Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2012, les entreprises ont investi 500 millions d’euros dans le mécénat culturel, en 2014, ce chiffre s’abaisse à 364 millions… Les chiffres publiés par l’ADMICAL – l’Association pour le Développement du Mécénat Industriel et Commercial – ne réconfortent pas les acteurs de la filière culturelle française. Si l’on ajoute à cela la baisse généralisée des subventions de l’Etat, de nouveaux leviers de financement semblent désormais primordiaux pour boucler les budgets. Et depuis quelques années, la Maison de la Radio, l’Opéra National de Paris, ou le Festival d’Aix-en-Provence, pour ne citer qu’eux, n’hésitent pas à faire appel aux particuliers pour financer leurs actions culturelles, rénover leur patrimoine vieillissant, ou faire vivre leur festival.
L’attrait des Français pour le patrimoine national et la culture n’est pas à démontrer. Et ces grandes structures poursuivent un objectif commun : continuer à attirer les entreprises, ressources financières conséquentes pour certaines institutions, tout en séduisant le mécène qui sommeille en chacun de nous.
Pour voir éclore de nouveaux projets, devrons-nous tous mettre la main au portefeuille, en digne héritiers de Caius Cilnius Mæcenas ? Ce patron des poètes, fervent protecteur des arts et des lettres dans la Rome antique, qui a par ailleurs laissé son nom au « Mécénat » ? Plus de 2 000 ans après sa mort, cette forme de participation est en tout cas plus que jamais d’actualité. Et la loi Aillagon du 1er août 2003, offrant des avantages fiscaux aux entreprises mais aussi aux particuliers, n’a fait qu’accélérer ce phénomène de démocratisation de la culture. Concrètement, chaque donateur particulier bénéficie d’une réduction d’impôt sur le revenu de 66 % du montant du don, dans la limite de 20% du revenu imposable. Ainsi, nous pouvons tous contribuer, à hauteur de nos moyens, au financement d’opérations de petite ou grande envergure.
A Radio France, l’arrivée du nouvel orgue de l’Auditorium fut l’occasion de lancer une campagne originale de mécénat intitulée « Un orgue pour tous ». Du haut de ses 12 mètres, l’instrument au 87 jeux, 5 320 tuyaux, 4 claviers, et 2 consoles, réalisé par le facteur d’orgue barcelonais Gerhard Grenzing, a d’ailleurs toutes les qualités musicales pour séduire ses futurs parrains. Avec l’orgue de la Philharmonie de Paris et celui de l’Auditorium Maurice-Ravel à Lyon, il fait partie, en France, des trois seuls instruments situés en salle de concert. L’hexagone totalise pourtant 12 000 orgues sur son territoire…
Alors que de nombreuses associations d’« Amis de l’orgue » sont en quête de parrains pour financer la restauration ou la construction d’instruments, l’objectif de ce mécénat est tout autre, Radio France ayant pris en charge les coûts de fabrication. « Nous souhaitons développer des projets innovants et inédits qui permettront à un large public de venir découvrir l’instrument, son fonctionnement et se familiariser avec son répertoire », détaille Pauline Thonier, chargée du mécénat à Radio France. Les dons récoltés ont également pour but de donner un nouveau souffle à la création musicale autour de l’orgue et de soutenir les jeunes talents ».
Pour réaliser ce financement participatif (ou crowdfunding), Radio France s’appuie sur la Fondation Musique et Radio créée en 2013, elle-même abritée par l’Institut de France. Un site internet dédié a vu le jour pour recueillir les dons en ligne et présenter le projet, tandis qu’un compteur affiche le nombre de tuyaux parrainés en temps réel.
Au terme de cette campagne – qui s’achèvera en juin – 7 projets devraient voir le jour. *
« Nous souhaitons réunir le public dans un cercle de passionnés, pour créer du lien et permettre à l’orgue de jouer le plus souvent possible » poursuit Pauline Thonier. Ainsi, tous les donateurs auront l’occasion de découvrir et d’entendre l’orgue.
Comme pour toute campagne de mécénat, une récompense vient gratifier le don effectué. Ce qui, il faut l’avouer, participe largement à la motivation des donateurs. « Pour les contributions les plus modestes (à partir de 15€), nous proposerons une présentation de l’instrument dans l’auditorium » assure Pauline Thonier. Puis on trouve un récital des mécènes de l’orgue, une invitation à un concert symphonique avec orgue, une invitation à l’inauguration officielle et pour les plus généreux (3 000 €)… un véritable tuyau de 40 cm fabriqué dans l’atelier du facteur.
De plus, un des tuyaux de l’orgue est attribué virtuellement à chaque donateur, quelle que soit sa contribution. Ainsi vous serez peut-être l’heureux parrain d’un ré2 de la Grosse tierce, d’un fa6 du Nazard, ou d’un do3 du Clairon ! Ces noms, qui peuvent parfois paraître barbares, ne sont autres que des jeux de l’orgue.
Pour promouvoir cette campagne, lancée en novembre 2015, Radio France compte sur ses différentes antennes. « Un message a été diffusé dans les premières semaines sur France Inter, Culture, Info et Musique, confie Pauline Thonier. Certains chroniqueurs ont évoqué la campagne dans leurs émissions et des bannières ont été diffusées sur les sites web du groupe ». La revue Orgues Nouvelles en a également fait écho.
