Dans le Barbiere di Siviglia de Ruth Berghaus, Séville est blanche, tout comme Berlin sous la neige de ce mois de décembre.
On dit que les oeuvres d’art résistent au temps et aux modes : c’est le cas de cette mythique mise en scène de l’opéra de Rossini, actuellement à la Staatsoper de Berlin qui, à sa 350e représentation, garde toute sa fraîcheur et sa modernité.
Conçue avec intelligence et raffinement, la scénographie d’Achim Freyeraux est directe et suggestive : un simple tissu blanc, dessiné et suspendu à des fils transparents, représente tantôt des « extérieurs », comme les rues de Séville et la place devant la maison de Don Bartolo ; tantôt des « intérieurs », comme la chambre de Rosina ou le salon du Docteur.
Dans ce meta-théâtre, l’artifice est visible et assumé : le public voit les acteurs changer les décors et placer des fils afin de créer de nouveaux effets. Les quelques meubles, imaginés dans le même esprit, sont dessinés avec élégance sur des cartons, tout comme leur grille de perspective qui leur donne un effet de profondeur : à noter la belle coiffeuse de Rosina et le clavecin, auquel il ne manque pas une belle peinture (en couleur) dans le style de l’époque.
L’imagination du spectateur est sollicitée par des idées scénographiques simples et sophistiquées à la fois : on voit Rosina soulever un store et apparaître à la fenêtre, des rideaux flotter sous l’orage nocturne et une porte-fenêtre s’ouvrir de manière inattendue. Des effets de lumière sont également cohérents et pleins d’humour, comme les quatre lustres dessinés qui dominent la scène et qui, comme des éclairs, s’allument pendant l’orage et aux changements d’humeur de Don Bartolo. La stylisation des personnages, leurs costumes aux couleurs vives, en contraste avec le fond blanc, et leur gestes amusants ajoutent un côté « bande dessinée » très esthétique.
L’intrigue typiquement rossinienne du Barbiere est un mélange de subterfuges et de bouleversements : le comte Almaviva se déguise en jeune étudiant pour faire la cour à la belle Rosina, mais Don Bartolo veut également l’épouser, ne serait-ce que pour sa dot. Grâce à l’intervention de Figaro, le barbier le plus en vogue de la ville, l’affaire se termine bien et tout le monde y trouve son compte.
La Rosina de Rachel Frenkel est élégante et pleine d’humour, sa voix est riche et son italien intelligible. Bruno de Simone est un Don Bartolo convaincant : antipathique mais attachant et ridicule sans être complètement dupe. Particulièrement réussies et appréciés par le public, ses imitations de Rosina et son air « A un dottor della mia sorte ». Kenneth Tarver est un Almaviva expressif : élégant, espiègle et à la voix agile et agréable. Plénitude de timbre et graves plaisants caractérisent Alfredo Daza et son Figaro sympathique, entraînant et moderne. Adriane Queiroz a une voix moelleuse et dense, sa Berta, armée d’un batteur de tapis et d’une brosse, amuse le public en voulant tout nettoyer, jusqu’à la tête chauve de Bartolo. Le Don Basilio au timbre sombre de Jan Martiník est peureux, avide et naïf comme il faut.
Les solistes, ainsi que le Staatsopernchor, sont expressifs sans tomber dans l’excès, leur virtuosisme n’est pas démonstratif mais met plutôt l’accent sur le second degré, dans une subtilité cohérente avec la musique entraînante et pleine d’humour de Rossini et le livret auquel l’hilarant italien d’autrefois n’enlève rien à la modernité. La direction de Domingo Hindoyan est suggestive et la Staatskapelle Berlin laisse les voix s’exprimer dans le petit Théâtre Schiller où l’ambiance intimiste convient à cette production raffinée et cosy.