Patrizia Ciofi © Jean-Pierre Maurin
Patrizia Ciofi © Jean-Pierre Maurin

Haendel par Patrizia Ciofi et Il Pomo d’Oro : ensorcelant !

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Dans le cadre des Grandes Voix, à la Philharmonie de Paris, la soprano italienne Patrizia Ciofi et l’ensemble Il Pomo d’Oro nous livraient mardi 25 avril un récital consacré presque entièrement à Haendel et aux grands rôles de reines, de magiciennes et d’enchanteresses qui abondent dans son répertoire.

C’est peu dire que, tout au long de la soirée, l’enthousiasme de la salle (pourtant loin d’être pleine) s’est peu à peu muté en véritable triomphe. Revenons donc sur cette soirée particulièrement ensorcelante.

Le concert débute par un « Morrai, si » (Rodelinda) qui sonne comme un tour de chauffe. L’air expose un certain nombre de défauts habituels chez Patrizia Ciofi. Car oui, il faut tout de même le reconnaître, cette voix possède de nombreux défauts : les registres sont assez discontinus, on frôle souvent la rupture dans l’aigu, beaucoup de notes sont attaquées très bas avant de remonter progressivement par un effet qui s’apparente parfois au hululement, les vocalises ne sont pas toujours d’une netteté exemplaire, et on a connu des trilles plus propres. Mais ce qui est curieux chez Patrizia Ciofi, c’est que ces défauts nous font encore plus aimer cette voix au timbre si délicieusement voilé. Et dès « Ah! Ruggiero crudel », on les oublie tout simplement. L’air d’Alcina est le plus résolument théâtral du programme. Il est également le plus réussi. Car Ciofi ne cherche pas seulement à faire de la belle musique ou à cultiver le beau son. Ce qu’on entend ce soir, c’est véritablement du théâtre ! Et si certaines notes sont volontairement laides, c’est pour mieux exprimer la rage de la magicienne abandonnée. Si la voix s’étrangle presque dans l’attaque de « Ombre pallide », il se dégage tout de même de ce chant une intensité incroyable et un supplément d’âme qu’on ne trouve pas toujours dans des voix plus orthodoxes.

Dès les introductions orchestrales, c’est tout le corps de Ciofi qui chante. À plusieurs reprises, elle se retourne vers les musiciens en agitant les mains, comme pour se nourrir de leur énergie et leur transmettre la sienne. Et la générosité de cette artiste merveilleuse emporte progressivement toute la salle. Car ce soir, on est à mille lieues de l’interprétation tiède. Dans ces airs où la prise de risques est permanente, la technique n’est jamais une fin en soi, mais une manière de véhiculer une émotion soutenue. Et ce soir, l’émotion est décidément bien présente !

Dans « Ah! mio cor », toujours extrait d’Alcina, Ciofi oublie momentanément son texte dans la partie centrale de l’air. Peu importe ! Elle se rattrape très vite et ose dans le da capo des variations d’une étonnante difficulté et elle affronte des sauts d’intervalle absolument insensés. À peine le temps de recueillir les applaudissements déjà déchaînés, elle conclut la première partie du concert par un étourdissant « Vanne lungi dal mio petto » extrait de la rare Amadigi.

La seconde moitié du récital nous fait entendre une Armida (Rinaldo) enragée. Elle fulmine dans un « Furie terribili » aussi bref que volcanique, auquel répond un « Adagio et Fugue » (la seule pièce de la soirée qui ne soit pas de la main d’Haendel) où l’orchestre semble vouloir concurrencer la chanteuse par son interprétation presque théâtrale. Puis vient Cléopâtre (Giulio Cesare). « Se pieta di me non senti », touche d’abord par sa belle retenue. Mais chaque reprise de « Giusto ciel » se meut à chaque fois un peu plus en sanglot tragique, laissant éclater la carapace d’une reine, d’abord manipulatrice, qui s’ouvre progressivement à un amour sincère. Ciofi/Cléopâtre laisse enfin résonner sa joie dans un « Da tempeste » acrobatique. Elle conclut, en bis, par un espiègle « Tornami a vagheggiar » (Alcina) qui fait se lever le public et par une dernière reprise de « Furie terribili » encore plus ahurissante de véhémence incendiaire que lors de sa première exécution.

Il ne faudrait pourtant pas oublier l’intervention remarquable de l’ensemble Il Pomo d’Oro, conduit depuis le clavecin par Maxim Emelyanychev. L’orchestre privilégie une lecture riche en contrastes de dynamiques et de couleurs ; il est précis et attentif à sa soliste, dont il épouse les respirations et les variations de tempo. On entendra même, parmi les différentes insertions orchestrales, une très belle Passacaille de Rodrigo aux allures de véritable concerto pour violon.

À l’issue du concert, Patrizia Ciofi reçoit alors avec émotion les acclamations d’un public complètement conquis. Après avoir brandi bien haut le bouquet de fleurs qu’on lui tend, elle se jette dans les bras du chef Maxim Emelyanychev.


25 avril 2017 à la Philharmonie de Paris

Haendel, Georg Friedrich (1685-1759)
Rodelinda HWV19 : « Morrai, si »
Alcina HWV34 : « Ah! Ruggiero crudel … Ombre pallide »
Rodrigo HWV5 : Passacaille
Siroe, re di Persia HWV24 : « Or mi perdo ogni speranza »
Sonata a Quattro op.5 n°4
Alcina HWV34 : « Ah! mio cor »
Amadigi HWV11 : « Vanne lungi dal mio petto »
Sinfonia HWV339
Rinaldo HWV7 : « Vo’ far Guerra », « Furie terribili »
Adagio et Fuga (Johann Adolph Hasse)
Giulio Cesare in Egitto HWV17 : « Se pieta di me non senti », « Da tempeste »
Alcina HWV34 : « Tornami a vagheggiar »

Patrizia Ciofi
Il Pomo d’Oro
Maxim Emelyanychev

Biberonné à la musique classique dès le plus jeune âge, j’ai découvert l’opéra à l’adolescence. En véritable boulimique passionné, je remplis mon agenda de (trop) nombreux spectacles, tout en essayant de continuer à pratiquer le piano (en amateur). Pour paraphraser Chaplin : « Une journée sans musique est une journée perdue »

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