A l’opéra de Monte-Carlo, le concert du 30 avril 2023 de l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo portait le titre « Du Baroque au Romantisme ». Choix curieux car aucune des quatre œuvres programmées n’était baroque ou romantique. Toutes étaient composées entre 1773 et 1806, au cœur de la période classique.
Même si Beethoven est souvent cité comme un compositeur préromantique, sa quatrième symphonie programmée ce jour-là est plutôt une parenthèse, presque haydenienne, entre la symphonie « Eroica » et la cinquième en ut mineur.
Le chef d’orchestre pour l’occasion était Giovanni Antonini, fondateur et chef d’orchestre de l’ensemble baroque italien Il Giardino Armonico. La pratique d’inviter un chef d’orchestre spécialiste de musique ancienne pour diriger un orchestre symphonique sur instruments modernes date des années 1980, quand des chefs anglais comme Trevor Pinnock et Christopher Hogwood étaient souvent invités pour instiller un style « authentique » à des musiciens qui avaient plutôt l’habitude de jouer Bach et Borodine de la même manière. Même si certaines de ces expériences furent considérées comme de réelles avancées (on peut citer, entre autres, le cycle de symphonies de Beethoven dirigé par Nikolaus Harnoncourt avec l’Orchestre de chambre d’Europe), d’autres se révélèrent moins heureuses, entre autres à cause de la résistance des musiciens d’orchestre à ce qu’ils considéraient encore comme un effet de mode.
Quarante ans plus tard, le monde musical a évolué et la plupart des interprètes passent sans effort du répertoire baroque au symphonique et contemporain. Antonini fait partie de cette nouvelle génération : il est invité à diriger des opéras à La Scala de Milan et des concerts avec le Wiener Philharmoniker, tout en restant fidèle à son propre orchestre d’instruments anciens, Il Giardino Armonico. Les musiciens d’orchestre aujourd’hui sont eux aussi capables de modifier leur approche stylistique avec une efficacité et une souplesse qui auraient été impensables il y a 40 ans.
Le concert a commencé par l’ouverture en style Sturm und Drang de l’opéra Philémon et Baucis de Joseph Haydn. Dès les premiers accords le son de l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo était transformé sous la baguette d’Antonini. Les cordes jouaient presque sans vibrato et attaquaient les accords en forte avec une férocité mordante. Les cuivres jouaient avec plus d’abandon, comme sur des cors de chasse et des trompettes naturelles. Le timbalier a utilisé des baguettes en bois sans feutre pour obtenir un son plus clair. Antonini a poursuivi sans pause avec la deuxième œuvre du programme, la scène aux Champs Elysées, extraite du deuxième acte d’Orphée et Eurydice de Gluck (de la version française de 1774). Maintenant un son doux et éthéré, les cordes ont laissé entendre les deux flûtistes, jouant debout. La partie solo a été exécutée avec une élégante simplicité par Raphaëlle Truchot Barraya.

Le soliste dans le Concerto pour piano n°22 en mi bémol majeur, K. 482 était l’Australien Kristian Bezuidenhout. Ce musicien hors norme semble autant à l’aise au piano Steinway de la salle Garnier qu’au pianoforte d’époque qu’il a utilisé pour son cycle de concertos de Mozart enregistré avec le Freiburger Barockorchester (dont il est directeur artistique). Il a trouvé le parfait esprit de conversation avec l’orchestre, même si les bois étaient parfois inaudibles. C’est dans les moments où il jouait seul que le public a vraiment pu apprécier sa grande musicalité : ses cadences dans le concerto, ainsi que son bis extrêmement bien choisi, le deuxième mouvement, Allemande, de la Suite inachevée pour piano, K. 399.
Le concert s’est terminé avec la Symphonie n°4 en si bémol majeur, op. 60 de Beethoven. Le tempérament énergique d’Antonini est parfaitement assorti aux symphonies de Beethoven dont il a enregistré l’intégrale avec le Kammerorchester Basel pour Sony Classical. Qu’un chef prenne autant de risques interprétatifs dans ce répertoire si connu est bienvenu. Dans l’Adagio, par exemple, Antonini a freiné le tempo dans le deuxième thème, laissant flotter la partie solo pour la clarinette comme un moment suspendu, avant de reprendre le motif récurrent du rythme pointé. Dans le finale, Antonini a souligné le caractère moto perpetuo en dirigeant à une vitesse extrême qui poussait les capacités techniques des musiciens à leurs limites, créant une conclusion éclatante de ce concert mémorable.