Ce vendredi 24 juin les mélomanes azuréens ont eu le plaisir d’accueillir l’ensemble baroque Europa Galante à la cathédrale Sainte Réparate dans le Vieux Nice. Ce troisième concert de l’année 2016 présenté par “Les Moments Musicaux des Alpes-Maritimes” marque la volonté de cette nouvelle association d’inviter des musiciens, autres que leur ensemble-en-résidence Café Zimmerman, réputés pour leur approche authentique et leur interprétation de la musique baroque. C’est une aubaine pour Nice qui malgré un public fidèle, une situation géographique centrale, et l’affluence des touristes, est encore peu desservie par des ensembles invités. La cathédrale de style piémontais est l’écrin parfait pour de tels concerts grâce à son acoustique favorable, et parce qu’en été elle offre un havre de paix et de fraîcheur.
Le violoniste Fabio Biondi et l’ensemble Europa Galante qu’il a créé en 1990 sont considérés aujourd’hui, et à juste titre, l’un des meilleurs ensembles baroques. Leur répertoire de prédilection est la musique préclassique provenant de toute l’Europe, de là leur nom d’Europa Galante.
L’adjectif “galante” se réfère au style dominant de la génération avant Haydn et Mozart. Ce style se caractérise par des mélodies chantantes, des accompagnements légers et limpides, une recherche de charme et de simplicité, contrastée avec la musique baroque plus savante et contrapuntique de compositeurs tels que Jean Sébastien Bach et Georg Philip Telemann.
Europa Galante est un ensemble à géométrie variable. Pour leur concert de Nice, ils étaient douze musiciens : six violons, alto, violoncelle, violone, théorbe et clavecin. Ils ont joué des œuvres uniquement italiennes comprenant des symphonies, des concerti grossi et deux concerti pour violon solo, ces derniers joués par Fabio Biondi, qui dirigeait du violon. Il faut noter que les musiciens jouaient debout, ce qui est favorable à l’acoustique et conforme à l’iconographie représentant les concerts de cette époque, où l’on jouait assis à l’opéra et debout pour la musique de chambre.
Le concert a débuté avec la Sinfonia en fa majeur de Giovanni Baptista Sammartini (1700-1775), l’un des premiers maîtres de la symphonie, dont les œuvres furent parfois attribuées à Haydn pendant la période classique. Dès le premier mouvement (presto) l’approche personnelle de Biondi est évidente : chaque phrase semble conduire vers un but, souplement et sans artifice. L’ensemble joue avec une palette de nuances impressionnantes, du pianissimo au subito forte, et avec une justesse parfaite, tâche difficile à cause de la chaleur ce soir-là. Dans le deuxième mouvement (andante), l’échange entre le violon, le violoncelle et l’alto est émouvant par son intimité.
Les deux œuvres suivantes d’Antonio Vivaldi (1678-1741) font partie du répertoire par lequel Europa Galante a gagné sa réputation: la Sinfonia Il Coro delle Muse RV149 et le Concerto RV357 en la mineur du recueil “La Stravanganza”. Dans ses interprétations très personnelles des œuvres datant de la fin de la vie de Vivaldi, Biondi aime clore les mouvements vifs d’une manière détendue tant au niveau du son que du tempo, une subtilité qui le met à part d’autres chefs d’orchestres baroques.
Nous avons découvert avec délectation les œuvres de compositeurs moins connus aujourd’hui comme Gaetano Pugnani (1731-1798) et Pietro Nardini (1722-1793). Le turinois Pugnani fut l’un des plus célèbres violonistes de son époque, dont la renommée s’étendait de Londres à St Petersburg; c’était pour ainsi dire le Fabio Biondi de son époque.
A la différence de la structure tripartite habituelle vif-lent-vif de la plupart des symphonies de son temps, la Sinfonia en si bémol majeur de Pugnani est en quatre mouvements: adagio, allegro assai, andante avec en conclusion un joyeux menuet avec trio, ce dernier introduit par un effet de bourdon rustique. Dans le Concerto pour violon en la majeur Op. 1, no. 1 de Nardini, Biondi improvisa des cadences d’une rare beauté.
Le concert s’est achevé par le célèbre Concerto grosso no. 12 de Francesco Geminiani (1687-1762), tiré de la Sonate Op. 5, no. 12 d’Arcangelo Corelli, construit sur des variations sur “La Follia”. Tous les musiciens se sont distingués par une virtuosité hors norme.
Acclamé par des auditeurs appréciatifs, l’ensemble a offert comme bis un allegretto tout en pizzicato de la musique du ballet Dom Juan de Christoph Willibald von Gluck (1714-1787), petit moment magique qui s’est achevé tout en douceur. Puisque Gluck fut l’élève le plus célèbre de Sammartini, le premier compositeur représenté dans ce concert, la boucle était élégamment bouclée. Europa Galante nous a rappelé que l’art avait unifié l’Europe au dix-huitième siècle, un baume pour un public bouleversé par les évènements politiques de la semaine.