L'orgue de la Grande Salle Henry Le Boeuf @ Denis Erroyaux
L'orgue de la Grande Salle Henry Le Boeuf @ Denis Erroyaux

Bruxelles : Le Palais des Beaux-Arts fête le retour de son orgue !

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Après l’installation de deux orgues de salle à Paris, c’est au tour de Bruxelles d’inaugurer un orgue  flambant neuf au cœur du Palais des Beaux-Arts. En fait, une renaissance pour cet instrument contraint au silence depuis 50 ans, et dont le buffet de style art déco fut dessiné par Victor Horta, architecte de la Grande Salle Henry Le Boeuf. Du 15 au 22 septembre, le festival InORGuration célèbre ce retour en compagnie de prestigieux musiciens. Parmi eux, nous avons rencontré les compositeurs et organistes Bernard Foccroulle et Benoît Mernier, dont les pièces seront créées lors de cet événement.

 

La vie de l’orgue du Palais des Beaux-Arts n’a pas été un long fleuve tranquille ! La première version de l’instrument réalisé par Joseph Stevens, facteur d’orgue à Duffel, date de 1930. La composition est alors signée Paul de Maleingreau, en charge de la classe d’orgue du Conservatoire royal de Bruxelles. Ce dernier inaugure un instrument doté d’une grande « polyvalence », dans le pur style néoclassique, aux côtés du directeur de ce même conservatoire : un certain Joseph Jongen, qui composa sa Sonata Eroica pour l’occasion. L’instrument accueille ensuite des organistes de renom : on peut y entendre notamment l’intégrale des œuvres pour orgue de Jean-Sébastien Bach par Charles Hens.

Hélas, l’aventure musicale s’arrête là. En 1967, un incendie le rendra muet…
En attendant, on installera provisoirement un orgue néobaroque hollandais dans le buffet – par ailleurs non adapté au volume de la salle – qui donnera lieu à quelques essais électroacoustiques. (voir l’interview de Benoît Mernier ci-dessous).

C’est sous l’impulsion du célèbre organiste et compositeur belge Bernard Foccroulle, en 1988, que le projet de réalisation d’un nouvel instrument est initié. Une commission composée de Jean Ferrard, Kamiel D’Hooghe, Joris Verdin, Benoît Mernier, Olivier Latry et Eric Brottier est réunie pour plancher sur les différents aspects techniques et artistiques de l’orgue. Il s’agira d’une construction fidèle à l’esprit du premier instrument : une approche à la fois traditionnelle et contemporaine afin de laisser libre cours à la créativité des interprètes et des compositeurs.

 

Doté de 4 claviers, 60 jeux et constitué de plus de 4000 tuyaux, l’instrument dessiné par Victor Horta offre tout de même huit plans sonores ! Avec des évolutions possibles : le logiciel de transmission pensé par l’ingénieur Daniel Debrunner permettant de nombreuses configurations. En effet, déjà équipé d’une console compatible MIDI (protocole de communication entre instruments), l’orgue pourra aussi être doté d’une « lutherie électronique » * et une « traction proportionnelle » permettra de lier le toucher aux claviers au contrôle des soupapes situées sous les tuyaux.

Cette construction, menée par la Manufacture d’Orgue luxembourgeoise Westenfelder a débuté en 1993, et s’est finalisé avec Bernard Hurvy et Olivier Robert, facteurs d’orgue français. Côté budget, la facture atteint un peu plus d’un million d’euros, financé principalement par des fonds privés.

Ce n’est pas le seul orgue de salle en Belgique, l’orgue Schyven de la Salle Philharmonique de Liège installé en 1888, a été inauguré en 2005 après une restauration entreprise par la Manufacture d’Orgues Thomas et la Manufacture d’Orgues Luxembourgeoise. L’orgue du Conservatoire royal de Bruxelles n’est actuellement plus jouable mais un projet de restauration va être initié. Tout comme celui de l’ancienne Maison de la Radio bruxelloise Le Flagey, qui devrait faire l’objet de travaux à l’avenir.

 

*La lutherie électronique permettra de capter et de restituer en temps réel les sons produits par les tuyaux, et l’organiste pourra les modifier numériquement depuis la console.

 

L’inORGuration

Un programme copieux sera proposé durant les  festivités : on retrouvera, entre autres, Olivier Latry et le Belgian National Orchestra pour la création du Concerto pour orgue de Benoît Mernier, la création mondiale de E vidi quattro stelle de Bernard Foccroulle, Thierry Escaich et l’Orchestre symphonique de La Monnaie dans la Toccata Festiva de Samuel Barber, et l’Orchestre Philharmonique de Liège clôturera le festival avec la célèbre Symphonie n°3 avec orgue de Camille Saint-Saëns. Sans oublier un ciné-concert dont la musique sera signée Karol Beffa.

Retrouvez toute la programmation sur le site BOZAR.

Le concert d’inauguration du 15 septembre, présenté par Yoann Tardivel, et celui du 18 septembre, seront diffusés sur Musiq3.

 

Interview – Bernard Foccroulle

Bernard Foccroulle @ Yves Gervais
Bernard Foccroulle @ Yves Gervais

Bernard Foccroulle, organiste et compositeur, évoque sa pièce E vidi quattro stelle et le futur du nouvel orgue.

 

Ce soir sera inauguré l’orgue du Palais des Beaux-Arts, que ressentez-vous à l’approche de cet événement ?

C’est une très grande satisfaction car le projet est né en 1988. Ce ne fut pas simple, des inondations et des travaux dans la salle ont notamment retardé l’échéance… Maintenant, l’instrument figure parmi les plus beaux orgues de salle européens ! Ses caractéristiques sont uniques et il dispose d’un fort potentiel d’utilisation. Il peut désormais jouer un rôle dans le monde musical et intéresser le milieu de l’orgue au niveau mondial, en particulier les compositeurs, grâce aux nombreuses possibilités de mélange des jeux.

