Roger Muraro © Bernard Martinez
Roger Muraro © Bernard Martinez

Les Fauvettes de l’Hérault prennent leur envol, interview avec Roger Muraro

6 minutes de lecture

Le pianiste Roger Muraro se produira le 7 février dans le cadre du festival Présences 2018 à la Maison de la Radio. Au programme notamment, la création française des Fauvettes de l’Hérault – Concert des garrigues, une oeuvre organisée par le pianiste, d’après le manuscrit d’Olivier Messiaen. Il nous raconte l’aventure de cette partition et la façon dont Olivier Messiaen a composé cette oeuvre exceptionnelle.

 

Les Fauvettes de l’Hérault a été écrite pour piano et plusieurs instruments solistes. Comment en êtes-vous arrivé à une pièce pour piano seul ?

Au départ, la fondation Messiaen m’a chargé d’examiner le manuscrit (esquissé en 1958) pour voir s’il n’y avait pas de quoi présenter cette oeuvre d’une manière la plus complète possible. En effet, cette composition de Messiaen se décompose en plusieurs cahiers et chacun témoigne de l’évolution du travail dans l’oeuvre : des esquisses, des notes sur des recherches à mener, des notes de musiques inscrites par-ci par-là … Il ajoute parfois des petites phrases pour lui-même : « à faire tel travail, à faire telle chose ».
Au début de mes recherches je n’avais qu’un cahier, très incomplet, et cela m’intriguait. Il y avait même des mesures complètes non écrites et Messiaen indiquait des repères sur la mesure : « chercher la mesure B ou M »… Elles n’étaient pas rédigées, elles devaient donc bien se trouver quelque part !
A force d’explorer le Fonds Messiaen à la Bibliothèque Nationale de France, nous sommes tombés sur un cahier beaucoup mieux rédigé confirmant l’impression que j’avais eu en lisant le tout premier. Il s’agissait d’une pièce qui n’était pas seulement écrite pour le piano mais probablement pour un ensemble beaucoup plus complexe, plus large.

Que nous dit ce deuxième cahier ?

Il réunit toute l’intégralité de la partie de piano seul et des indications d’orchestration pour d’autres séquences. En se plongeant dans les agendas d’Olivier Messiaen, petit à petit, on trouvait les traces de la préparation d’une grande œuvre orchestrale et soliste avec un piano soliste principal, d’autres solistes isolés (percussions, clarinettes…) tel un « Concerto grosso ». Les partitions de ces autres solistes sont à peine ébauchées. Certaines sont écrites, mais on ne sait pas comment les intégrer et l’orchestration générale est seulement esquissée (sur 2 pages seulement). On ne peut donc pas reconstituer le Concerto tel que l’avait imaginé le compositeur à l’origine.
En revanche, pour présenter le maximum de ce matériel, extrêmement intéressant, toutes les parties de piano étaient réunies. Elles pouvaient donc, en suivant le déroulé de l’oeuvre orchestrale prévue par Messiaen, être adaptées pour piano seul. Pour cela je n’ai fait que rapprocher des éléments écrits par Messiaen au plus près de l’ordre du plan indiqué par lui-même. Pour résumer, j’ai organisé les esquisses que Messiaen a laissé inachevées.
La partie de piano solo est tellement riche qu’on a l’impression d’une pièce pour piano seul, qui peut se suffire à elle-même. Cela fait une œuvre très vivante !

 

Où le compositeur a-t-il puisé son inspiration ?

Il s’agit d’une œuvre purement ornithologique. Messiaen est retourné dans le Languedoc Roussillon vers 1958, dans l’Hérault, où il avait envie de noter un certain nombre d’oiseaux sur lesquels il n’avait pas encore travaillé. Ce fut sa dernière pièce purement ornithologique. Après ceci, il a orienté ses œuvres vers un registre religieux en y mêlant tout l’acquis ornithologique pour imager ses partitions.

Une notation de chants d'oiseaux par Olivier Messiaen © Bibliothèque nationale de France (BnF)
Une notation de chants d’oiseaux par Olivier Messiaen © Bibliothèque nationale de France (BnF)

Quelle a été sa méthode pour retranscrire tous ces chants d’oiseaux ?

C’était très impressionnant ! A l’époque Messiaen n’était pas ornithologue mais il connaissait déjà beaucoup de chants d’oiseaux. Il était accompagné d’ornithologues professionnels.
Pour la composition de cette pièce, il souhaitait plus d’informations sur les chants de Fauvettes qui se trouvaient uniquement dans cette région de l’Hérault : la fauvette passerinette, la fauvette mélanocéphale, la fauvette à tête noire, la fauvette pitchou, le coucou geai, l’Hypolaïs polyglotte…
Il s’installait à l’endroit indiqué par les ornithologues puis attendait… Il s’imprégnait de la couleur des paysages, de la végétation, de l’odeur, du temps qui fait, il notait les passages d’autres oiseaux plus connus pour lui. Tout était noté scrupuleusement. Les chants d’oiseau étant trop aigus, il les transposait et y ajoutait des couleurs, des accords, pour s’approcher au mieux de l’impression qu’il avait eu de ce chant (agressif, doux, chantant, percuté …). Un travail d’orfèvres !

