Le 23ème festival Toulouse les Orgues qui a envahi la ville rose du 29 septembre au 14 octobre a proposé – comme chaque année – une programmation renouvelée. Une recette qui fait le succès de cet évènement. Retour sur les concerts des 5 et 6 octobre dernier en quatre lieux de la ville, entre exigence, intimité, percussions et excentricités Second Empire !
Tandis que l’été bat encore son plein sur la ville rose, que les terrasses des cafés affichent une belle fréquentation, le festival dirigé par Yves Rechsteiner investit les tribunes des églises toulousaines, du matin jusqu’à tard le soir. Une programmation généreuse permettant de toucher un très large public, de l’amateur d’orgue au néophyte n’ayant jamais entendu un tel instrument !
Première étape, vendredi 5 octobre, à l’heure du déjeuner à l’église Notre-Dame de la Dalbade, avec le jeune talent Raphaël Olivier dans un programme réunissant des pièces de tradition symphonique française. Sacré programme où l’on trouvera la transcription de Pelléas et Mélisande de Gabriel Fauré par Louis Robilliard, Clair de Lune et Toccata (en remplacement de Naïdes) de Louis Vierne, puis une conclusion en apothéose avec la Suite op. 5 de Maurice Duruflé.
Fauré dont la musique pour orchestre est bien connue à l’orgue (notons le récent Pelléas et Mélisande enregistré par Louis Noël Bestion De Camboulas : album Visages impressionnistes) trouve son beau développement orchestral sur cet instrument à 3 claviers et 50 registres, passé notamment entre les mains des célèbres ateliers toulousains Puget et restauré en 2009 par Gérard Bancells et Denis Lacorre. L’irrésistible Sicilienne sait nous emporter avec grâce et légèreté avant la sombre Mort de Mélisande.
Clair de Lune de Vierne, extrait de sa Deuxième suite des Pièces de fantaisie, instaure ensuite un moment de pure poésie que l’on aurait espéré plus aérien afin de profiter pleinement de cet instant.
La virtuosité de l’organiste, lauréat de trois grands prix au Concours international Gaston Litaize – André Marchal en 2017, vient combler le public dans la Toccata du même Vierne, bijou de composition taillé dans la tradition symphonique.
Maurice Duruflé et sa Suite op.5 refermera le récital brillamment. On passe de la sobriété de la nuit (Prélude), au doux climat de la Sicilienne qui fait notamment chanter la Voix humaine, puis la déferlante provoquée par la Toccata finale – non sans rappeler celle de Vierne – vient conclure le récital avec virtuosité et puissance sur le généreux Tutti.
Autre lieu, autre climat, un concert à la bougie intitulé “Au jardin des délices” nous attend le soir à l’église Saint-François de Paule (Minimes) autour de Cantates baroques inspirées du Cantique des Cantiques. Les Kapsber’girls composées de deux chanteuses, d’une gambiste et d’une théorbiste, aux côtés de l’organiste Freddy Eichelberger, proposent des airs et motets du XVIIe siècle, en alternance avec des improvisations.
Placé en encorbellement sur le côté de la tribune, l’orgue fut réalisé par le facteur Pierre Vialle en 1991 puis relevé par Jean Daldosso. Le caractère hispanique et le tempérament mésotonique siéent à merveille au répertoire joué ce soir. Les pièces de Campra, Kapsberger, Monteverdi ou Merula distillent l’amour et la sensualité contenus dans ces poèmes issus de l’Ancien Testament.
Les voix enivrantes d’Axelle Verner et Alice Duport-Percier sont une caresse musicale pour l’auditeur, bercé par l’ambiance intimiste de l’église plongée dans le noir. De plus, la voûte située au-dessus de la tribune renvoie idéalement le son, ce qui amplifie le plaisir musical.
Les improvisations inspirées de Freddy Eichelberger ponctuent le concert à propos. Comment ne pas être séduit par cet instrument de seulement 16 registres, son jeu de trompette en chamade, ses fonds, ou son savoureux Cornet du Grand Orgue ?
