Olivier Calmel © Isabelle Aubert

Le Colosse de Mahdia : la cantate humaniste d’Olivier Calmel

6 minutes de lecture

Envoyez-moi vos fatigués, vos pauvres,
Envoyez-moi vos cohortes qui aspirent à vivre libres,
Les rebuts de vos rivages surpeuplés
Envoyez-les moi, les déshérités, que la tempête m’apporte,
De ma lumière, j’éclaire la porte d’or !
Emma Lazarus, Le Nouveau Colosse  (1883)

 

Le Choeur régional Vittoria d’Île-de-France, a commandé une œuvre à Olivier Calmel, sur le thème de l’immigration, du rassemblement des peuples, de musique pendant la traversée… vers la Paix !  Le Colosse de Mahdia sera créé le 17 Mars 2017 à l’Eglise Saint-Antoine des Quinze-Vingts à Paris.

 

Est-ce votre première collaboration avec le Choeur régional Vittoria d’Île-de-France ?

Je connaissais le chœur et l’avais bien évidemment déjà écouté en concert, mais nous n’avions jamais collaboré auparavant. L’idée est venue de Boris Mychajliszyn (chef associé du Choeur régional Vittoria) qui connaissait mon travail, et de Michel Piquemal (directeur musical du Choeur régional Vittoria d’Île-de-France) qui souhaitait rendre hommage à Roger Calmel qui avait été son maître à la Maîtrise de Radio France et dont il avait créé plusieurs œuvres.
Michel a pensé à célébrer le père par une commande au fils, de façon à pouvoir mettre en avant à la fois le travail de mon père et une œuvre nouvelle, car la création contemporaine est quelque chose qui lui tient à cœur.

 

Est-ce que Michel Piquemal ne connaissait déjà votre travail ?

Pas du tout, j’avais 14 ans la dernière fois qu’on s’est parlé ! Michel a découvert mon travail par hasard sur internet et a apprécié ma musique. En parallèle j’avais rencontré Boris Mychajliszyn et nous avions évoqué la possibilité d’une commande. Dès lors, tout s’est mis en place très naturellement.

 

Pourriez-vous nous parler de la genèse du Colosse de Mahdia, que le Choeur régional Vittoria vous a commandé ?

En plus de travailler autour du double hommage à mon père et au travail de Michel, on souhaitait aussi mettre en avant le thème de la passation : d’un compositeur à l’autre et d’un chef à l’autre, avec un passage de baguette très symbolique, qui aura lieu pendant le concert.
Nous nous sommes donc mis à la recherche d’idées : on a creusé diverses possibilités et passé plusieurs mois à chercher des sujets et des textes. Finalement c’est ma mère qui, il y a 2 ans, a eu l’idée d’utiliser le texte du Nouveau Colosse, le célèbre sonnet d’Emma Lazarus, qui a été gravé en 1903 sur une plaque montée sur le socle de la Statue de la Liberté et qui symbolise l’accueil dans le Nouveau Monde. Le sujet de la migration, douloureusement actuel, nous tenait à cœur, car nous sommes des humanistes et nous défendons l’idée de l’accueil.

Entre temps j’avais contacté plusieurs auteurs pour écrire des textes originaux et du coup j’ai décidé d’associer deux textes, comme mon père avait fait pour sa Cantate Liberté, où il avait couplé un texte original de Daniel Duret avec le poème “Liberté” de Paul Eluard.
J’ai donc commandé le Colosse de Mahdia à Pierre-Henri Loÿs pour les trois premiers mouvements et utilisé Le Nouveau Colosse d’Emma Lazarus, pour le dernier. Cette structuration de la pièce est ainsi l’occasion de rendre un autre hommage à mon père, plus subtil, qui touchera ceux qui connaissent ses œuvres.

De quoi parle le texte de Pierre-Henri Loys ?

Le Colosse de Mahdia est le nom d’un bateau sur lequel embarquent deux enfants, Nahom et Amina, au départ du port de Mahdia, en Tunisie. Il s’agit d’un lieu très symbolique en tant que lieu de départ de nombreuses embarcations d’immigrés en quête de fortune.
On ne sait pas si ces enfants sont seuls ou accompagnés, mais l’on sait qu’ils sont partis pour chercher un monde meilleur pour eux et leur future famille. On ne sait pas où ils vont ni ce qui va se passer…
C’est une fiction sur un peuple quittant un pays potentiellement en difficulté, la destination n’est pas importante, c’est le voyage qui compte.

Le texte fait donc référence au Nouveau Colosse d’Emma Lazarus, qui lui-même se réfère au Colosse de Rhodes, qui représente l’Ancien Monde ne pouvant plus accueillir les migrants, lesquels se tournent donc vers le Nouveau Monde.
Chaque Colosse prend ainsi le relais du précèdent…

 

Comment avez-vous traduit tout cela en musique ?

