Tristan Pfaff
Tristan Pfaff © DR

Tableaux d’enfance : les petites madeleines de Tristan Pfaff

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Le pianiste Tristan Pfaff ne cesse de nous surprendre. Après une incursion contemporaine dans l’univers du compositeur Karol Beffa, il remonte le temps et propose de redécouvrir des petits bijoux d’étude du piano du XXe siècle, composés par deux compositeurs majeurs de l’Union Soviétique, Kabalevski et Khatchatourian. Un disque original paru chez Ad Vitam records, avec une belle captation de ce label, réalisée à la ferme de Villefavard.

 

Plus connu pour ses enregistrements de Liszt ou Schubert, Tristan Pfaff, lauréat notamment du Concours Long-Thibaud, marque de son toucher virtuose et subtil les plus grandes pages du piano.

Rien ne lui résiste et pourtant c’est à ces petites pièces d’études qu’il accorde son attention : des pièces que tous les jeunes pianistes découvrent dans leurs premières années de piano, et qui sont rapidement oubliées. En dehors de leur efficacité pratique pour l’apprentissage de la technique, elles sont pleines de poésie et c’est tout à l’honneur de Tristan Pfaff de les mettre en lumière.

Ces séries de pièces dédiées à l’enfance de Kabalevsi et Khatchaturian sont en réalité tout à fait dans une lignée traditionnelle ; avant eux Bartók composait ses Microcosmos et Tchaïkovski son Album pour enfants, eux-mêmes s’étaient inspirés de Schumann.

 

« Réalisme socialiste »

C’est en 1937-38 que Kabalevski compose ses 30 pièces enfantines. On est en pleine période de terreur stalinienne. Peu de temps avant, en 1936, Kabalevski a été l’un des rares à prendre la défense de Chostakovitch et de son opéra Lady Macbeth de Mzensk, alors même que Staline quitte ostensiblement la représentation et que l’œuvre est écharpée dans la Pravda, qui se saisit de l’occasion pour souligner la nécessité d’un « réalisme socialiste » dans l’art. Cette doctrine stylistique, tous les artistes devront s’y soumettre, de gré ou de force. Rappelons qu’on est en pleine période des grandes purges staliniennes, et la menace du goulag n’était jamais loin. C’est donc juste après ce diktat, en 1937-38, que Kabalevski publie ses Trente pièces pour enfants. Ce sont de petites pièces très courtes, d’une minute à peine en moyenne, et dotés de noms évocateurs et descriptifs : Petit conte de fée, Petite chanson, En jouant à la balle, Berceuse.. L’inspiration est simple, à la portée de tous, absente de tout caractère abstrait… tout y est « conforme » et pourtant que de poésie et de singularité s’échappent de ces pièces !

Tableaux d’enfance - Tristan Pfaff
Tableaux d’enfance – Tristan Pfaff

Simplicité et immédiate intelligibilité

Khatchaturian compose ses Tableaux de l’enfance en 1947 . Comme le dit l’auteur de l’excellent livret, Aram Khatchaturian évolue dans une ambiance similaire à celle vécue par Kabalevski, et il écrit là une musique dont « l’intention pédagogique fait corps avec l’utopie progressiste et éducative du communisme soviétique ». Comme ces pièces s’adressent a priori à des enfants, l’idée est de privilégier la simplicité et l’immédiate intelligibilité, en évitant tout ce qui pourrait apparaître décadent, cacophonique ou bourgeois. Ensuite Khatchaturian, compose ses Dix pièces pour jeune pianiste, plus 1965 ; on sent que la rigueur stalinienne a laissé la place à un certain assouplissement du régime, car le compositeur quitte le « réalisme socialiste » pour puiser dans le folklore de l’Arménie et de l’Ukraine et se référer à un héritage moins doctrinaire comme celui de Moussorgski mais aussi des Mikrokosmos de Bartók. On retrouve comme dans sa musique symphonique, des détournements de folklores et beaucoup de rythmes tournoyants qui sont sa marque de fabrique dans sa musique pour orchestre. La dimension poétique, pleine de délicatesse et subtilité y reste palpable.

Ces pièces de choix dans les heures d’apprentissage de l’enfance sont un bonheur à entendre dans une version aboutie, ciselée avec précision et légèreté par Tristan Pfaff. C’est une révélation de les entendre dans leur contexte, comme pensées par le compositeur, dans une suite , avec une cohérence d’évolution. On a l’impression de découvrir un monde autour d’une pièce. Le vocabulaire et l’esprit de chacun des compositeurs se déploie allègrement dans l’interprétation impeccable et sensible de Tristan Pfaff.

Un album de référence qui devrait figurer dans toutes les médiathèques des conservatoires !

Tristan Pfaff
Tristan Pfaff © DR

Mot de l’interprète : Tristan Pfaff

Cela m’a replongé dans ma propre enfance, faisant remonter beaucoup de souvenirs […]

“L’idée de cet enregistrement m’est venue lors d’un examen de conservatoire où j’étais invité comme jury. Il y avait « chanson triste » au programme, une des petites pièces de Kabalevski. Cela m’a replongé dans ma propre enfance, faisant remonter beaucoup de souvenirs, car ces pièces je les avais aussi travaillées petit, comme pratiquement tous les enfants qui font du piano. Et comme tous, je n’étais jamais revenu dessus par la suite. Quand on est jeune, plus on progresse techniquement, plus on avance vers le grand répertoire sans jamais se retourner. J’ai eu envie de revenir dessus, et de les jouer en dehors de l’aspect technique, pour leur charme et leur poésie.”

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