Frescobaldi, Herrick, John Playford, pot-pourri baroque et invitation à la danse : L’Europe du XVIIème défile dans le Stingo Music Club
La canopée en flammes crépitait dans les derniers rayons éclairant la vallée du Douron, au cœur du petit Trégor : à la faveur du dernier jour à l’heure d’été, le crépuscule avait tardé à nous interrompre dans une première récolte de châtaignes et de chanterelles, heureux présage d’un automne fructueux. Entre chien et loup nous avions rejoint l’atelier de Guillaume Castel, bric-à-brac incroyable où se mêlent matériaux informes, objets bientôt détournés, outils hétéroclites — du plus fin pinceau au palan gigantesque — et œuvres à tous stades de finition. Une fabbrica de la matière, là où elle prend forme.
L’endroit nous était familier, les œuvres aussi : quasiment un an jour pour jour avant, l’atelier avait déjà été choisi par Son Ar Mein, association dont les louanges ont déjà été chantées dans ces pages, dans sa quête d’endroits remarquables du patrimoine bâti du petit Trégor pour y donner à jouer toutes sortes de musique, particulièrement musiques ancienne et contemporaine. C’était pour un concert de kora et guitare, dont les lignes mélancoliques avaient envoûté nos oreilles bretonnes maritimes, rompues aux voyages lointains. La mer, loin d’être un vide ou un obstacle qui sépare, est un fluide qui circule et rapproche les terres et les peuples. Balles de coton, de café, de cacao entassées sur un port, charriées par les mêmes bras, là noirs et ici blancs. Épices d’ailleurs, rythmes de là-bas, chants épicés fredonnés en rentrant au pays. Dans l’amoncellement de l’atelier, nous avions ressenti l’industrieuse résonance de ce fluide circulant de matières premières, de matériaux bruts, de notes sèches et de chants clairs. Au printemps, quelques sculptures étaient sorties de leur capharnaüm originel pour aller décorer le lit du Douron, lors d’une balade musicale dont Son Ar Mein a le secret, bravant les tristes augures météorologiques qui ne savent pas que la musique qui s’élève empêche la pluie de tomber.
Ce soir-là, à quelques heures de miz-du, ce mois noir de novembre qui laisse la nuit nous envahir et la pluie nous revenir, c’est pour un voyage entre l’Italie et l’Angleterre qu’un peu d’ordre avait été mis dans le fougueux atelier. Bancs bien alignés bientôt dépassés par une affluence imprévue, on rajoute des chaises, certains restent debout, las, de nouveau le chaos. Tant pis, sur la scène improvisée se placent théorbe, guitare, viole de gambe, violon, flûtes, psaltérion, percussions. Instruments anciens, chuintement du boyau. Ouverture par un combo baroque anglais dominé par un mari trompé. L’Europe du XVIIème défile, une passacaille de Frescobaldi nous prend la main vers un poème de Robert Herrick, chut, Purcell entre: Music for a while dans un arrangement pour voix et violon.
John Playford met en musique fuggi, fuggi, fuggi (An italian rant), et ouvre le bal : danse de Mantoue, gigue écossaise, les fourmis montent dans nos jambes d’une danse à l’autre. Stingo, ballade anglaise qui a donné son nom à l’ensemble, réjouit l’âme et fait une transition inattendue avec une version baroque de My baby don’t care. Les musiciens respirent le bonheur de jouer ensemble, se regardent, se sourient, semblent danser en même temps que jouer et chanter : la musique de l’English Dancing Master porte en elle ce mouvement des corps. Tandis que les notes de chaque instrument s’organisent en un chant commun, la matière s’éveille, s’ébroue, les objets se parlent, les outils s’affairent et les sculptures monumentales aux formes et couleurs élémentaires s’animent et se déclinent, comme par enchantement. Le chant d’un oiseau en bis, vin chaud avant de plonger dans la nuit de miz-du, en attendant le solstice.
Stingo Music Club, musique anglaise du XVIIème.
Samedi 29 octobre 2016
Son Ar Mein, atelier de sculpture de Guillaume Castel