Cette campagne de promotion sera-t-elle suffisante pour attirer le maximum de donateurs ? Début février, la Fondation comptabilisait plus de 300 dons en ligne et une centaine de chèque pour un montant de 35 000 € (soit environ 450 € par jour). Une somme qui augure déjà d’un beau succès car la campagne de crowdfunding se poursuit jusqu’en juin 2016. Et les concerts à venir seront sans conteste d’excellents catalyseurs de dons. Quoi qu’il en soit, Radio France ne pourra se passer de la participation d’entreprises mécènes afin de réaliser les projets les plus onéreux.



Quand il ne s’agit pas de financer des actions culturelles, certaines institutions font aussi appel au grand public pour restaurer son patrimoine. En 2013, l’Opéra national de Paris lançait sa première grande campagne en faveur de la réhabilitation de la « Ceinture de Lumière » du Palais Garnier. Aux côtés de l’AROP, l’Association des Amis de l’Opéra de Paris, la prestigieuse institution a donc réussi à redonner le lustre d’antan aux éléments de décoration et d’éclairage de la façade ouest du Palais Garnier. Il était temps : cette dernière n’avait pas fait l’objet de restauration depuis 1875, et compte tout de même 22 lampadaires, 2 candélabres, 4 cariatides, 4 colonnes rostrales et 2 colonnes impériales. Le budget de l’Etat étant consacré à la restauration des façades de l’Opéra, il restait à trouver 1 million d’euros pour ce projet ambitieux. Et l’institution a dû recourir au mécénat pour réunir une telle somme. Au total, 1,7 millions d’euros ont été collectés et près de 1000 donateurs ont pris part à ce projet d’envergure. Un véritable succès ! A l’instar de Radio France, un site internet, introduit cette fois-ci par une vidéo avec l’animateur Stéphane Bern, permettait d’effectuer des dons en ligne. Ces derniers démarraient à 50 € et pouvaient atteindre 150 000 € pour l’adoption d’une colonne rostrale ! Ces dons étaient bien sûr gratifiés d’invitations à la cérémonie d’inauguration, de mention des donateurs sur le site internet de la Ceinture de Lumière, ou encore de gravures originales en tirage limité. Les derniers travaux, concernant les éléments situés sur le côté est de l’opéra, s’achèveront fin juin 2016.
Vidéo de présentation de la campagne de mécènat de 2013 – Réalisateur : François Roussillon – Chef opérateur : Cédric Runser
Du côté des événements, le célèbre Festival d’Aix-en-Provence n’est pas en reste. Sur un budget de 22,38 millions d’euros, le mécénat représente 4,3 millions, soit 20% du budget. 80% des soutiens proviennent des entreprises nationales et régionales et 20% des particuliers. Le festival a tout de même réussi à réunir 200 membres dans son cercle des mécènes qui revendique 7 nationalités. Il faut dire, encore une fois, que la contrepartie est plutôt alléchante : service dédié et prioritaire de billetterie, accueil personnalisé, échange avec les artistes et l’équipe du Festival, séjours, galas et récitals privés…
D’autres célèbres institutions ont fait appel aux dons des particuliers, on peut citer le Musée du Louvre, le Château de Versailles, ou le Jardin des Plantes…
Avec internet et l’avènement des plateformes de crowdfunding, en quelques clics, il est aisé de participer à une multitude de projets culturels. On l’a vu, les contreparties et les réductions d’impôts sont plutôt attractives ! Cependant, la participation des entreprises, qui représente une part significative du mécénat en France, demeure primordiale pour financer d’importants projets culturels. Et l’Etat dans tout ça ? Frédéric Mitterrand indiquait en 2010 que « la responsabilité de l’État et des pouvoirs publics en général n’est pas seulement de financer la vie culturelle, mais d’encourager les initiatives de la société civile ». Doit-on y voir un désengagement ? Ou simplement les prémices d’une démocratisation de notre patrimoine culturel ?
* Ateliers et visites pédagogiques destinés aux scolaires, aux publics éloignés et à toutes les générations. Master-classes publiques : de prestigieux organistes proposeront aux étudiants de bénéficier de leurs conseils d’interprétation en public. Résidences de jeunes musiciens : en partenariat avec des conservatoires réputés, l’orgue sera mis à disposition des meilleurs étudiants organistes pour leur permettre d’être en contact avec l’instrument. Cycle « Orgue et cinéma » : l’orgue accompagnera régulièrement des projections de films dans l’auditorium. Fictions avec France Culture : la Maison de la Radio proposera de nouvelles fictions accompagnées par l’orgue de Radio France. Concours de composition : un prix sera créé pour permettre aux compositeurs d’exprimer leur créativité sur ce nouvel instrument. Le jury, composé d’organistes et de compositeurs de renommée internationale, mais aussi de spectateurs de l’auditorium récompensera la meilleure partition. Enfin, des commandes d’œuvres seront réalisées, mettant en valeur les innovations technologiques et musicales de l’instrument.