Pour les 20 ans de son ensemble Le Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm, sa directrice musicale et fondatrice, a choisi de donner du 9 au 20 mars 2022 au Théâtre des Champs-Élysées l’opéra Cosi fan tutte de Mozart (1790) dans une version scénique, avec la complicité du metteur en scène Laurent Pelly.
Un opéra Mozart-Da Ponte constitue toujours un défi ; sans doute encore plus grand quand il s’agit de Cosi fan tutte. Tel que cet ouvrage est mis en scène par Laurent Pelly, Cosi fan Tutte a l’aspect d’une “comédie dramatique”. L’intitulé que lui a donné Mozart lui-même n’est-il pas “dramma giocoso”?
L’argument repose sur l’idée initiée par Don Alfonso de mettre Ferrando et Guglielmo au défi de l’infidélité de leurs fiancées respectives Dorabella et Fordiligi. Le stratagème donne lieu à la fois aux rires et aux pleurs.



On pourra trouver étrange le dispositif scénique choisi (un studio d’enregistrement…) qui paraît bien inutile sur le plan dramatique et dont on aurait pu se passer. Par chance, il n’entrave pas la lecture du stratagème imaginé par le librettiste Lorenzo Da Ponte : Ferrando et Guglielmo sont censés partir à la guerre et délaisser un temps leur belle… pendant qu’ils se transforment en de méconnaissables Albanais qui entreprennent de les séduire. Et au bout du “conte”, avec succès !
Il y a du Marivaux dans cet ouvrage, de la mélancolie mais aussi parfois des moments dignes de la commedia dell’ arte. On frôle le tragique, sans y verser complètement, car les éclats de rires ne sont jamais bien loin.
La vive clarté de la mise en scène
La mise en scène de Laurent Pelly a l’immense mérite de projeter une vive clarté sur ce jeu cruel, surtout quand l’action se déploie dans le deuxième acte et que la fébrilité et l’inquiétude gagnent les cœurs, le tout dans un espace dépouillé, presque géométrique. On en oublierait presque, par moments, la musique !



Pour ce jeu de rôles, en costumes de ville, (à l’exception du travestissement en “Albanais”), la cheffe Emmanuelle Haïm a réuni la jeune fine fleur du chant français qui s’implique totalement dans la vision de Laurent Pelly évoquée ci-dessus. Une mention particulière pour le ténor Cyrille Dubois qui incarne avec sensibilité et panache, scéniquement et vocalement, un Ferrando d’une grande finesse ; sa voix est au sommet. Son compère le baryton Florian Sempey n’est pas en reste, et compose un savoureux Guglielmo, tout en retenue.
Duo féminin homogène
Concernant les deux “fiancées” de l’intrigue, Fiordiligi est interprétée avec éclat par la soprano Vanina Santoni ; elle traduit bien l’ambiguïté tendre et fragile de son personnage, toutefois les graves font parfois défaut ; à ses côtés, une Dorabella interprétée par la mezzo-soprano Gaëlle Arquez, toute en puissance, clarté et rondeur vocale. Elles forment un duo dramatique et musical très homogène, en robes légères et chaussures plates.



Deux autres personnages essentiels à l’intrigue complètent le plateau de solistes : Laurène Paterno donne à la servante Despina une tournure comique, parodique à l’excès, dont la voix légère s’égare parfois dans une certaine outrance en rapport avec la mise en scène.
Laurent Naouri, dans le rôle de Don Alfonso, le sage à l’origine de l’intrigue, est au centre de cette production : il est partout. Quand il n’est pas sur scène, sa présence est encore palpable. Le baryton est là au meilleur de son art, souverain vocalement et dramatiquement.
Un manque de rondeur mozartienne
La direction musicale d’Emmanuelle Haïm, à la tête de son Concert d’Astrée, dynamique et homogène, assure, avec une solide fermeté un rien martiale, la cohérence de l’ensemble. On en vient – presque – à regretter une relative absence de rondeur dans le son, une vibration mozartienne, absence qui n’est pas dénuée d’effets sur les chanteurs dont les interventions peuvent parfois manquer de la chaleur et de la tendresse requises.
Théâtre des Champs-Elysées à Paris
du 9 mars au 20 mars 2022.
“Cosi Fan Tutte” de Mozart,
Livret de Lorenzo Da Ponte.
Dramma giacoso en deux actes K 588 (1790)