Marc-André Hamelin
Marc-André Hamelin © Sim Cannety-Clarke

Marc-André Hamelin : “Je n’aime pas la virtuosité pour la virtuosité”

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Le pianiste québécois Marc-André Hamelin jouera le 29 mars au Printemps des Arts de Monte-Carlo. A cette occasion, il s’est confié à Classicagenda sur son programme associant l’ultime sonate de Schubert à la troisième sonate de Samouïl Feinberg. Plus connu en France par ses nombreux disques (il vient de sortir son 81ème !) et encore trop rare en concert, nous avons voulu en savoir plus sur ce virtuose reconnu en Amérique du Nord qui avoue aussi une passion pour un répertoire confidentiel et néanmoins exigeant.

 

Marc-André Hamelin, quels ont été vos maîtres à penser en matière de musique ?

Je ne serais probablement pas musicien si cela n’était pas venu de mon père. Il était pharmacien mais aussi très bon pianiste amateur. Il avait une très bonne oreille et jouait des choses très corsées à la maison, surtout les compositeurs de l’époque romantique. 

Des disques tournaient, comme Pierre et le Loup, le Carnaval des animaux, de la musique de ballet de Tchaïkovski, de la musique symphonique, et du piano. J’ai pris le goût de la musique très tôt grâce à lui et ai commencé le piano à l’âge 5 ans. J’ai eu les bons professeurs bien sûr, mais j’ai été encore plus influencé par ce que mon père écoutait. Ses pianistes de prédilection étaient ceux de l’âge d’or du piano, ceux qui ont enregistré sur 78 tours : Leopold Godowsky, Ignacy Paderewski, Benno Moiseiwitsch, Moriz Rosenthal, Sergueï Rachmaninov… Aujourd’hui je suis évidemment un peu plus critique sur ces musiciens-là mais je suis très content d’y avoir été exposé si tôt. Ce sont des gens qui traitaient la partition avec une certaine liberté. 

Plus tard, j’ai vraiment appris à avoir du respect pour la lettre, pour la musique écrite, le système de notation, et de la fidélité vis-à-vis des exigences des compositeurs.

L’amalgame de ces deux approches forme l’essentiel de ce que je fais aujourd’hui.

Marc-André Hamelin
Marc-André Hamelin © Sim Canetty-Clarke

D’où vient votre passion pour Schubert ?

Mon attachement est venu très tard car ce n’est pas un compositeur que mon père connaissait particulièrement et ce n’était pas vraiment dans ses goûts. Je l’ai découvert à l’université quand j’ai commencé à l’entendre plus souvent. Depuis ces 15 dernières années, mon engouement s’est accentué.   

 

Vous allez jouer l’ultime et monumentale sonate de Franz Schubert, la Sonate pour piano n°21 en si bémol majeur, D. 960, pourquoi ce choix ?

Si je pouvais jouer cette sonate de Schubert à tous mes récitals, jusqu’à ma mort, je ne me plaindrais pas ! Je me sens très proche et très intime avec cette pièce. C’est dur à expliquer mais c’est un fait.

 

Schubert enchaîne des climats extrêmement différents tout au long de cette oeuvre. Comment garder, malgré cela, une unité dans l’interprétation ?

Pour moi c’est un grand poème. C’est un peu comme si j’allais sur scène enregistrer un poème, un des plus beaux jamais écrits pour piano. C’est la meilleure comparaison. J’hésite beaucoup à décrire cette sonate parce que la musique suffit. Je pourrais me perdre en comparaisons et en métaphores mais dans ce cas-ci je pense qu’il est préférable de ne pas le faire. La musique regorge d’émotions et les paroles seraient superflues.

C’est un peu comme si j’allais sur scène enregistrer un poème, un des plus beaux jamais écrits pour piano.

D’ailleurs, vous avez gravé cette sonate en 2018.

C’est quelque chose que j’avais voulu faire depuis un certain nombre d’années mais cette pièce étant ce qu’elle est, je suis content d’avoir attendu si longtemps. Ça fait plus de 20 ans que je la joue. La première fois, c’était en 1997.

 

Parlez-nous de la Troisième Sonate (1917) de Samouïl Feinberg, une pièce rarement jouée en concert. 

Elle n’est jamais jouée nulle part ! C’est la seule des 12 sonates que Feinberg a écrites qui n’a pas été publiée de son vivant. Elle le fut 12 ans après sa mort, en 1974. Peut-être le compositeur a-t-il estimé être allé trop loin ?… Le 3ème mouvement est d’une virtuosité sans répit pendant une quinzaine de minutes. On pense toujours que l’on arrive à l’issue de la pièce mais il y a toujours quelque chose qui s’ajoute. A la fin, le pianiste, mais aussi l’auditoire, n’en peuvent plus ! 

De plus, l’un de ses amis, le compositeur Anatoly Alexandrov y a apporté beaucoup de changements et a presque totalement recomposé le 1er mouvement. Pour ma part, j’ai eu le bonheur d’avoir le manuscrit de Feinberg, donc la version originale, et c’est ce que je joue. 

Marc-André Hamelin
Marc-André Hamelin © Sim Canetty-Clarke

Vous avez une passion pour les répertoires moins connus et assez difficiles à exécuter. Pourquoi cela ?