Colosse est une œuvre pour chœur mixte à quatre voix, orchestre à effectif réduit, percussions et baryton solo. La forme est celle d’une cantate au format très classique de quatre mouvements. La connotation est orientale et il y a une prépondérance des rythmes. Le sujet est dramatique, mais la cantate se termine tout de même par la lumière, afin de laisser une note d’espoir : “De ma lumière, j’éclaire la porte d’or !”, dit le texte d’Emma Lazarus.

Ma création, qui parle de migration, de souffrance humaine et de lumière, s’intègre parfaitement avec le reste du programme de la soirée : A Little Jazz Mass de Bob Chilcott, Les Chemins retrouvés de Roger Calmel, et Thèbes II, une pièce instrumentale que j’ai composée pour faire la transition entre l’œuvre de mon père et la mienne.

 

Cette pièce a été composée expressément pour le concert ?

Oui, Michel et Boris souhaitaient scénariser la passation entre les chefs, il fallait donc une pièce ayant le triple objectif de réunir les deux cantates, afin de permettre à ceux-ci de se retrouver à un moment sur scène ensemble et ne pas interrompre la musique.
J’ai donc utilisé la texture des Chemins retrouvés pour aller vers ma pièce, avec une transition qui annonce le caractère oriental de ma cantate, que l’on ne retrouve pas dans celle de mon père.

 

L’idée du Colosse de Mahdia remonte à il y a deux ans, pourtant son sujet résonne fortement aujourd’hui, entre la crise des réfugiés en Europe et la politique anti-immigration de la nouvelle administration américaine…

Oui, en Europe on revient à un repli sur soi et à la fermeture des frontières, pendant que les États-Unis nient leur longue histoire d’ouverture, comme en témoigne le texte d’Emma Lazarus qui se trouve sur la Statue de la liberté, et qui symbolise notamment l’idée d’accueil.

Le Colosse de Mahdia pose donc  la question d’un nouveau monde qui puisse accueillir les flux migratoires qui ont toujours été constants dans l’histoire de l’humanité. Cette pièce est donc devenue un manifeste pour l’accueil, une ode aux différences tout autant qu’une forme de résistance au repli sur soi — toutes dimensions confondues.

Y a-t-il des similitudes entre votre style compositif et celui de votre père ?

Évidemment il m’a tout naturellement influencé : il y a des similitudes dans les enchaînements harmoniques et dans l’utilisation des enharmonies comme pivots tonaux. On partage aussi une écriture en accordéon où, à partir d’un groupe de notes très restreint, on élargit par mouvements contraires les voix, ce qui toujours très efficace en musique vocale.

Pour ce qui concerne les différences : j’ai par exemple une approche très pragmatique au rythme, et la danse est beaucoup plus présente dans ma musique.
Mon orchestration est très riche et plus détaillée, mais l’écriture vocale de mon père est limpide et extrêmement efficace.
J’apprends toujours beaucoup de ses partitions au niveau de la conduite des voix : pour moi ce sont de grandes leçons d’écriture et de contrepoint vocal.

 

Quels sont vos prochains engagements ?

Après avoir répondu à des commandes soutenues de grands effectifs depuis un an, notamment pour la Maîtrise de Radio-France, le Paris Brass Band, la Musique des Gardiens de la Paix et l’ensemble Nouvelles Portées, ma création s’oriente vers la musique de chambre pour quelques mois : une pièce pour Les Violons de France de Frédéric Moreau, un duo saxophone et accordéon pour Eric Comère et Michel Supéra et des œuvres pour chœur. S’ensuivra une commande d’un concerto grosso pour quatuor de cors et orchestre, une suite pour le quatuor Spiritango et une commande pour chœur a capella.

Le deuxième semestre 2017 sera très riche avec de nombreuses pièces reprises, que ce soit Radiance (concerto pour euphonium), Caravane Gazelle (quintette à vent), les projets Double Celli et Cinematics, ainsi qu’une résidence de composition à la Philarmonie pour le projet Demos, un projet de démocratisation culturelle qui permet à des amateurs de jouer avec un orchestre professionnel et de créer une pièce écrite pour eux.

 


Concert Calmel « Passage » 
Création mondiale du  Colosse de Mahdia d’Olivier Calmel sur la filiation et les questions de migration

Jean Fischer, baryton
Thomas Tacquet, piano
Chœur régional Vittoria d’Île-de-France
Quintette à vent ArteCombo
Les Violons de France
Michel Piquemal et Boris Mychajliszyn, direction

 

En savoir plus :

Le Colosse de Mahdia sur le site du Choeur régional Vittoria d’Île-de-France

Soutenir la campagne de financement participatif du Colosse de Mahdia

Le site officiel d’Olivier Calmel

 

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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