L’année 2019 démarre sur les chapeaux de roues pour le pianiste Nicolas Stavy, avec des concerts dans toute la France, la préparation du premier festival de Sarlat et la sortie de son dernier disque chez BIS consacré à Fauré. C’est entre deux concerts, dans la capitale grouillante de passants pressés, que nous rencontrons le pianiste, qui se démarque par sa démarche tranquille et un discours posé. Nicolas Stavy serait-il devenu maître du Temps ? Il répond avec amabilité à nos questions sur les différentes facettes de son actualité.
Quel a été le point de départ de ce CD consacré à Fauré ?
Il y a quelque temps, je me suis aperçu qu’avec plus de dix disques à mon actif, j’avais peu abordé la musique française. Ce qui me manquait. J’aime énormément cette musique et d’ailleurs, en ce moment, je suis plongé dans les concertos de Ravel. J’avais envie d’aborder ce répertoire pour piano seul, que j’ai peu joué jusqu’ici. Cette musique est peu donnée en concert et aussi finalement relativement peu étudiée… Peut-être pour une question de mode ou parce que Fauré développe un langage harmonique complexe, qui demande un important travail sur la polyphonie, la maîtrise des couleurs et des plans sonores. C’est un langage d’une grande richesse, d’une grande beauté et très singulier aussi, que j’avais envie de jouer et de partager.
Quelles pièces avez-vous choisi de présenter ?
Le corpus de Fauré est en effet très large. J’ai tenté de construire une grande arche au travers de son œuvre allant de pièces de jeunesse, comme ses Romances sans paroles, au 13e nocturne de la fin de sa vie. Il y a notamment quelques premières mondiales, comme cette « Mazurke », une mazurka francisée (rire) et une première sonate inédite qu’il a composée lorsqu’il était encore étudiant, à 17 ans, chez Camille Saint-Saëns. C’était un devoir de style en quelque sorte, où l’on croit entendre le fantôme de Haydn. Comme dans ses Romances sans paroles, il me paraissait intéressant de voir – dans la continuité de Mendelssohn – la façon dont il développe déjà un style très personnel, alors qu’au contraire, dans cet exercice de la sonate, il s’efface et se métamorphose. On voit déjà par ces deux pièces l’extraordinaire maîtrise et la personnalité du jeune Fauré.

Vous avez un très vaste répertoire, côtoyé de multiples compositeurs, qu’est-ce qui vous touche chez Fauré en particulier ?
Fauré a un côté très visionnaire, c’est une musique d’une profonde intériorité, mais toujours tournée vers la lumière. Je pense toujours à ces photos que Nadar a faites de Fauré, où on le voit porter au loin un regard d’une grande intensité. Et sa musique, c’est ça. Une volonté de regarder au loin, de longues phrases avec beaucoup de noblesse. Moi, c’est cette grandeur qui me bouleverse, notamment dans ce treizième et dernier nocturne qui est comme un testament qui nous plonge dans l’angoisse de la vieillesse et de la mort… Sa musique n’est pas du tout précieuse, d’ailleurs il détestait la mièvrerie. Ravel qui était son disciple, le dit, Fauré ne voulait pas de fioritures, peu de rubato… Donc pour garder la noblesse de cette musique, il ne faut pas rajouter de complications mais au contraire rendre la transparence, la clarté de son œuvre par le son, le legato et la ligne.
Vous aimez également jouer en concert avec des comédiens, notamment avec Robin Renucci et Eric-Emmanuel Schmitt, parlez-nous de ces spectacles en collaboration…
Ce qui m’intéresse, c’est de trouver des éclairages différents autour de la musique. Par ailleurs, une grande question m’intrigue en musique : la rhétorique. J’aime la musique qui raconte une histoire, une histoire sans mots. La musique illustrative ne m’intéresse absolument pas par exemple. Pour moi la musique est celle qui trace un récit. Celle où chaque auditeur termine l’histoire avec l’écoute, avec sa propre sensibilité. Chacun a une interprétation différente d’ailleurs, et l’énigme demeure. Alors avec ces comédiens, j’aime mettre des œuvres en écho avec des textes. Il ne s’agit pas d’une illustration de la musique par un texte, ou inversement d’illustrer musicalement un texte, mais on rebondit, d’une idée à une autre, l’un avec l’autre, et on fait entrer des œuvres d’univers différents en résonance.

