Adrien Perruchon
Adrien Perruchon © Oh Joong Seok

Adrien Perruchon, un chef d’orchestre à l’heure du confinement

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Le chef d’orchestre français qui monte, Adrien Perruchon est actuellement à Paris et il évoque pour Classicagenda son métier durant le confinement.

 

Awin – L’aventure du jeune chef démarre un soir de 2014, alors qu’il est encore timbalier de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Le chef (Lionel Bringuier) malade, Adrien Perruchon assure les répétitions en attendant un remplacement qui finalement n’arrivera pas. Le moment du  concert, à guichet fermé, filmé et retransmis en direct arrive et la direction lui échoit finalement. La soirée est un énorme succès, l’orchestre exalté, un chef est né. Depuis sa carrière a pris son essor et on le retrouve en France et hors de nos frontières à la tête de l’Orchestre de Cleveland, de l’Orchestre National de Lyon, des Wiener Symphoniker, de l’orchestre du Mozarteum de Salzburg et dans la fosse de nombreux théâtres lyriques tel que dernièrement à l’Opéra de Lyon.

Le confinement avec l’arrêt brutal de tous les concerts est l’occasion de revenir avec lui sur une autre facette du métier chef d’orchestre, celui, moins visible, du temps de la préparation.

 

Adrien Perruchon, à quoi ressemblent vos journées depuis le confinement ?

Je conserve ma routine habituelle des périodes où je suis à la maison, à savoir de consacrer les matinées à l’apprentissage des partitions. Le temps supplémentaire dont je dispose me donne l’occasion de panacher la préparation de la saison prochaine avec des œuvres qui ne sont pas forcément en projet mais que j’ai eu envie d’approfondir. Je me penche par exemple en ce moment sur Simon Boccanegra et Madame Butterfly, dont je connaissais déjà bien le rôle principal sans avoir vraiment appris la partition, car ma femme (ndlr la soprano coréenne Myung Joo Lee) le chante régulièrement ! Je profite de ce temps suspendu pour écouter et visionner beaucoup de versions des œuvres, et on réalise d’ailleurs dans ces circonstances l’abondance assez incroyable de ressources disponibles en ligne, partitions, enregistrements, vidéos…

Des compositeurs m’ont aussi envoyé leurs dernières œuvres en lecture, j’écoute les premiers montages d’un enregistrement et discute des corrections à l’équipe de production, à l’occasion j’accompagne mon épouse au piano, bref les occupations musicales ne manquent pas.

 

Quel était votre dernier concert ?

Le dernier concert etait un récital avec Kristine Opolais à Moscou, après quoi je suis immédiatement rentré en studio ici à Paris avec Gautier Capuçon pour l’enregistrement de son prochain disque avec l’Orchestre de Chambre de Paris. Tout est ensuite allé très vite et des engagements ont commencé à s’annuler jusqu’à la situation totalement inédite dans laquelle nous nous trouvons.

 

Comment préparez-vous une oeuvre ?

J’aime au début utiliser un peu le piano pour prendre le temps de bien entendre les harmonies, ce que l’on peut faire à la maison et qui peut s’avérer plus compliqué en déplacement. En cela, travailler en ce moment de chez moi est plus confortable. Après, la préparation dépend de la nature de l’œuvre, de sa longueur, du langage musical, de sa complexité, son orchestration, de la langue du texte littéraire le cas échéant (un opéra en tchèque, que je ne parle pas, va me demander plus de temps qu’un équivalent en italien ou en français), certaines pièces contemporaines nécessitent aussi de nombreuses annotations sur la partition…  il y a en tout cas une phase d’apprentissage et de mémorisation incompressible.

… en tant que jeune chef, il y a une grande proportion d’œuvres que j’aborde pour la première fois…

J’ajoute qu’en tant que jeune chef, il y a une grande proportion d’œuvres que j’aborde pour la première fois, ce qui me demande beaucoup de travail en amont. Même si je bénéficie sur certains pans de répertoire des connaissances et de l’expérience accumulées dans mes années de musicien d’orchestre, l’apprentissage d’une partition dans le but de la diriger est bien spécifique.

Adrien Perruchon
Adrien Perruchon © Oh Joong Seok

Faut-il connaître l’œuvre par cœur pour la diriger ?