 

Votre pièce E vidi quattro stelle sera donnée en création mondiale lors de cette semaine d’inORGuration. Quelles en sont les particularités ?

Cette création d’une durée de 50 minutes s’inspire de fragments du Purgatoire de Dante. Je voulais faire entendre l’orgue de façon « orchestrale », avec une soprano, un baryton, un cornet à bouquin, trois saqueboutes, et une harpe. L’orgue est ici utilisé d’une façon inédite, dans un contexte vocal et instrumental qui puise sa source aux origines de l’opéra. On peut rapprocher le style de cette pièce de l’oratorio, voire de l’opéra, mais sans la mise en scène. La musique, teintée d’une dimension dramatique, accompagne le récit, des moments les plus sombres en évoluant vers les plus clairs.. Il y a aussi un travail de continuum des timbres entre les instruments.

 

Comment cet orgue va-t-il vivre à présent ?

On observe plusieurs dimensions. L’orgue sera utilisé de manière traditionnelle, en récital solo. Ou associé avec un orchestre, un choeur, par exemple. Une dimension éducative sera également proposée. Un volet interdisciplinaire est envisagé avec, entre autres, la danse ou la littérature . Et enfin, l’orgue « laboratoire » : de nombreux projets vont pouvoir nourrir les réflexions au 21ème siècle. Nous allons aussi ouvrir l’instrument à d’autres formes non classiques, le faire partager aux jeunes générations. Il s’agit d’un vrai enjeu !

 

Interview – Benoît Mernier

Benoît Mernier à la console de l'orgue du Palais des Beaux-Arts © Bozar Yves Gervais
Benoît Mernier à la console de l’orgue du Palais des Beaux-Arts © Bozar Yves Gervais

Benoît Mernier, organiste et compositeur, nous parle de sa participation au projet et de son Concerto pour orgue composé pour le concert inaugural du 15 septembre.

 

Comment avez-vous été associé à ce projet ?

En fait, je suis lié au Palais des Beaux-Arts depuis longtemps. Il y a quelques années j’ai proposé que l’on fasse des cycles de concert d’orgue dans cette salle. Pour le projet d’orgue, je suis arrivé à la fin des années 90. Puis j’ai été approché par la commission sur la partie concernant le logiciel de l’instrument. Le projet a donc pu évoluer sur cette question. De plus, lorsqu’un petit orgue du facteur hollandais Flentrop fut installé dans le buffet, nous avons réalisé des essais d’enregistrements de sons de l’orgue destinés à être diffusés par des haut-parleurs placés dans le buffet. Sons électroniques et acoustiques se mélangeaient ! C’était il y 30 ans, ce furent les prémices du projet de « lutherie électronique ».

 

Une pièce pour orgue et orchestre, est-ce une première pour vous ?

Oui c’est la première fois ! J’ai déjà écrit des concertos pour d’autres instruments comme le piano et le violon, mais c’est différent. Avec l’orgue, c’est beaucoup plus difficile de composer car l’instrument fonctionne « en négatif » avec l’orchestre. Ses jeux s’inspirent des sonorités de l’orchestre mais son pouvoir expressif est à l’opposé de ce dernier. L’orchestre propose une certaine souplesse et l’expressivité vient donc en travaillant les nuances et les dynamiques. L’orgue est quant à lui un orchestre extrêmement « raide », cette flexibilité est moins possible… Le moyen expressif le plus important est donc le temps ! La liaison entre les notes rend le discours plus ou moins expressif. Il faut donc utiliser des méthodes « trompe-l’oreille », en fondant les timbres entre l’orgue et l’orchestre. J’ai aussi utilisé des sons plus aigus ou plus graves à l’orgue, ce qui amplifie l’orchestre.

 

Votre Concerto pour orgue, qui sera crée pour l’inauguration, a donc été composé sur-mesure ?

La partition a été pensée sur-mesure et à la fois, il fallait qu’elle puisse être jouée sur d’autres instruments. Je me suis donc inspiré de cet orgue et j’ai aussi travaillé sur la spatialité horizontale et sur les plans sonores repérables. Certains jeux m’ont donné envie de les utiliser et de les mettre en avant. J’ai d’ailleurs souhaité faire entendre un maximum les couleurs de l ‘instrument. Il y a près de 200 changements de registrations (jeux de l’orgue) !

Un point important dans mon processus de création est le fait que Olivier Latry, un des plus extraordinaires organistes mondiaux, joue cette création. Son attitude, ses gestes à la console m’ont inspiré, ainsi que l’enregistrement de son concert à l’orgue de la Philharmonie de Paris. Ses changements de clavier très rapides, sa souplesse incroyable, sa précision et une certaine économie de mouvement me fascinent. Chez Olivier Latry, ce n’est pas une virtuosité exhibée ni de l’esbroufe !

Olivier Latry et Benoît Mernier © Yves Gervais
Olivier Latry et Benoît Mernier en répétition à la salle du Palis des Beaux-Arts © Yves Gervais

Concernant la structure de cette pièce, celle-ci est construite en 3 mouvements et débute par un grand geste flamboyant. Dans le premier mouvement, l’orgue dynamise l’orchestre par son jeu, sa présence. Pour le deuxième, je prends le contre-pied du Concerto pour orgue de Poulenc en supprimant les cordes et en utilisant les instruments à vent. Il y a aussi un rapprochement des timbres entre l’orgue et l’orchestre et des sons en harmonique. Le dernier mouvement propose un scherzo motorique laissant éclater une certaine jubilation.

 

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