Cette saison de l’Opéra de Monte-Carlo débute en gaité avec deux opérettes de Jacques Offenbach, Un mari à la porte et Monsieur Choufleuri restera chez lui le…, interprétées par des jeunes lauréats de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth de Belgique.
Elisabeth, reine des Belges (1876-1965) est l’une des mécènes les plus influentes du vingtième siècle. Elle a soutenu la création non seulement du prestigieux concours international qui porte son nom, mais aussi de l’Orchestre National de Belgique et de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth. Cette dernière, fondée en 1939 avec le violoniste belge Eugène Ysaÿe, a pour mission de former des futurs interprètes dans six domaines (chant, piano, violon, alto, violoncelle et musique de chambre), l’enseignement dans chaque discipline étant confié à des artistes en résidence. (Les cinq chanteurs en tournée à Monaco font partie des classes de José van Dam et de Sophie Koch.)

Un Mari à la porte (1859) sur un livret vaudevillesque dans le style de Labiche par Alfred Delacour et Léon Morand s’ouvre sur une jolie valse qui donne un ton un peu nostalgique à la pièce. Florestan Ducroquet (interprété par le ténor Fabien Hyon) est un jeune compositeur d’opérettes, qui fuit ses tenanciers. Il se retrouve dans la chambre de Suzanne (mezzo-soprano Mathilde Legrand), le jour de ses noces, alors qu’elle vient de se disputer avec Henri Martel, son mari (baryton Alexandre Artemenko). Martel la supplie — devant une porte fermée — de le rejoindre à la fête, mais elle reste butée malgré les encouragements de son amie Rosita (soprano Dania El Zein). La présence de Florestan Ducroquet auprès des jeunes femmes complique encore la donne. Sobre, mais efficace la mise en scène d’Yves Coudray crée l’atmosphère requise.
La musique charmante d’Offenbach a mis en valeur les voix de ces jeunes chanteurs. Dania El Zein était particulièrement agile dans la valse tyrolienne de Rosita « J’entends ma belle », tout comme Fabien Hyon dans le trio « Juste ciel ! que vois-je ? ». Les interprètes ont également démontré leur capacité de chanter ensemble dans les échanges de « Bonne nuit » dans le quatuor « Il se moque de toi ». Tous francophones et bons acteurs comiques, ils ont cependant eu du mal à entraîner le public (airs chantés incompréhensibles). Ce problème de projection de la diction (présent parfois même dans le dialogue parlé) était d’autant plus surprenant que l’opérette était présentée en arrangement pour piano (joué avec beaucoup de vivacité par Kira Parfeevets, qui est aussi chef de projet pour cette production), dans la salle Garnier, qui est petite et dotée d’une acoustique remarquable.
Heureusement ceci ne fut plus le cas dans la deuxième opérette au programme, Monsieur Choufleuri restera chez lui le…, composé en 1861 et dont le livret aurait été de la main de Charles de Morny (1811-1865), frère illégitime de Napoléon III. C’est une satire des plus comiques de la bonne société des années 1830, prétentieuse et entichée de bel canto italien. Ernestine, la fille de Monsieur Choufleuri, un riche bourgeois, est secrètement amoureuse de Chrysodule Babylas, un chanteur et compositeur d’opérettes sans le sou (comme Florestan Ducroquet dans Un Mari à la porte). Avec l’aide de son valet belge, Petermann, Choufleuri veut organiser une soirée musicale dans son salon pour épater le beau monde. S’y produiront les plus grandes vedettes du bel canto de l’époque : Henriette Sontag (1805-1854), Giovanni Battista Rubini (1794-1854) et Antonio Tamburini (1800-1876). Seulement, à la dernière minute et au grand désarroi de Choufleuri, ces vedettes se décommandent. La vive Ernestine vient alors à la rescousse de son père, y voyant un moyen pour lui extorquer son consentement à épouser Babylas. Elle lui propose de remplacer elle-même la Sontag, alors que Babylas et Choufleuri remplaceront respectivement Rubbini et Tamburini. Suivent alors sur un rythme endiablé et dans un italien de leur invention des pastiches de Rossini, Bellini et Donizetti, chefs-d’œuvre d’Offenbach, qui enchantent tout autant les invités de Choufleuri que le public de la salle Garnier.
Dans le rôle d’Ernestine la soprano Dania El Zein n’a aucune difficulté à parodier le style exagéré des airs du bel canto. Le ténor Pierre-Emmanuel Roubet quant à lui campe un Chrysodule Babylas particulièrement convaincant (dans le duo « Pedro possède une guitare »), jouant tout aussi bien l’accordéon que la guitare et chantant juste et avec puissance dans tous les registres. Le baryton Alexandre Artemenko est dans son élément dans le rôle de Choufleuri, où il a une autorité vocale et scénique lui faisant défaut dans Un Mari à la porte. Sa voix grave se marie bien à celles plus brillantes du couple d’amoureux, par exemple dans le trio italien de la parodie « Italia la bella ». Le ténor Fabien Hyon dans le rôle de Petermann fait rire par ses maladresses autant que par son accent belge. De plus, il a l’avantage de pouvoir vraiment parler flamand quand Choufleuri lui demande de parler anglais pour impressionner les invités. La mezzo-soprano Mathilde Legrand n’a qu’un petit rôle dans cette opérette (une des invitées prétentieuses de Choufleuri), mais elle l’incarne avec panache, ayant un talent indéniable pour les rôles comiques un peu outrés.
Nous espérons que ce partenariat entre l’Opéra de Monte-Carlo et la Chapelle Musicale Reine Elisabeth se poursuivra dans les prochaines années, donnant non seulement une opportunité aux jeunes artistes de se produire sur une scène prestigieuse, mais aussi au public d’entendre des œuvres rarement interprétées.