Vous lancez également un festival à Sarlat, quelle sera la programmation et pourquoi ce festival ?
Je suis un peu périgourdin d’adoption, c’est une région qui est chère à mon cœur. L’envie de monter un festival me travaillait depuis un moment, mais les circonstances n’étaient pas encore réunies. Car voyez-vous, pour moi un festival est le rassemblement de quatre points. La programmation, les thèmes et idées musicales bien sûr, mais cela n’est qu’un quart de tout ce que représente un festival.
Il faut aussi de façon tout aussi importante, un lieu. Un lieu qui ne soit pas celui d’une saison musicale mais qui ait néanmoins une excellente acoustique et qui soit tout aussi attirant par son architecture ou sa singularité. Or j’ai découvert la Chapelle des Pénitents Blancs, où il y avait d’ailleurs des concerts il y a une trentaine d’années. Puis elle a été fermée pour des raisons de sécurité et s’est endormie. Enuite la mairie a réhabilité ce lieu pour en faire un espace de culture. Et là, j’ai découvert un magnifique plafond en châtaignier avec une acoustique renversante.
Le troisième point sans lequel rien n’est possible, est l’équipe. Celle qui, dans l’administration avec des bénévoles, assure une organisation méticuleuse en amont et au cours du festival, peu visible du public mais tellement essentielle, et à Sarlat, elle est formidable.
Enfin, le dernier quart primordial d’un festival est le public. Justement à Sarlat, le public est en demande de musique car dans cette ville historique qui abrite le deuxième festival de théâtre le plus important après celui d’Avignon ainsi qu’un festival de cinéma, la musique n’était plus représentée, surtout en fin d’été comme cela. Ainsi tous les éléments étaient réunis. Eric-Emmanuel Schmitt et moi inaugurerons la première édition des Musicales de Sarlat le 22 août, avec un programme sur le thème de l’enfance et des textes de cet auteur. Nous clôturerons avec un récital de Jean-Claude Pennetier, et entre ces deux événements il y aura aussi un concert de Ludmila Berlinskaia et Lydia Shelley, violoncelliste également présente. Ce seront quatre soirées articulées autour du piano sous des formes différentes.
On vous dit à bientôt en disque et en concert … Mais avant de partir, j’ai appris que vous étiez également photographe amateur, y a-t-il un rapport entre vos deux passions ?
Oui, le temps… La musique est l’art du temps qui se déroule. D’ailleurs Hans Von Bülow disait « Au commencement était le rythme » reprenant avec ironie la première phrase de l’ancien testament. La photographie c’est l’art qui fige le temps. C’est l’instant, le moment capturé et immortalisé. Dans ce sillage, la prise de son, l’enregistrement m’intéressent énormément aussi … mais je ne sais pas ce que j’ai avec cette histoire de temps qui passe (rires). A ce sujet j’ai plus de questions que de réponses !
Nicolas Stavy prochainement en concert :
17 mars Nice (Hôtel Westminster) Récital Fauré Chopin Liszt
21 mars Caluire ( Lyon) Mme Pylinska et le secret de Chopin avec Eric-Emmanuel Schmitt
23 mars Aix en Provence L’enfance inaltérable avec Eric-Emmanuel Schmitt
31 mars Abbaye de Flaran (Gers) Récital Fauré Chopin Liszt
4 avril Théâtre impérial de Compiègne Récital Fauré Chopin Liszt
9 avril 18h30 Paris Concert de lancement du disque Fauré. Auditorium de la BNF
13 avril St Maur L’enfance à l’œuvre avec Robin Renucci