Boris Mychajliszyn dirige le Choeur Vittoria
Boris Mychajliszyn dirige le Choeur Vittoria © Julien Berthaux

Le Colosse de Mahdia : une traversée onirique

4 minutes de lecture

Moment d’émotion pour Michel Piquemal et son Chœur Vittoria que ce concert « Passage » ! Un récital hommage, au croisement de multiples filiations, où l’on assistait à la naissance du “Colosse de Mahdia” (en création mondiale) composé par Olivier Calmel, fils de Roger Calmel. Pour l’occasion, le chœur était accompagné par les Violons de France et le quintette à vent ArteCombo. Embarquement immédiat à bord d’un bateau humaniste !

 

Le mot « Passage » prend indéniablement tout son sens ce soir. Pour bien saisir le lien entre les œuvres et les hommes, rappelons que le programme comportait successivement A little Jazz Mass de Bob Chilcott, la cantate Les Chemins retrouvés de Roger Calmel, puis une transition composée par Olivier Calmel, Thèbes II, avant son très attendu Colosse de Mahdia. Avec pour écrin l’église Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts, Michel Piquemal dirige la première partie du concert avant de céder sa place à Boris Mychajliszyn pour les œuvres d’Olivier Calmel.

La genèse de cette collaboration ? Michel Piquemal, directeur artistique du Chœur Vittoria et disciple de Roger Calmel, est séduit par la musique d’Olivier Calmel découverte par hasard, sur internet. En parallèle, une rencontre entre le chef associé Boris Mychajliszyn et le fils de Roger Calmel engendre cette fructueuse collaboration. Michel Piquemal, “défricheur” de répertoires (citons notamment la MisaTango de Martin Palmeri et la Messe solennelle de Pâques de Martial Caillebotte), a donc souhaité saluer la mémoire de Roger Calmel en commandant une œuvre à son fils. Hommage d’un élève à son maître, et d’un fils à son père…

Avant de découvrir cette création, il faudra patienter un peu. Les choristes du Chœur régional Vittoria d’Île-de-France entonnent d’abord A little Jazz Mass de Bob Chilcott, une messe en latin aux accents jazz et groove. Une partition rafraichissante, vigoureuse et enjouée,  joliment soutenue par une contrebasse, une batterie et un piano, installés devant les choristes.

Plus sobre, la cantate qui suit, Les Chemins retrouvés, de Roger Calmel, se veut une œuvre engagée contre les racismes, faisant intervenir un récitant (ici le chef Boris Mychajliszyn, très convaincant dans ce rôle !) et le baryton Jean Fischer dont la voix conquit l’auditoire. Le premier mouvement contemplatif, introduit par un poétique solo de flûte de Mayu Sato-Bremaud, contraste avec le deuxième, où est évoquée avec vigueur la haine de l’autre. L’occasion de saisir l’écriture de Roger Calmel, et notamment sa clarté des lignes vocales.

Œuvre pivot, Thèbes II fait le lien entre les deux cantates « Calmel »  en introduisant les saveurs orientales caractérisant Le Colosse de Mahdia. Une sorte de traversée vers l’autre rive que serait l’univers musical d’Olivier Calmel. Instant doublement symbolique puisque le passage sans transition d’un chef à l’autre (de Michel Piquemal à son chef associé Boris Mychajliszyn) a lieu à ce moment précis.

Peut-être moins perceptible pour les auditeurs, le clin d’œil à la cantate Liberté de Roger Calmel, composée de textes signés Daniel Duret et Paul Eluard. En effet, dans sa cantate, Olivier Calmel réunit lui aussi deux auteurs pour une même œuvre : Pierre-Henri Loÿs et Emma Lazarus.

