L’édition 2021 du festival du Printemps des Arts de Monte-Carlo vient de s’achever, mais c’est un miracle qu’elle ait pu avoir lieu. Monaco reste l’un des seuls lieux du monde où la musique classique est jouée devant un public, mais la crise sanitaire a été un énorme défi pour ses organisateurs : l’édition 2020 a été annulée la veille de son inauguration et le festival de cette année a été sérieusement menacé.
Le succès du festival est dû au directeur artistique du festival, le compositeur Marc Monnet, qui lui fait ses adieux après dix-neuf saisons. Depuis 2003, Monnet construit une expérience musicale unique dans le paysage festivalier européen, présentant un mélange innovateur de styles et d’époques. Où peut-on entendre en une semaine de la musique traditionnelle mongole, un concert choral de Schütz, les derniers quatuors de Beethoven et des œuvres rarement jouées de Stockhausen ? En plus, il peut être fier d’avoir commandé pour le festival 64 créations de 42 compositeurs. Au fil des années, Monnet n’a cessé d’innover, en ajoutant des rencontres avec les artistes et des conférences par des musicologues, des concerts dans des lieux insolites, des « voyage surprises », et son propre label de disques…
Les thèmes de cette année furent ceux reportés de l’année dernière : Liszt, la deuxième école de Vienne et le clavecin français. Nous avons savouré plusieurs de ces concerts ayant lieu sur trois samedis consécutifs.



Le programme du 27 mars présentait deux chefs-d’œuvre de la deuxième école de Vienne. Le violoniste Tedi Papavrami a commencé le concert par une interprétation sobre et introspective du Concerto pour violon « À la mémoire d’un ange » d’Alban Berg. Après l’entracte, Kazuki Yamada a dirigé avec sensibilité et nuance la poème symphonique Pelléas et Mélisande, op. 5 d’Arnold Schönberg, lecture marquée par de belles interventions par les solistes de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, en particulier François Méreaux (alto) et David Lefèvre (violon).



La deuxième école de Vienne était de nouveau à l’honneur au concert du 3 avril, par Les Siècles, un orchestre jouant sur des instruments adaptés à chaque époque (d’où son nom), sous la direction de leur fondateur François-Xavier Roth. C’était leur premier concert devant un public depuis septembre dernier. Le programme a commencé par Chante en morse durable, pour accordéon et orchestre, création du compositeur en résidence au festival Gérard Pesson. L’accordéoniste virtuose Vincent Lhermet a déployé une large palette de couleurs et d’effets spéciaux, surtout dans les passages où Pesson met en valeur le soufflet de l’instrument. L’air soufflé est un thème important du concerto : les violonistes soufflaient — à travers leurs masques ! — et trois percussionnistes jouaient de l’harmonica. Pour la deuxième partie du concert, les instruments à vent ont échangé leurs instruments modernes pour des modèles allemands datant d’environ 1900, ce qui a produit une transformation marquante dans le son. Dans le Kammerkonzert pour piano, violon et treize instruments à vent de Berg, les superbes solistes Bertrand Chamayou (piano) et Renaud Capuçon (violon) ont été brillamment soutenus par les musiciens des Siècles. Le concert s’est achevé avec l’arrangement dense et coloré d’Arnold Schönberg du Klavierquartett g-Moll für Orchester, op. 25 de Johannes Brahms.



Pendant la dernière semaine, Le Printemps des Arts avait organisé un petit festival de clavecin, conviant trois des clavecinistes les plus célèbres sur la scène musicale : Olivier Baumont et Pierre Hantaï ; Andreas Staier avait dû annuler in extremis en raison des restrictions de voyage en vigueur en Allemagne. Le programme d’Olivier Baumont consistait en un survol de deux siècles de musique française, de Jacques Champion de Chambonnières à Claude Balbastre. Son jeu clair, épuré et délicat a captivé l’attention des auditeurs, récompensés de deux bis de Duphly et Corrette. Le concert de Pierre Hantaï contrastait avec le premier car Hantaï met l’accent plutôt sur la virtuosité que sur le raffinement. Dans un programme franco-allemand (Rameau, les Couperin, Händel et Bach), Hantaï a donné libre cours à sa son esprit de fantaisie dans deux préludes non mesurés de Louis Couperin (dont un comme bis) et a terminé son programme par la scintillante transcription de Gustav Leonhardt de la Partita en ré mineur pour violon, BWV 1004 de J. S. Bach.



A la sortie de ces concerts au Musée Océanographique, nous passons devant le palais princier où a justement lieu la relève de la garde. Elle nous fait penser à la transition qui s’effectue à la tête du Printemps des Arts. Rendez-vous donc dans un an pour découvrir les surprises que nous réservent son nouveau directeur le compositeur Bruno Mantovani.