Sans jouer sur les mots, connaître l’œuvre par cœur et la diriger par cœur sont deux choses différentes. Deux exemples : Esa-Pekka Salonen, dont j’ai été l’assistant pendant plusieurs années, m’a un jour porté secours quand j’ai dû diriger au pied levé une pièce de Bartok, en me guidant à travers la partition par Skype, éclairant tous les détails de cette œuvre complexe, jusqu’aux erreurs d’impression et leur position exacte dans la partition, le tout sans l’avoir sous les yeux lui-même. Pour autant vous ne le verrez jamais diriger un concert sans partition. Un autre de mes mentors, Alain Altinoglu, alors que nous étions un été à Salzburg pour Don Giovanni, a pris oralement les nombreuses notes que je lui ai données (l’assistant vérifie toujours en salle l’équilibre entre les voix et l’orchestre, difficile à juger pour le chef depuis la fosse) et a rectifié chaque problème à la répétition suivante sans avoir rien noté.

Sans jouer sur les mots, connaître l’œuvre par cœur et la diriger par cœur sont deux choses différentes.

Souvent la partition, si elle est présente, n’est pas lue mais simplement suivie. Cela revient, selon moi, au même avec le « par cœur » car on suit alors une trame fixée mentalement, un schéma. Dans les deux cas le risque serait de se livrer à une lecture systématique, et c’est là qu’intervient l’écoute, la réaction au phénomène sonore comme disait Celibidache.

En réalité ça n’est pas très important et il n’y a certainement pas de jugement de valeur car le degré de préparation est le même qu’on préfère diriger et jouer par cœur ou avec partition… en tout cas il devrait.

 

Votre père Etienne Perruchon était compositeur, qu’avez-vous appris de lui sur la direction d’orchestre et sur la façon d’aborder les œuvres ?

Grandir et découvrir la musique par le prisme d’un compositeur est une chance incroyable, pour la simple raison que l’interprète (dans les musiques écrites) en est le serviteur. Cela m’a appris très tôt les arcanes de l’écriture, et que le texte, s’il est la base de l’interprétation, reste un matériau vivant tant que le compositeur l’est lui-même. Il retouche, modifie, révise, au gré de l’expérience, des suggestions faites par les musiciens, au théâtre ou au cinéma selon les besoins de la dramaturgie. Mon père avait une culture, des goûts et des talents vraiment éclectiques, et j’ai pu piocher depuis mon jeune âge dans une bibliothèque de musiques extrêmement variées.

Mon père avait une culture, des goûts et des talents vraiment éclectiques, et j’ai pu piocher depuis mon jeune âge dans une bibliothèque de musiques extrêmement variées.

Il y’a quelques mois j’ouvrais sa partition du Sacre du Printemps et y ai retrouvé les gribouillis maladroits d’un petit garçon essayant de placer des « bâtons » pour trouver un chemin dans ces rythmes diaboliques, une époque où je pratiquais tout autant les songbooks de Stevie Wonder qui traînaient sur le piano familial.

 

Quel est le moment de la vie de chef d’orchestre que vous préférez ?

Le concert sans hésiter. Tout ce que l’on fait converge vers ce moment, qui sera forcément unique. La situation actuelle montre bien qu’il n’y a pas de chef d’orchestre sans orchestre, et il me tarde de retourner sur scène.

 

Ce confinement aux conséquences dramatiques pour le monde du spectacle est-il bon à quelque chose ?

Les ravages du COVID 19, confinement ou pas, sont d’une magnitude qu’il nous est encore impossible d’appréhender, et va bouleverser nos sociétés et nos vies.

Cette période d’inactivité et d’isolement favorise la consommation de beaucoup de produits culturels sur supports numériques ce qui accentue une tendance générale préexistante, et l’art vivant devenait déjà un acte de plus en plus « militant » avant cette catastrophe. Gageons que cette tendance devra s’accentuer vu le sinistre économique immédiat, mais que le public retrouvera un grand appétit des concerts et spectacles dès lors que nous pourrons à nouveau les leur offrir.

 

Après cette période, où pourra-t-on vous voir ?

Alors qu’ici la plupart des lieux n’envisagent une réouverture complète que pour le début de la saison 20/21, les choses reprennent petit à petit dans les pays d’Asie qui commencent à sortir de la crise sanitaire. Ainsi mon épouse devrait entrer en répétition à Séoul pour l’Opéra National de Corée dès le mois de mai. Je dirige pour ma part l’Orchestre Philharmonique de Malaisie en juin, seul engagement estival ne tombant pas sous le coup des annulations, et après des master-classe et concerts en Corée et en Chine début septembre je retrouverai les scènes européennes pour mes débuts avec le Netherlands Philharmonic Orchestra au Concertgebouw d’Amsterdam. Je signale aux mélomanes confinés la sortie cette semaine d’un très beau disque de concertos pour violon de Strawinsky et Corigliano avec Amanda Favier que nous avons enregistré avec l’Orchestre Philharmonique de Liège pour le dynamique label français NoMadMusic.

 

https://nomadmusic.fr/fr/label/stravinsky-corigliano

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