Hubert Robert, L’Incendie de l’Opéra, vu des jardins du Palais-Royal , vers 1781
Hubert Robert, L’Incendie de l’Opéra, vu des jardins du Palais-Royal , vers 1781 © Musée Carnavalet

Un air d’Italie à l’Opéra de Paris : entretien avec Jean-Michel Vinciguerra

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Jusqu’au 1er septembre, l’exposition Un air d’Italie à la Bibliothèque-Musée de l’Opéra retrace l’histoire passionnante de l’Opéra de Paris de Louis XIV à la Révolution. Rencontre avec l’un de ses commissaires, Jean-Michel Vinciguerra, chargé des collections iconographiques de la Bibliothèque-musée de l’Opéra de la Bibliothèque nationale de France, pour évoquer quelques étapes clés à l’occasion du 350e anniversaire de l’Opéra de Paris.

De 1669 à 1791, s’est forgé le socle sur lequel va rayonner la prestigieuse institution. Une période mouvementée qui n’est pas sans paradoxes : alors que le privilège d’opéra accordé à Pierre Perrin lui impose de créer des académies d’opéra « à l’imitation des Italiens », plus tard, des compositeurs transalpins tels que Salieri suivront le modèle très français de la tragédie en musique…

A travers les rebondissements qui jalonnent la vie de l’Opéra sous l’Ancien Régime (parodies, querelles esthétiques, recyclage d’opéra, réformes…), il est fascinant d’assister à la naissance de l’opéra français, à la fois influencé par un art venu d’Italie et en quête de sa propre identité. Une aventure illustrée par des pièces d’exception (près de 130 !). Manuscrits, dessins de costumes, maquettes de décors, estampes ou partitions constituent un véritable trésor et sont les témoins de ces bouleversements.

Jean-Michel Vinciguerra, chargé des collections iconographiques de la Bibliothèque-musée de l’Opéra de la Bibliothèque nationale de France
Jean-Michel Vinciguerra, chargé des collections iconographiques de la Bibliothèque-musée de l’Opéra de la Bibliothèque nationale de France © DR

Vous exposez le livret d’Euridice conservé à la Bibliothèque-musée de l’Opéra. Est-ce le premier opéra occidental dont nous ayons une trace ?

Non, il y a eu des tentatives d’opéras menées quelques années plus tôt, notamment la Dafne de Peri en 1597, avec le même poète Ottavio Rinuccini, auteur du livret d’Euridice, donné à la cour de Florence. Mais le premier opéra dont la musique est entièrement conservée est bien Euridice, composé par Peri en 1600 et donné lors du mariage par procuration d’Henri IV avec Marie de Médicis. Il en existe deux versions d’après le même livret de Rinuccini. L’une de Peri, qui s’est fait aider par Giulio Caccini, et l’autre, de Caccini lui-même.

 

Après Marie de Médicis, le cardinal Mazarin a joué un rôle important dans l’importation de l’opéra italien en France. Comment a-t-il réussi à promouvoir ces spectacles ?

Tout d’abord, l’opéra italien est né à Florence et s’est développé dans toute la péninsule, à Rome, Mantoue et Venise, qui sont devenus des foyers d’opéra. Ensuite, quand Mazarin arrive à la cour de France comme ministre d’Anne d’Autriche, il a pour projet d’introduire l’opéra italien en souvenir des spectacles qu’il a lui-même organisés lorsqu’il était à la cour des Barberini. Ayant été témoin de ce que l’Italie offrait de meilleur en terme de musique, de spectacles, d’effets scéniques, il a voulu faire connaître aux Parisiens les principales innovations de son pays d’origine. Mazarin a donc été un passeur entre ce que l’Italie avait produit dans les domaines de la création musicale et des spectacles et ce que la France allait accueillir et mettre en valeur.

