L'ensemble L'Achéron
L'Achéron © Jean-Baptiste Millot

Orphée en Haute Provence : L’Achéron au festival de Simiane-la-Rotonde

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Dans le vaste paysage festivalier français, le festival de musique ancienne Les Riches Heures Musicales de la Rotonde se distingue par la cohérence de sa programmation musicale. Sa 39ème édition a pris comme thème « Orphée, le Chant du Monde » afin d’explorer les diverses dimensions de la légende de ce plus illustre musicien de la mythologie grecque.

 

Dans la nuit du 10 août, près de l’Achéron, un célèbre musicien grec charme ses auditeurs par les douces mélodies de sa lyre. Non, il ne s’agit pas d’Orphée au bord du fleuve séparant les vivants des enfers, mais de Sokratis Sinopoulos, virtuose moderne de la lyra grecque, qui s’était joint au consort de violes de gambe L’Achéron pour clôturer le festival Les Riches Heures Musicales de la Rotonde.

Comme chaque année, les organisateurs du festival ont convié la fine fleur de la nouvelle génération d’ensembles européens spécialisés dans la musique ancienne : Les Timbres (avec le baryton Marc Mauillon), Canticum novum, Comet musicke, Artifices et L’Achéron. Tous les concerts ont lieu dans le joyau architectural du village : la Rotonde, une salle romane ornée de têtes sculptées située au premier étage de la tour d’un château du XIIe siècle. La beauté sobre de ce cadre est propice à l’écoute et l’acoustique est idéale pour des concerts intimistes.

Le programme « Lachrimæ Lyræ, les larmes de l’exil » a été conçu par le violiste Andreas Linos de l’ensemble L’Achéron et fut l’objet d’un enregistrement sur le label Fuga Libera en 2018. L’idée était de réunir deux types d’instruments similaires, mais provenant de contextes géographiques et culturels distants, la viole de gambe et la lyra grecque, et mélangeant des répertoires propres à chaque instrument : la musique de John Dowland (1563-1626) pour consort de violes et des improvisations dans un style grec pour la lyra.

La première partie du concert met à l’honneur les pavanes Lachrimae or Seven Teares de Dowland. Ces pavanes sont une série de variations sur son air « Flow my tears » (Coulez mes larmes), l’un des grands tubes de la Renaissance. Ces variations servent comme tremplin pour les improvisations de Sokratis Sinopoulos et des musiciens de L’Achéron, comme dans un standard de jazz. Dans la deuxième partie, les improvisations grecques alternent avec sept gaillardes de Dowland.

Sokratis Sinopoulos s'est joint au consort de violes de gambe de L’Achéron
Sokratis Sinopoulos © Sevi Tsoni

Sous les doigts de Sinopoulos, la lyra grecque a un potentiel expressif impressionnant. Cet instrument ressemble à une petite viole de gambe à trois cordes. Sa caisse de résonance, fabriquée d’un seul bloc de bois, est plus petite que celle du petit dessus de viole. Son timbre acidulé, plaintif, même un peu criard contraste avec la douceur des violes de L’Achéron, un ensemble renommé pour l’homogénéité de sa sonorité. A la différence de la viole, la lyra n’a pas de frettes, ce qui permet des glissements entre les notes et un jeu en quarts de ton. Sinopoulos nous fait oublier que son instrument n’a que trois cordes ; dans ses improvisations hypnotiques, il joue des pizzicati dans le style de Paganini, pinçant les cordes de sa main gauche en même temps qu’il frotte les cordes de son archet, ce qui donne l’impression qu’il y a deux musiciens au lieu d’un seul.

Les membres de L’Achéron (directeur artistique François Joubert-Caillet jouant le dessus de viole, Andreas Linos le ténor de viole, et Aude-Marie Piloz et Sarah van Oudenhove les basses de viole) ont un esprit d’ensemble remarquable. Dans des pavanes jouées à l’archet leur sonorité s’approche de celle d’un orgue, et dans des gaillardes pincées ils donnent l’effet d’un luth.

Dans le recueil enluminé du XIIIe siècle intitulé Les Cantigas de Santa María, une illustration curieuse montre un chrétien espagnol jouant du luth avec un musicien maure jouant de l’oud. Le plaisir partagé entre des musiciens provenant de cultures et de religions différentes, mais liés par la musique et la similitude de leurs instruments est ancien. Nous applaudissons la continuation de cette tradition par la collaboration heureuse entre Sokratis Sinopoulos et les musiciens de L’Achéron.

Illustration : Les Cantigas de Santa Maria, XIIIe siècle
Les Cantigas de Santa Maria, XIIIe siècle, domaine public, Wikimedia Commons

 


« Lachrimæ Lyræ, les larmes de l’exil »

Mardi 10 août 2021, Simiane-la-Rotonde

Sokratis SINOPOULOS & L’ACHÉRON

d’après les Lachrimae or Seaven Teares de John Dowland, sur une idée originale d’Andreas Linos

Sokratis Sinopoulos, lyra grecque

L’Achéron :

François Joubert-Caillet, dessus de viole & direction

Andreas Linos, ténor de viole

Aude-Marie Piloz & Sarah van Oudenhove, basse de viole

 

Jacqueline Letzter et Robert Adelson, historienne de la littérature et musicologue, sont les auteurs de nombreux livres, dont Ecrire l'opéra au féminin (Symétrie, 2017), Autographes musicaux du XIXe siècle: L’album niçois du Comte de Cessole (Acadèmia Nissarda, 2020) et Erard: a Passion for the Piano (Oxford University Press, 2021). Ils contribuent à des chroniques de concerts dans le midi de la France.

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