Pour le bis, l’organiste viendra même unir sa propre voix à celle des chanteuses dans le pétillant Fuge et veni dilecte mi de Merula ! Une délicieuse soirée…
Le lendemain, rendez-vous à l’église-musée des Augustins pour un récital orgue et percussions “Mozhayique”, transcriptions d’oeuvres de Mozart et Haydn par Yves Rechsteiner et Henri-Charles Caget. Un programme de libres adaptations de pièces intitulé “Symphonie pour des temps révolutionnaires”.
Cela fait plus de 15 ans que les deux artistes collaborent étroitement. On pense entre autres au cd Rameau enregistré sur l’orgue de Cintegabelle édité chez Alpha, ou à leur travail autour des oeuvres de Zappa.
En fin de matinée, les rayons du soleil viennent baigner les tuyaux de façade de l’instrument. Signé Jürgen Ahrend, cet orgue est clairement d’inspiration baroque et sert parfaitement le répertoire des XVIIe et XVIIIe siècles. Mais il n’est pas en reste dans des oeuvres postérieures, la preuve avec ces transcriptions donnant une toute autre dimension aux sonorités de l’instrument. Joués depuis la tribune, les percussions et bruitages d’Henri-Charles Caget nous poussent à imaginer un seul et même instrument ”augmenté”. Imitations d’oiseaux et clochettes semblent des jeux pleinement intégrés à l’orgue.
Et l’illusion sonore fonctionne plutôt bien. La sensation orchestrale est même évidente dans certaines pièces. On pense au presto de la Symphonie N°92 “Oxford” de Haydn et à la Fantaisie en do mineur K 475 de Mozart où la puissance et la variété des registres de l’orgue, conjuguées aux percussions, transcendent et enrichissent l’image sonore reçue. Même si l’acoustique n’est pas aussi sèche qu’on le voudrait pour percevoir toutes les subtilités du duo, l’impression est bluffante.
Notre aventure organistique toulousaine s’achève à Notre-Dame du Taur pour la soirée “Sacré Lefébure ! Une étoile de l’orgue au Second Empire”. La musique de Louis James Alfred Lefébure-Wély, organiste parisien passé par les tribunes de Saint-Roch, La Madeleine puis Saint-Sulpice, souvent symbole de décadence, accompagna pourtant le renouveau de la facture d’orgue du XIXe siècle, notamment avec son ami Aristide Cavaillé-Coll.
Le remarquable orgue Puget, sous les doigts de Vincent Genvrin, donne toute sa puissance expressive au service de cette musique. Que ce soit dans les pages les plus lyriques (Élévation en mi majeur, Communion en fa majeur), dans les élans et les chromatismes propres à Lefébure (Offertoire en ré mineur), ou dans l’entraînante Sortie en mi bémol majeur – aux accents “circassiens” pourrait-on penser – l’organiste fait preuve d’une grande rigueur d’interprétation. On peut conseiller dans ce registre son très bel album “Lefébure-Wely : Messe de Noël à Saint-Sulpice” paru chez Hortus aux côtés de La Lyre Séraphique.
Ces pièces d’orgue alternent avec des oeuvres vocales tirées du plain-chant et extraites de la Messe de Dumont mise en contrepoint simple par Lefébure. Les quatres chanteurs de l’ensemble Scandicus, accompagnés à l’orgue de choeur par Fanny Cousseau (en remplacement de Jean-Claude Guidarini souffrant), se situent dans le choeur, donnant une spatialisation élargie au concert. On a particulièrement apprécié l’hymne Adoro te alternée qui met en valeur les jeux du Puget, Vincent Genvrin usant tour à tour de l’imposant tutti, des fonds, ou de l’éloquente Voix humaine dans les variations.
Ici, la sobriété des pièces vocales contrastent avec l’exubérance des pièces d’orgues plus “théâtrales” et légères interprétées au Grand-Orgue. Ainsi était appréciée la liturgie à Saint-Sulpice sous le Second Empire…
La 23ème édition de Toulouse les Orgues ne demeure pas seulement une réussite artistique par l’éclectisme de sa programmation, elle est également un succès de fréquentation. On a pu voir des églises affichant complet et un concert doublé (“Bach ou l’Art du choral” avec Benjamin Alard), ce qui pourrait sembler une gageure lorsque l’entrée est payante !
En misant sur l’exigence musicale et l’accessibilité, la ville rose semble avoir transformé l’essai une nouvelle fois.