Roger Honeywell (Danilo) dans la Veuve Joyeuse du Boston Lyric Opera
Roger Honeywell (Danilo) dans la Veuve Joyeuse du Boston Lyric Opera © T Charles Erickson

Une Veuve joyeuse version Downton Abbey au Boston Lyric Opera

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Pour sa dernière représentation de l’année, le Boston Lyric Opera a recontextualisé la Veuve joyeuse de Franz Lehár au début du XXème siècle, à la veille du premier conflit mondial. Nous sommes allés découvrir cette interprétation originale.

 

Ce n’est pas une nouveauté pour le Boston Lyric Opera de transposer des opéras dans de nouveaux contextes. Après une Bohème imaginée dans la Paris de Mai 68 et un Werther dans celle des années 20, la Veuve joyeuse de Lehár se retrouve donc à la veille de la Grande Guerre.

La metteuse en scène Lillian Groag a ainsi transformé la gaieté insouciante de la Belle Époque en un irresponsable déni collectif de la réalité, où tous les personnages prétextent des choses plus importantes à faire, comme organiser des mariages, cacher ou démasquer des liaisons, boire du champagne et bien évidemment, danser la valse !

La Downton Abbey pontevedrienne* dans laquelle on est transportés n’a rien à envier à la série télé anglaise dont Gail Buckley, créatrice des costumes, s’est inspirée : on y retrouve la tragédie du Titanic, des héritages à sauver, des mariages à arranger, des conflits de classe et tous les vices possibles, cachés derrière le masque de la respectabilité.
Les décors de John Conklin sont suggestifs et les références aux motifs de William Morris et au design d’inspiration végétale de l’Art nouveau très réussies.

Dans cette splendide ambiance d’avant-guerre, on retrouve une multitude de personnages, qui conversent (et chantent) en allemand, anglais, français, italien, russe, serbe et… pontevedrien.
Si l’idée de montrer ainsi les principaux pays engagés dans la Grande Guerre nécessite la lecture de la note d’intentions pour être comprise, elle permet tout de même de savourer l’aspect cosmopolite de cette jeunesse de bonne famille, habituée à se retrouver à l’Opéra de Paris, de Vienne et de Saint Pétersbourg.

Autre surprise de cette production est que la protagoniste, Hanna Glawari, de pontevedrienne est devenue… américaine !
Encore un choix justifié pour une volonté didascalique, mais qui a l’avantage de mettre en avant l’opposition entre aristocratie en décadence et bourgeoisie émergente, entre repli et ouverture, entre Vieux et Nouveau Monde.

Erin Wall dans la Veuve Joyeuse du Boston Lyric Opera
Erin Wall (Hanna Glawari) dans la Veuve joyeuse du Boston Lyric Opera © T Charles Erickson

De ce fait, des contrastes très comiques voient le jour : Hanna, qui devient donc une “Marilyn” assurée et entourée de prétendants, fait apparaître ridicules et enfantines les autres femmes — comme la Praskovia de Véra Savage, très réussie dans son exhilarante tentative de séduire Danilo sous l’emprise de l’alcool.
Au final les nobles pontevedriens mettent de côté leur snobisme pour courir après la riche héritière, et le dandy cosmopolite Danilo se retrouve marié et gérant de pub à Boston (encore une invention de cette production).
L’ironie se retrouve également côté musique avec une référence au Tristan et Isolde pour se moquer de la passion adultère de Valencienne et Camille, et côté danse, avec un clin d’œil au Sacre du printemps et au scandale de sa première.

Dans cette production on retrouve beaucoup de belles idées, mais finalement il ne reste plus que la musique — magnifiquement interprétée par l’orchestre sous la baguette d’Alexander Joel — pour nous rappeler l’œuvre de Lehár.

À cause de cette envie de trop en faire, on tombe dans l’anecdote : le thème de l’avènement de la Grande Guerre, qui aurait mérité un traitement plus profond, n’est qu’esquissé le long de la pièce et collé sur le spectateur tout à la fin ; les références sont trop nombreuses et éparses pour avoir vraiment de l’impact, et les changements de langue (pas toujours bien prononcées) ne font que distraire les spectateurs.

Finalement on passe une bonne soirée, on rêve de Vienne et de Paris, on se laisse enchanter par les robes qui vibrent au rythme de la valse et on arrive presque à croire à l’histoire d’amour, un peu fade, des protagonistes.

Nous remarquerons tout de même les belles voix de Chelsea Basler (Valencienne) et de John Tessier (Camille de Rosillon) et les convaincantes interprétations de Jesse Blumberg (Jako Njegus) et des grisettes — Michelle Trainor, Heather Gallagher, Vera Savage, Emma Sorenson et Stephanie Scarcella — qui redonnent vie au troisième acte et rendent la valse de la Veuve joyeuse un peu moins grise.

 

 

* Dans la version française, le pays imaginaire de Pontevedro devient la Marsovie et les noms de certains personnages sont différents : entre autres, Hanna Glawari s’appelle Missia Palmieri et le Comte Danilo Danilowitsch est le Prince Danilo.


Boston Lyric Opera

The Merry Widow
Citi Performing Arts Center – Shubert Theatre, Boston
6 mai 2016

Distribution
Erin Wall (Hanna Glawari)
Roger Honeywell (Comte Danilo)
John Tessier (Camille de Rosillon)
Andrew Wilkowske (Baron Zeta)
Chelsea Basler (Valencienne)
Jesse Blumberg (Jako Njegus)
Michelle Trainor (Olga/Lolo)
Heather Gallagher (Sylviane/Dodo)
Vera Savage (Praskovia/Joujou)
Emma Sorenson (Jelena Petrovic/Frou-frou)
Stephanie Scarcella (Pola Kankaras/Clo-clo)

Alexander Joel (direction)
Lillian Groag (mise en scène)
John Conklin (décors)
Gail Buckley (costumes)
Robert Wierzel (lumières)
Kyle Lang (chorégraphie)
Jason Allen (maquillage)
John Conklin (surtitres)

 

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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