Je dois préciser que je n’aime pas la virtuosité pour la virtuosité. D’ailleurs, j’aimerais beaucoup que certaines de ces partitions soient plus faciles à jouer ! Mais je les joue simplement parce que ce sont des musiques que j’apprécie, et que le public aura une chance d’aimer aussi.

Je n’aime pas la virtuosité pour la virtuosité.

Pourquoi ce répertoire ? J’en reviens encore à mon père avec qui j’ai eu l’occasion d’être exposé très tôt à une grande partie du répertoire traditionnel. Comme j’ai toujours manifesté une bonne curiosité, j’ai voulu voir autre chose. Dans mon adolescence, ça a commencé par le répertoire d’avant-garde comme Stockhausen, Boulez… J’ai eu aussi une prédilection pour la musique au tournant du 19ème – 20ème siècle, une période très fertile du point de vue de l’Histoire de la musique, là où l’harmonie tonale a commencé à bouger.

Mais je n’aime pas que ça ! Si j’en ai le goût je peux aussi jouer des pièces de l’époque baroque ou antérieure. 

En fait, je fais cela pour moi-même mais surtout pour le public. J’aimerais que certaines pièces que je joue en concert, peu connues, aient la chance de prendre place dans le répertoire traditionnel. Ce sont souvent les mêmes oeuvres qui sont jouées – surtout chez les très jeunes qui veulent faire des prouesses. Pourtant, le répertoire pour piano est une corne d’abondance ! 

Ce sont souvent les mêmes oeuvres qui sont jouées – surtout chez les très jeunes qui veulent faire des prouesses. Pourtant, le répertoire pour piano est une corne d’abondance ! 

Évidemment, il faut faire la part des choses car certaines partitions écrites au 19ème ne sont pas très bonnes esthétiquement. Mais des œuvres superbes méritent d’être entendues plus souvent, comme la Sonate de Paul Dukas, une oeuvre de 45 min immensément riche, qui pourrait entrer au répertoire si on lui donnait une chance !  

 

Comment êtes-vous venu à la composition et quelle part prend-elle aujourd’hui ?

Lorsque j’ai commencé à apprendre le piano je regardais les partitions qu’on avait à la maison : Liszt, Chopin, Schumann… c’était très impressionnant visuellement. J’ai commencé à vouloir faire la même chose avec du papier réglé ! Ce que je gribouillais à ce moment-là n’avait aucun sens, je n’avais pas d’idées et ne savais pas comment écrire la musique, mais j’essayais quand même. Cela a pris des années avant que je produise quelque chose que les gens puissent écouter.  

Le désir de créer a toujours été là, même si j’ai produit un nombre limité d’oeuvres. Maintenant, c’est un peu moins fort car mon activité de concertiste prend toujours le dessus.

Marc-André Hamelin
Marc-André Hamelin © Sim Cannety-Clarke

Vous donnez des masterclass ou enseignez ?

Je viens de commencer cette activité de manière restreinte. Jen ai fait seulement trois jusqu’à présent. J’ai attendu très longtemps avant d’en donner parce que je ne croyais pas vraiment au format de la masterclass. J’étais peut-être un peu intimidé par les grands professeurs, je n’avais pas confiance en mon propre potentiel. Mais les quelques unes que j’ai faites jusqu’à maintenant me laissent penser que je pourrais commencer à aimer ça. 

Je n’avais pas confiance en mon propre potentiel.

Et concernant l’enseignement, je fais cela de manière très occasionnelle mais tôt ou tard il va falloir que je m’y mette. Il faut que je commence à transmettre mon expérience et mes connaissances. 

 

Vous êtes un musicien prolifique en matière de disques, avez-vous des albums en cours ou en projet ?

Le 28 février est sorti mon disque consacré aux six premières sonates de Feinberg, chez Hyperion, mon 81ème disque. C’est vraiment un compositeur à découvrir. Ce n’est pas une musique très facile d’accès mais c’est un univers merveilleux et étrange. 

Un autre disque sortira en juin et contiendra des fantaisies sur des thèmes d’opéra italien par Liszt et Thalberg. 

 

Vous donnez beaucoup de concert dans le monde, et particulièrement en Amérique du Nord, beaucoup moins en France. Peut-on espérer vous entendre davantage chez nous ?

Je ne demande pas mieux mais la France est un marché très difficile à percer ! J’y suis surtout connu par mes enregistrements, et j’ai joué très souvent à la Roque d’Anthéron. 

 


DIMANCHE 29 MARS

11H30 – CAFÉ DE LA ROTONDE, OPÉRA GARNIER

Rencontre avec Marc-André Hamelin, piano
animée par le musicologue David Christoffel.

Réservation obligatoire +377 97 98 32 90

16H30 – SALLE DES ARTS, ONE MONTE-CARLO

Concert

 

Le site du Printemps des Arts

Rédacteur en chef adjoint de Classicagenda, Julien Bordas rédige également depuis 2016 des articles d'actualité, des interviews et des chroniques de concerts. Sa passion pour la musique classique provient notamment de sa rencontre avec l'orgue, un instrument qu'il a étudié en conservatoire et lors de masterclass.

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