Ce dimanche 30 avril, lors de la dernière représentation de l’ultime spectacle de la saison de l’Opéra de Monte-Carlo, Daniel Harding a montré qu’Il trovatore de Verdi dépassait les airs de bravoure pour quatre solistes ! Sans ouverture ni interludes orchestraux, Il trovatore est parmi tous les opéras du compositeur, l’œuvre la plus centrée sur les voix. C’est la raison pour laquelle le célèbre ténor Enrico Caruso a remarqué ceci : « Pour Il trovatore, tout ce qu’il faut ce sont les quatre meilleurs chanteurs du monde » (formule longtemps attribuée à tort à Arturo Toscanini).
Or, le succès du Trovatore doit énormément au chef : il doit nuancer les accompagnements, assurer l’équilibre des ensembles vocaux, coordonner les interventions du chœur, régler le tempi, aider les solistes à façonner leur chant et marquer les points culminants des actes.
L’histoire des deux fils du Comte de Luna, séparés dès le berceau par la superstition et la guerre, provient du drame historique El Trovador (1836) d’Antonio Garcia Gutierrez. Ce drame romantique, situé dans une société archaïque (XVe siècle) et rempli de rebondissements aussi épouvantables qu’invraisemblables, séduisit le public de Verdi et de ses librettistes Salvatore Cammarano et Leone Emanuele Bardare en 1853. Le défi pour un metteur en scène d’aujourd’hui d’en donner une interprétation également attrayante est de taille! Francisco Negrin a relevé ce défi en s’inspirant de la tragédie grecque et en soulignant les thèmes de la vengeance et de l’acharnement du destin. Il donne par ailleurs une assise psychologique aux fantasmes qui animent les personnages.

Le passé qui hante les personnages du Trovatore c’est la vieille gitane, brûlée sur le bûcher par le vieux comte de Luna et la vengeance ratée de sa fille Azucena qui, ayant voulu tuer le fils cadet du comte, pousse au contraire son propre fils dans le bûcher, et depuis élève le fils du comte (Manrico, le trouvère) comme le sien. Azucena est complètement conditionnée par ce passé ; son obsession de vengeance détruit tout sur son passage, même Manrico, qu’elle aime pourtant d’un amour filial profond.
Le présent c’est la nouvelle génération, représentée d’abord par Leonora, la jeune fille noble dont sont amoureux les deux frères rivaux, le Comte de Luna et Manrico. Promise au comte de Luna, Leonora est tombée amoureuse du trouvère Manrico. Elle est la seule à croire à un avenir différent du passé et à se battre jusqu’au bout pour l’obtenir. Or, comme les autres jeunes gens, elle n’a aucune liberté d’action ; elle est comme ligotée par le passé. Negrin évoque l’omniprésence du passé par la présence constante sur scène du fantôme du petit garçon et de la vieille gitane, tous deux brûlés vif par erreur, et des fantômes des guerriers morts dans les guerres civiles qui ont ensanglanté le pays depuis des années en Espagne. Les murs et les cloisons mobiles représentent les divisions entre les clans et les personnes. Finalement, les six figurants enfants représentent le présent qui ne pourra pas s’apaiser dans un monde régi par la violence du passé.
La scénographie de Louis Désiré est très sombre, illuminée seulement par les brasiers, flambeaux et torches évoquant le souvenir des bûchers (lumières de Bruno Poet). Les costumes simples, aussi de Louis Désiré, sont adaptés à cette interprétation.
En ce qui concerne les voix, le spectacle est dominé par l’Azucena délirante de la mezzo-soprano russe Marina Prudenskaja, qui est impressionnante autant dans ses airs que dans ses duos avec Manrico. Maria Agresta, dans le rôle de Leonora, est appréciée pour ses qualités vocales : sa voix est pleine et souple, ses accents passionnés. Par contre, quand elle chante dans l’aigu, le son de ses piano se détériore et devient trop diffus. Ce n’est qu’un petit défaut, remarqué, entre autres, à la fin de son air de la quatrième partie « D’amor sull’ali rosee », dont le début est exemplaire.
Le ténor à la voix argentée Francesco Meli dans le rôle de Manrico est tout à fait convaincant en tant qu’acteur et chanteur. Son air de la deuxième partie « Ah ! si, ben mio » est l’un des points forts du spectacle. Le baryton Nicola Alaimo dans le rôle du Comte de Luna chante son air d’amour « Il balen del suo sorriso » avec un phrasé expansif, mais incarne tout aussi bien le rival malfaisant et hargneux. On regrette que ces deux artistes aient parfois forcé dans les forte, ce qui n’est guère nécessaire dans une petite salle de 500 spectateurs.
Le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, préparé par Stefano Visconti, maintient le haut niveau de cette saison verdienne exigeante. Hormis quelques échanges compliqués en staccato avec l’orchestre dans la deuxième partie, la coordination était précise.
30 avril 2017, à Monaco.
Coproduction avec le Teatro Real de Madrid.
Mise en scène : Francisco Negrin
Décors et costumes : Louis Désiré
Lumières : Bruno Poet
Le comte de Luna : Nicola Alaimo
Leonora : Maria Agresta
Azucena : Marina Proudenskaïa
Manrico : Francesco Meli
Ferrando : José Antonio Garcia
Inès : Karine Ohanyan
Ruiz : Christophe Berry
Un messager : Gianni Cossu
La mère d’Azucena : Sophie Garagnon
Choeur de l’Opéra de Monte-Carlo
Chef de choeur : Stefano Visconti
Orchestre philharmonique de Monte-Carlo
Direction musicale : Daniel Harding