L’intégrale des Concertos pour piano de Beethoven en seulement deux soirées, les 15 et 16 mars 2019… qui pouvait relever ce défi sinon François-Frédéric Guy, le plus beethovénien des pianistes français ? Et il n’en est pas à son coup d’essai. En 2008, le Printemps des Arts de Monte-Carlo lui confiait déjà l’exécution de l’intégrale des sonates de Beethoven sur une semaine. Le pianiste avoue lui-même “ne pas sortir indemne” de ce type d’exercice, admettons que nous sommes sortis enthousiasmés par ce cycle !
Pour cette intégrale avec le Sinfonia Varsovia – orchestre sans chef titulaire – François-Frédéric Guy a adopté le difficile exercice du “joué-dirigé” au profit d’une certaine cohérence musicale. Rappelons que le pianiste avait déjà enregistré ces concertos avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France mais avec Philippe Jordan à la direction.
La disposition des instruments obéit à un choix bien précis. Installé au centre de la scène, le piano se trouve entouré par, à sa gauche, les premiers violons, les contrebasses, les violoncelles et, à sa droite, les seconds violons et les altos. Lors d’un entretien organisé avec David Christoffel en amont du second concert, le pianiste vantait cet équilibre singulier lui permettant de placer les basses du même côté que les notes graves du piano, renversant l’alchimie traditionnelle de l’orchestre.
L’intégrale proposée ce week-end ne se déroule pas dans un ordre chronologique. Le premier soir sont donnés les concertos 2, 3 et 4, et le second les 1 et 5. Notons que le 2ème concerto fut composé avant le premier…

Des cadences appréciées
Le premier mouvement “con brio” nous laisse entrevoir ce que sera l’image sonore et l’esprit de ces deux concerts. D’emblée, on peut dire que l’acoustique ne favorise pas une excellente perception des instruments, le son ayant tendance à rester sur scène et à manquer d’une projection nette vers la salle. Toutefois, la direction énergique du “pianiste-chef” dessine les contours d’une partition contrastée, maintes fois corrigée par Beethoven avant son édition et se réservant aussi l‘exclusivité de son exécution durant des années. A vrai dire, ce ne sera pas l’interprétation la plus remarquable de cette intégrale du point de vue de son éclat.
Hautbois et percussions viennent renforcer l’effectif lors du 3ème concerto ponctué par une exigeante cadence à la fin du premier mouvement. La fougue et la vivacité du pianiste sont à l’oeuvre dans cette “improvisation” écrite par Beethoven et saluée ce soir par des applaudissements spontanés.
Son implication est totale dans cette pièce. Se levant dans les tutti, jouant de la main droite et dirigeant avec la gauche, le périlleux “joué-dirigé” – déjà pratiqué par Mozart et Beethoven en leur temps – ne laisse aucun répit à l’artiste et révèle sa solide expérience de l’exercice. Un enchantement.
Le concerto n°4 nous est ensuite proposé avec un éclairage inhabituel car celui-ci n’intègre pas la cadence originelle de Beethoven mais celle écrite par Brahms. Epicentre de la pulsation, François-Frédéric Guy emporte ensuite l’auditoire dans un Rondo éclatant et roboratif.

Une cohérence avant tout
Le lendemain l’intégrale se refermait sur les 1er et 5ème concerto devant une salle un peu moins remplie. Le 1er, mais second dans l’ordre de composition de ces pièces, porte en lui l’héritage mozartien, notamment dans l’introduction du second mouvement au piano. Le Sinfonia Varsovia, ayant pris ses marques depuis le concert de la veille, semble en meilleure forme dès les premières mesures. La dimension “chambriste” du concerto se fait particulièrement sentir : le piano est perçu comme un instrument de l’orchestre et non comme le soliste faisant face au tutti. C’est cette pâte sonore, cette cohérence d’ensemble, que François-Frédéric Guy souhaite véhiculer avant tout. “Ce qui compte c’est la couleur et le caractère” a-t-il d’ailleurs déclaré au sujet de ces concertos.
On parviendra à l’acmée de cette intégrale avec le grandiose concerto “L’Empereur”. Pour l’anecdote, Beethoven, atteint de surdité, ne put lui-même interpréter cet opus…
Dès le premier mouvement les accords vigoureux de l’orchestre font face aux traits virtuoses du pianiste. Le “chef-pianiste” dirige avec la même alacrité communicative depuis le début de ce cycle, et finit par nous emporter dans la danse du puissant Rondo final.
Outre l’évolution symphonique au fur et à mesure de ces pages, la lecture du cycle complet nous a aussi permis de mesurer le talent d’improvisateur de Beethoven grâce aux différentes cadences interprétées avec un naturel déconcertant.

Kagel en fil rouge du Printemps des Arts
En fil rouge du festival, Marc Monnet, directeur artistique du Printemps des Arts de Monte-Carlo, avait choisi des pièces de Mauricio Kagel, plutôt étonnantes et déroutantes pour le public. Le premier soir, les percussionnistes Jean-Baptiste Bonnard et Adélaïde Ferrière interprétaient Rrrrrrr…, six pièces pour deux percussionnistes, commençant toutes par la lettre”R”.. Une oeuvre faisant voler en éclat la mesure du temps en transformant le musicien en acteur. Les gestes sont précis et accompagnent un voyage scénique théâtral : bruit de locomotive en soufflant sur une feuille de papier, Ranz des vaches, imitation du chant de cloches... Les musiciens utilisent ici différents moyens pour donner vie à cette oeuvre inclassable. Le deuxième soir, nous découvrons une autre facette de Kagel avec Con voce, pour trois interprètes muets et instruments ad libitum : un accordéon, un piano et deux percussionnistes. Une invitation à l’émancipation des musiciens par leur propre voix, libérés du joug de leur instrument. Les premières minutes, silencieuses, en compagnie de musiciens totalement immobiles, ont aiguisé la curiosité d’une partie du public, oscillant entre rires et interrogations. Les artistes utilisent ensuite leur voix en lieu et place du son provenant des instruments. Un mutisme instrumental pour mieux percevoir la voix de chaque interprète… Le Printemps des Arts continue de nous surprendre !
Le Printemps des Arts se déroule du 15 mars au 14 avril 2019.