Sans césure, place au Colosse de Mahdia ! Signé Pierre-Henri Loÿs, il est aussi le nom donné au bateau embarquant à son bord deux enfants : Nahom et Amina. « Mahdia étant le nom d’un des ports de Tunisie d’où partaient des embarcations de fortunes chargées d’immigrés » indique l’auteur. Un voyage onirique sans véritable destination. Une œuvre intrinsèquement humaniste : « cette pièce est […] un manifeste pour l’accueil, une ode aux différences tout autant qu’une forme de résistance au repli sur soi — toutes dimensions confondues » note par ailleurs  Olivier Calmel sur le programme.

© Julien Berthaux
© Julien Berthaux

Chante-moi la musique de chez toi,
Je te chanterai une mélodie écrite par mon père.

Et nous chanterons ensemble
Une autre musique encore,
Celle de nos enfants.
Heureuse traversée qui nous mène à eux !

Pour suspendre aux étoiles
Le pont de nos soupirs entre nos deux pays.

Extraits du Colosse de Mahdia, écrit par Pierre-Henri Loÿs

 

Les 3 premiers mouvements de la cantate éponyme reposent donc sur le texte de Pierre-Henri Loÿs, le dernier étant emprunté au Nouveau Colosse d’Emma Lazarus, inscrit sur le piédestal de la Statue de la Liberté à New-York !

Envoyez-moi vos fatigués, vos pauvres,
Envoyez-moi vos cohortes qui aspirent à vivre libres,
Les rebuts de vos rivages surpeuplés
Envoyez-les moi, les déshérités, que la tempête m’apporte,
De ma lumière, j’éclaire la porte d’or !

Extrait du Nouveau Colosse d’Emma Lazarus

 

Ce sonnet, symbole d’ouverture vers l’autre, prolonge le premier texte de manière très naturelle, érigeant la Statue de la Liberté en nouveau colosse, témoin du passé migratoire des Etats-Unis. On comprend d’ailleurs que ces lignes peuvent difficilement cohabiter aujourd’hui avec la politique anti-immigration du nouveau locataire de la Maison Blanche…

Musicalement, Le Colosse de Mahdia revêt de belles sonorités orientales, portées par une rythmique incisive éveillant toujours plus notre attention et notre curiosité. Avec la voix du baryton Jean Fischer en figure de proue, les Violons de France et le quintette à vent ArteCombo nous embarquent avec force et conviction sur ce navire sans phare. Et l’on est tenu en haleine jusqu’au climax où le chœur — qui prouve ici son aisance sur ce registre contemporain — exulte : « Je dresse ma lumière au-dessus de la porte d’or ! ». Une lueur d’espoir pour toutes les populations en quête d’un monde meilleur… Le public applaudit vivement, séduit par ce premier voyage mémorable du Colosse !

Notons que l’acoustique généreuse de l’église ne permet pas forcément une audibilité parfaite de ces textes, pourtant magnifiques… Souhaitons donc vivement que Le Colosse de Mahdia soit enregistré prochainement, afin d’entamer une nouvelle épopée humaniste ! Un « Passage » obligé en quelque sorte…

 


Concert Calmel « Passage »
Création mondiale du Colosse de Mahdia d’Olivier Calmel sur la filiation et les questions de migration
Le 17 mars 2017, Eglise Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts, Paris

Jean Fischer, baryton
Thomas Tacquet, piano
Chœur régional Vittoria d’Île-de-France
Quintette à vent ArteCombo
Les Violons de France
Michel Piquemal et Boris Mychajliszyn, direction

 

En savoir plus :

Le Colosse de Mahdia sur le site du Choeur régional Vittoria d’Île-de-France

Soutenir la campagne de financement participatif du Colosse de Mahdia

Le site officiel d’Olivier Calmel

 

Rédacteur en chef adjoint de Classicagenda, Julien Bordas rédige également depuis 2016 des articles d'actualité, des interviews et des chroniques de concerts. Sa passion pour la musique classique provient notamment de sa rencontre avec l'orgue, un instrument qu'il a étudié en conservatoire et lors de masterclass.

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