Décor du prologue de La Finta Pazza de Sacrati
Décor du prologue de La Finta Pazza de Sacrati © BnF – Musique, BMO

Mazarin choisit La finta pazza de Sacrati comme premier essai d’implantation de l’opéra italien en France. Il s’agit d’un ouvrage qui a d’abord été créé à Venise et qui a connu un grand succès dans toute la péninsule. En revanche, pour son adaptation à Paris en 1645, il réclame des aménagements. La finta pazza n’a pas été jouée à l’identique, on y a ajouté des ballets entre chaque acte pour égayer l’attention du jeune Louis XIV qui n’avait que sept ans. On a aussi modifié les décors, représenté des monuments parisiens, tels que le Pont-Neuf ou les deux tours de Notre-Dame, alors que dans la création vénitienne figuraient des symboles tels que l’Arsenal ou le palais des Doges. Il a même été question d’ajouter des scènes parlées avec les Comédiens italiens, une troupe présente en France depuis très longtemps et qu’il s’agissait alors de mettre en valeur. Des passages parlés ont donc été intercalés qui alternaient avec les scènes chantées. En fait, on a bricolé cet opéra italien et ce n’est que deux ans plus tard, avec l’Orfeo de Luigi Rossi, que nous assistons à la création parisienne d’un opéra italien.

 

L’opéra français viendrait donc d’une hybridation entre le ballet de cour français et l’opéra italien ?

En fait il y avait deux types de « spectacle total » qui existaient avant que ne fut créé l’opéra français. Le ballet de cour associait, autour de la danse, la richesse de la musique (avec un orchestre à cinq parties de cordes), les beautés de la poésie et la splendeur des costumes. Plusieurs arts étaient mobilisés dans ce type de spectacle. L’opéra italien a ajouté la dimension spectaculaire des décors. Les Français avaient alors ces deux modèles. Lorsque Perrin avec Pomone, puis Lully avec Cadmus et Hermione, composent, chacun à sa façon, leur premier opéra, ils ont présentes à l’esprit ces deux formes de spectacle et cherchent à faire se rapprocher le chant, la danse, les chœurs, les décors et les costumes, autrement dit toutes les facettes de ces spectacles qui fascinaient le public.

Privilège accordé à Pierre Perrin pour monter des académies d’opéra
Privilège accordé à Pierre Perrin pour monter des académies d’opéra © BNF

Le 28 juin 1669, le poète Pierre Perrin se voit attribuer un “privilège” d’opéra par Louis XIV et Colbert, lequel constitue une pièce maîtresse de l’exposition. Que signifie concrètement ce “privilège” ?

C’est un monopole, un droit exclusif, confié à un seul homme de monter des opéras, c’est-à-dire “des représentations en musique et en vers français”. Le privilège octroyé à Perrin a une durée limitée de 12 ans et s’étend sur tout le royaume, à l’exception de la Cour. Pour le directeur, c’est la garantie d’exercer son mandat sans craindre la concurrence d’un autre théâtre ou d’un autre entrepreneur qui s’aviserait de chasser sur les mêmes terres que lui. L’Opéra avait ainsi le monopole du théâtre chanté et la Comédie-Française, plus tard, celui du théâtre déclamé. Quiconque s’avisait de tenir tête à Perrin ou à Lully s’exposait à des sanctions très graves qui allaient d’une simple amende à la fermeture définitive du théâtre et à la confiscation des décors et des machines.

Quand Lully rachète en 1672 le privilège de Perrin pour le soulager de ses dettes, il parvient à en obtenir un plus important. Lully réclame un privilège à vie et valable pour sa descendance. De fait, c’est son gendre Francine qui hérite du privilège à la mort du Florentin en 1687.

 

Perrin engageait-il ses propres deniers pour monter ses spectacles ?

Il devait financer une troupe de chanteurs, de danseurs, de musiciens, s’associer avec décorateur ou un machiniste, et faire réaliser des costumes. Tout cela avait un coût. Et pour se dédommager des dépenses qu’il engageait, le privilège lui accordait la possibilité de lever des recettes. L’Opéra de Paris correspond ainsi au premier théâtre d’opéra public en France et rompt avec le modèle des théâtres de cour, réservés à une élite parisienne.

 

Vous disiez tout à l’heure que Lully avait racheté le privilège à Perrin. Dans quelles circonstances cela s’est-il déroulé ?

Le drame veut que Perrin n’ait pas pu assister à la première représentation de Pomone, premier opéra français créé en 1671, car il était emprisonné en raison des dettes qu’il avait accumulées et des procès qui lui étaient intentés par sa belle-famille. Lully était très envieux de la prérogative accordée au poète et ne supportait pas la concurrence, ainsi que le prestige attaché désormais à Perrin et à sa nouvelle académie. C’est dans ces circonstances qu’il lui rachète son privilège pour devenir seul maître à bord de l’opéra français.