 

Comment cette pièce est-elle structurée ?

Son contenu est très peuplé ! Sa forme est très précise, simple, en 3 parties, avec un rapprochement entre la 1ère et la 3ème, comme un miroir. La structure est celle d’un pont, avec une partie centrale constituée d’une cadence sur l’hypolaïs polyglotte.

 

Cette oeuvre intervient à une période charnière de sa vie ?

Oui, il y a tout un bouleversement à ce moment-là. Sa vie musicale est intense : corrections d’épreuves, voyages, conférences, cours, son orgue à l’église de La Trinité… En 1959 sa première épouse décède. Puis, en 1961, il se mariera à Yvonne Loriod.

 

Suite à vos recherches, comment avez-vous abordé ce répertoire en tant qu’interprète ?

Pendant 3 ans je me suis plongé dans ce texte et j’ai vu le soin qu’il apportait à cette composition : doigtés, pédale, nuances, accentuations, le caractère des oiseaux (rageur, acidité, répéter,). Beaucoup d’indications qui aident l’interprète. Par ailleurs, ça m’a aussi permis de mieux voir la distance entre l’interprète et ceux qui laissent une trace écrite de leur pensée. Tout cela rejaillit aussi sur les autres compositeurs que je joue et me rend extrêmement respectueux.
J’ai également eu la chance d’étudier son Catalogue d’oiseaux avec Yvonne Loriod . Elle a tout installé en fait… et cela m’a beaucoup apporté.

 

Yvonne Loriod tient une place particulière dans votre carrière…

Exact. C’est une histoire affective qui a duré toute ma vie. Je lui ai toujours demandé conseil : quand il y avait des œuvres nouvelles que je n’avais jamais jouées, je n’hésitais pas à lui demander son avis, son expérience. Il y a aussi des pièces travaillées directement avec Messiaen. Une expérience différente car il me laissait beaucoup plus libre ! Il ne guidait pas, il voulait seulement entendre. C’était plus instinctif. Il commençait à donner des informations sur tel ou tel accord, sa constitution etc… puis il coupait court : « au fond de toute façon vous n’avez pas besoin de le savoir ! Je me méfie des gens qui veulent trop d’informations !… » Comme Debussy d’ailleurs.

Olivier Messiaen et Yvonne Loriod © Bibliothèque nationale de France (BnF)
Olivier Messiaen et Yvonne Loriod © Bibliothèque nationale de France (BnF)

Vos élèves vous demandent-ils de travailler des oeuvres d’Olivier Messiaen ?

Il y a eu une période creuse lorsque je suis arrivé au Conservatoire de Paris. Une vraie réticence ! Messiaen n’était pas apprécié par les étudiants du moment. La musique contemporaine n’était pas forcément aimée…
Pourtant, avec Messiaen, on va au delà de l’instrument. Il s’agit d’une évocation sonore, fruitée, on n’est plus du tout dans le phrasé d’un Chopin par exemple. Pour l’interpréter, il ne faut pas être un grand intellectuel. On a seulement besoin d’une belle imagination, de s’ouvrir à un univers et de le retraduire. C’est pour cela que les élèves aiment désormais jouer sa musique !

 

Si l’on vous sollicitait, vous réaliseriez de nouveau ce travail ?

En fait j’y suis allé parce que je ne savais pas… et ça a duré trois ans ! L’intensité et la responsabilité du travail sont très importantes. Et je me suis rendu compte des capacités de Messiaen : comment a-t-il pu trouver le temps de noter tout cela ? De réaliser tout ce travail ?
D’ailleurs, la partition des Fauvettes va être éditer. Tant qu’elle n’est pas publiée, il y aura des relectures et cela rajoute quelques mois de travail…

 

A l’origine, cette oeuvre devait être composée pour une commande officielle célébrant le centenaire de Debussy. 2018 marquera le centenaire de sa mort. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Effectivement, Malraux a commandé cette oeuvre pour le centenaire de Debussy en 1962. Et Messiaen avait cette pièce en tête. Une partition sur la nature, les chants d’oiseaux…
Puis, de retour d’un voyage au Japon, il transposa cette oeuvre en utilisant le matériau noté là-bas. Comme il était pris de court, le matériau des Fauvettes de l’Hérault a aussi servi à la composition des Sept Haïkaï, rendant ainsi un double hommage : à la fois au Japon et à Debussy. …


A noter qu’une oeuvre sera donnée en création mondiale lors de ce concert : La Danse, selon Matisse pour piano de François Meïmoun (commande Radio France – création mondiale).

Sa passion pour la musique classique provient de sa rencontre avec l'orgue, un instrument qu'il a étudié en conservatoire et lors de masterclass. Attiré très tôt par le journalisme, il écrit ses premiers textes pour le quotidien régional Sud-Ouest Dordogne. En 2016, il rejoint l’équipe de Classicagenda en tant que rédacteur, et publie des articles d'actualité, des interviews et des chroniques de concerts ou albums. Il sera également invité au micro de la RTS pour parler du renouveau de la critique à l'ère digitale. Parallèlement, il mène une activité dans le domaine de la communication numérique.

Derniers articles de Interview