empire, pour un condensé d’airs pucciniens. Certes, l’opéra de jeunesse Le Villi n’est guère monté de nos jours. Avatar de la Giselle de Gautier et Adam, le personnage d’Anna est passé à la postérité avec «Se come voi piccina », que les plus grandes sopranos ont mis à leur répertoire. A cette évanescence juvénile répond l’ardente prière de Tosca, « Vissi d’arte », livrée avec une intensité dramatique qui sait s’inspirer des grands modèles tels Callas, sans s’y réduire. Si la diva fait un peu ployer la fragilité de Mimi – dans La Bohème – sous la plénitude de l’émission vocale, elle se révèle idéale dans « Un bel di vedremo » de Cio-Cio San. Dans la ferveur du chant palpite l’espérance infinie de Butterfly : la familiarité avec le rôle sur scène se révèle dans cette quintessence d’un des opéras les plus bouleversants de l’histoire de la musique.

Intermède pour piano solo au milieu de cette seconde partie, le Tango en ré majeur d’Albeniz, avec une pulsation calibrée pour une élégance solaire qui ne devait pas déplaire dans les salons, témoigne de l’alchimie qui s’égrène des doigts de Malcolm Martineau, une référence dans l’accompagnement du récital vocal qui sait condenser le ruban orchestral avec une fluidité exceptionnelle. L’osmose avec Sonya Yoncheva se confirme dans les deux bis : la complainte de Lauretta dans Gianni Schichi et la Habanera de Carmen, attendue pour une voix au medium riche et qui conforte l’impression qu’au cisèlement du mot elle privilégie une certaine immédiateté de la sensualité et du sentiment. Dans l’acoustique précise de l’Auditorium, cette émotion haute fidélité peut s’épanouir à merveille. La soliste et le public ne diront pas le contraire.
Gilles Charlassier