 

À travers différents dessins de personnages et de décors, vous revenez sur la naissance d’un genre nouveau : l’opéra-ballet. Comment va-t-il éclore ?

Il naît dans un contexte qui intervient après la mort de Lully (1687) et de Quinault (1688). Ces deux hommes, qui ont inventé l’opéra français, vont léguer une forme, la tragédie en musique, jouée jusqu’à la Révolution.

Ils sont parvenus à proposer un genre très français, mais curieusement après la mort de Lully, les tragédies en musique ne font plus recette, malgré la qualité des œuvres ou le talent des compositeurs : Médée de Charpentier ou Circé de Desmarest. Apparaît alors une nouvelle forme de spectacle, le ballet en musique que la postérité va désigner sous le nom d’opéra-ballet. Tournant le dos au merveilleux et au pathétique de la tragédie en musique, l’opéra-ballet se caractérise par une intrigue plus légère, morcelée en une succession d’entrées (généralement au nombre de trois ou quatre) et reliées entre elles par un vague fil poétique. Il ne met plus en scène des dieux, des déesses, des personnages héroïques issus de la mythologie ou de la chevalerie, mais des personnages plus contemporains, modernes ou exotiques (par exemple des Français, des Espagnols, des Vénitiens, des Turcs ou des Chinois), de sorte que le public puisse plus facilement s’identifier. La danse prend une dimension beaucoup plus importante aussi. Pour l’Opéra, c’est une occasion de mettre en valeur son corps de ballet où les danseuses professionnelles ont fait leur entrée depuis 1681 (ndlr : avant cette date, les hommes jouaient les rôles féminins). L’orchestre est mis également en valeur, avec des passages instrumentaux beaucoup plus fréquents.

Le compositeur qui s’est principalement illustré dans le genre de l’opéra-ballet est André Campra, un musicien réceptif aux nouveautés esthétiques venues d’Italie. Il a intégré les éléments de la vocalité italienne avec la virtuosité et les airs da capo. Dans Le Carnaval de Venise, il va plus loin encore, en ajoutant un acte intégralement chanté en italien. On a également une dimension “méta-théâtrale” avec de l’opéra dans l’opéra, et, dans le dernier acte, des personnages qui se rendent à l’Opéra.

André Campra, Les Devins de la place Saint-Marc, seconde entrée ajoutée aux Fêtes vénitiennes, 1710, partition imprimée
André Campra, Les Devins de la place Saint-Marc, seconde entrée ajoutée aux Fêtes vénitiennes, 1710, partition imprimée © BnF, Musique

À la fin du XVIIe siècle, le genre sérieux de l’Opéra fait l’objet de parodies par la troupe de la Comédie-Italienne. Peut-on y percevoir les prémices de l’opéra-comique ?

On a voulu montrer dans l’exposition comment le comique italien avait contaminé la scène lyrique française, à travers des parodies d’opéra limitées à une scène ou un acte qui prenaient pour cible les œuvres de Lully. Une d’entre elle, l’Arlequin Roland furieux de l’abbé Bordelon (1694), comporte le sous-titre générique « opéra comique », bien avant la création d’une troupe officielle reprenant cette appellation en 1715. Les acteurs de la Comédie-Italienne, à l’Hôtel de Bourgogne, se chargeaient de ces parodies. Ils furent chassés de leur théâtre en 1697 parce qu’une comédie, restée à l’état de projet et intitulée La Fausse Prude, déplaisait à Louis XIV et visait madame de Maintenon.

Jean de Palaprat, Arlequin Phatéon (1692), dans Le Théâtre italien de Gherardi, frontispice gravéJean de Palaprat, Arlequin Phatéon (1692), dans Le Théâtre italien de Gherardi, frontispice gravé
Jean de Palaprat, Arlequin Phatéon (1692), dans Le Théâtre italien de Gherardi, frontispice gravé © BnF, Musique, Bibliothèque-musée de l’Opéra

Certains comédiens ont trouvé ensuite refuge dans les foires Saint-Germain et Saint-Laurent, se sont associés aux Forains et ont proposé, dans les années 1710, les premières parodies intégrales prenant pour cible le répertoire de l’Opéra. Bien évidemment, ils se sont attirés les foudres de l’Opéra qui, en vertu de son privilège, faisait interdire ces spectacles chantés et accompagnés de musique. Sans cesse, les forains ont rivalisé d’imagination pour contourner ces interdictions comme on le montre dans cette exposition.

