Le jeudi 10 mars, le Festival du Printemps des Arts de Monte-Carlo a inauguré son édition 2022, la première sous la direction du compositeur Bruno Mantovani, avec un programme Guillaume de Machaut. Classicagenda était présent au concert d’ouverture et continuera à écrire sur le festival dans les semaines à venir.
C’est avec Ma fin est mon commencement, un rondeau en forme de palindrome musical, que les six membres de l’Ensemble Gilles Binchois ont entamé leur programme consacré au compositeur Guillaume de Machaut (ca. 1300-1377). Le texte, éminemment significatif, a été choisi par Bruno Mantovani comme devise du festival ; le même rondeau sera chanté vendredi 11 mars, en ouverture d’un concert de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg qui interprétera des œuvres d’Eötvös, Prokoviev et Bartók. Par cette devise Mantovani marque la continuité de son approche avec Marc Monnet qui fut le directeur du Printemps des arts depuis 2003.
Ce festival s’est toujours distingué par son mélange original de musiques d’époques et de styles différents. Comme l’a souligné Mantovani dans ses remarques introductives (faisant écho aux thèmes introduits dans la conférence d’avant-concert de la musicologue Isabelle Ragnard), la modernité de la musique de Machaut a inspiré de nombreux compositeurs contemporains et ses harmonies et rythmes complexes sont si innovateurs qu’ils peuvent encore choquer nos oreilles.
Une diversité d’interprétations possibles
Après le bref rondeau, Dominique Vellard et son Ensemble Gilles Binchois ont interprété la Messe de Nostre Dame de Machaut. Cette messe, la plus célèbre de la musique médiévale, invite à une grande variété d’interprétations. La musique doit-elle être interprétée a cappella ou avec des instruments doublant les lignes vocales, et si oui, quels instruments ? Les mouvements polyphoniques de Machaut doivent-ils se suffire à eux-mêmes ou être présentés dans un contexte liturgique avec l’ajout de plain-chant ? Quels types de voix doit-on utiliser, et doivent-elles être doublées ?
Elégance et sobriété
Vellard et son ensemble ont offert une vision élégante et sobre, comparée aux interprétations très ornementées de groupes tels que l’Ensemble Organum de Marcel Pères. Vellard a choisi d’intercaler divers introïts, graduels et alléluias en plain-chant entre les mouvements de la messe. Au-delà de toute considération d’authenticité liturgique, ces moments méditatifs ont eu pour effet de créer un contraste avec la brillante polyphonie de Machaut.



En résulte un agréable mélange sonore, qui met aussi en valeur l’individualité de chaque voix. Le timbre doux des contreténors Guilhem Terrail et David Sagastume contrastait vivement avec le ténor insistant de Gicacomo Schiavo et Vincent Lièvre-Picard et la rigueur du baryton Cyprien Sadek. Dominique Vellard a évité de créer des blocs sonores statiques en ajoutant des changements dynamiques saisissants, notamment des crescendos intenses pour résoudre les dissonances avant les cadences en quintes parfaites. L’acoustique de l’église Saint-Charles est particulièrement favorable à cette musique, offrant une belle résonance aux fins de phrases, sans pour autant obscurcir la diction remarquablement claire du texte.
Comme aujourd’hui les pandémies et les guerres étaient omniprésentes dans la France de Machaut. En raison de la guerre, le ténor ukrainien Roman Melish, résident de Kiev, a dû être remplacé au dernier moment par David Sagastume, ce qui donna une signification supplémentaire aux prières « Et in terra pax » et « Donna nobis pacem ».