Le Festival de Laon, qui se déroule jusqu’au 16 octobre, a choisi de donner un opéra de Christoph Willibald Gluck, Iphigénie en Aulide, le 2 octobre. Cette représentation en version de concert a eu lieu hors les murs, dans la nouvelle Cité de la Musique et de la Danse de Soissons (2015), qui offrait un cadre idéal pour l’ouvrage, enregistré à cette occasion pour la première fois sur instruments anciens.
On sait que, attiré en France par Marie-François Louis Gand Le Blanc, bailli Du Roullet…, attaché de l’ambassade de France à Vienne – et par ailleurs librettiste d’Iphigénie en Aulide, Christoph Willibald Gluck a connu avec cette première oeuvre “parisienne” son premier grand succès, triomphe historique, dit-on même, en avril 1774.
Succès pour le moins confirmé, si l’on en juge par le nombre de représentations qui, en 1824, dépassaient les 400 !
L’argument, inspiré d’Euripide et plus encore de Racine, évoque l’histoire de celle qui fut au centre d’un drame singulier : Iphigénie est aux prises avec l’ordre cruel de la déesse Diane imposé à son père Agamemnon d’immoler sa fille pour assurer des vents favorables à la flotte grecque en route pour Troie….Par bonheur ce meurtre n’aura pas lieu, les Dieux ont eu pitié des gémissements des uns et des autres, leur clémence et leur bonté seront unanimement applaudies.
C.W. Gluck a voulu pour sa première apparition devant un public français, et parisien de surcroît, marquer les esprits et prendre toute sa place dans le paysage musical français.

Il déploie une musique d’une réelle intensité dramatique. Il accorde une importance décisive aux soliloques des personnages principaux en s’efforçant de les caractériser musicalement tels Iphigénie, Agamemnon, Clytemnestre, ou encore Achille. Mais il fait aussi alterner les récitatifs et les arias avec des formes plus dynamiques tels des duos, trios ou quatuors, destinés notamment à emballer l’action. Bien sûr, le Chœur est omniprésent, incarnant la foule des Grecs, puis des Thessaliens. C’est à lui que reviendra le mot de la fin : “Célébrons les noces de ces deux illustres amants (Achille et Iphigénie), leur bonheur est le premier gage de la juste faveur des dieux et leur hymen est le présage de nos triomphes glorieux”.
Au plus près des conditions de création
C’est une musique que le Concert de la Loge dirigé par Julien Chauvin a eu à cœur de restituer au plus près des conditions de sa création. En recourant notamment aux cors naturels, aux tambours en peau, et, bien sûr, aux flûtes, hautbois, trompettes et bassons baroques. Mais surtout en choisissant une lecture “des origines” de cette oeuvre qui, paradoxalement, nous apparaît singulièrement moderne pour son temps ; musique qui, par certains aspects, annonce le romantisme. Et pourtant, elle conserve encore la trace de la Tragédie Lyrique qui triomphait en France depuis près d’un siècle ; Gluck n’a-t-il pas dénommé son opéra Tragédie-opéra en trois actes ? Il est toujours difficile de classer Gluck, classique, préromantique, mais est-ce indispensable de vouloir le classer ?
La distribution annoncée était très attractive et a tenu sa promesse : le rôle-titre, tout d’abord : c’est la soprano Judith van Wanroij qui endosse les habits d’Iphigénie. Elle a la posture de l’héroïne menacée, fataliste et aussi amoureuse ; son timbre est beau et a la douceur d’une victime annoncée ; dommage que sa diction ne soit pas tout à fait à la hauteur de l’émotion qu’elle transmet.
Agamemnon est incarné par la basse Tassis Christoyannis, en père noble atteint par le doute, mais infaillible dans ses graves puissants.

Quant à la soprano Stéphanie d’Oustrac, elle incarne à merveille une Clytemnestre intraitable et bouleversée par le possible destin tragique de sa fille ; son chant exprime magnifiquement sa colère et son inquiétude.
Et Achille ? Quand le ténor Cyrille Dubois intervient, le climat sur le plateau s’en trouve modifié : c’est un peu comme si l’on s’éloignait de la version de concert proposée. On est, à ce moment précis, à l’opéra. Il incarne, en effet, un exceptionnel Achille : aigus saisissants, et quand il le faut, déchirants.
Un non moins remarquable Jean-Sébastien Bou campe un très brillant Calchas, que l’on entend peu… à regret.
David Witczak,en Patrocle, Arcas, et un Grec, complète la distribution ; sans oublier un petit choeur de Grecques dans lequel on aura remarqué la belle prestation de Jehanne Amzal, la deuxième Grecque.
Mention particulière au choeur Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, sous la direction artistique de Fabien Armengaud, en forme de choeur antique, constamment présent et d’une belle tonicité. Occasion de rappeler le rôle essentiel du Centre de musique baroque de Versailles dans le domaine de la découverte et de la réalisation de la musique des 17ème et 18ème siècles en France.
Le Concert de la Loge est très homogène et impliqué, sous la direction explosive de Julien Chauvin.
L’ouvrage est enregistré dans la foulée de ce concert.