En 1715, à la mort de Louis XIV, le régent Philippe d’Orléans concède un privilège d’opéra-comique à cette troupe de forains s’étant illustrée pendant toutes ces années de façon clandestine. Une scène rivale est née : l’Opéra-Comique. Et l’année suivante, en 1716, la Comédie-Italienne est rétablie.

 

Qu’entend-on par comique forain ?

C’est un comique un peu grossier, qui repose au départ sur un langage cru, avec des scènes de bastonnades, des farces, des travestissements… Le comique forain se distingue de la veine comique un peu plus noble qui se déploie dans l’opéra-ballet, mais dans les années 1740, il finit par contaminer la scène de l’Opéra, notamment avec Les Amours de Ragonde de Mouret en 1742 et Platée de Rameau en 1749. Les rôles-titres sont chantés par des hommes, travestis en femme, ce qui accentue le caractère ridicule des personnages. Le type de la vieille ridicule avec Ragonde ou Platée est le pendant féminin du vecchio italien de la commedia dell’arte. Le public rit beaucoup et l’on est très loin des conventions de la tragédie en musique qui impose le sérieux et l’unité de ton que revendiquait Lully. Ce dernier, après Thésée (1675), avait banni le comique et n’acceptait que le “comique noble” issu de l’Antiquité.

Henri II Bonnart, Dame Ragonde, entre 1698 et 1704, dessin
Henri II Bonnart, Dame Ragonde, entre 1698 et 1704, dessin © BnF, Estampes et photographie

L’exposition évoque la fameuse querelle des Bouffons opposant les partisans de l’opéra napolitain à ceux de la musique française. Est-ce la seule ?

Non, il y a une autre querelle que l’on n’a pas évoquée datant des premières années du XVIIIe siècle et qui correspond à la première querelle de la musique italienne, avec Raguenet et Le Cerf de la Viéville.

Raguenet a fait un voyage en Italie et y a découvert la musique de ce pays. Il est revenu ébloui et a écrit un texte qui fait un parallèle entre la musique française et italienne (Parallèle des Italiens et des François en ce qui regarde la Musique et les Opera – 1702). Sans dire trop de mal de la musique française, il met en avant ce qu’il a découvert en Italie et explique combien cette musique le ravit, le charme, tout en étant porteuse d’émotion. Cette publication serait restée confidentielle si un certain Le Cerf de la Viéville, un grand mélomane (et premier biographe de Lully) ne s’en était pas saisi pour attaquer Raguenet, en 1704, et dire de lui qu’il faisait honte à sa patrie. Le Cerf de la Viéville a donc défendu le modèle lullyste et critiqué les opéras italiens. C’est la première querelle ou dispute savante, elle va se poursuivre jusqu’en 1706, à travers plusieurs compléments d’éditions alimentant une surenchère par ouvrages interposés. Tous ces textes, qui s’échelonnent entre 1702 et 1706, ont été rassemblés pour la première fois par Laura Naudeix l’an dernier dans l’ouvrage intitulé La Première Querelle de la musique italienne, 1702-1706, publié chez Classiques Garnier.

Paralèle des Italiens et des François en ce qui regarde la musique et les opéra
Paralèle des Italiens et des François en ce qui regarde la musique et les opéra © BNF

Mais la plus connue est bien la querelle des Bouffons, qui fait suite à l’arrivée d’une troupe de chanteurs italiens à l’Opéra de Paris emmenée par Bambini. Ces derniers vont jouer un opéra napolitain de Pergolèse, La serva padrona, qui a été créé en 1733 à Naples, puis donné à la Comédie-Italienne de Paris en 1746 sans déclencher la moindre bronca, mais qui fait un scandale en 1752, car elle est représentée dans « ce temple du bon goût » qu’est l’Opéra de Paris. On trouve choquant de mettre en scène une soubrette qui s’amourache d’un vieillard et on considère que ce n’est pas digne de l’Opéra de Paris. Cette querelle va prendre une dimension particulière car les philosophes s’en mêlent et se rallient au camp italien. Rousseau va écrire plusieurs pamphlets où il va s’acharner sur la musique française en disant que la langue française est inapte à la musique, que le chant français ressemble à un aboiement perpétuel. Grimm va aussi batailler contre la musique française. En fait, tous les philosophes et les encyclopédistes vont se ranger dans le camp italien et les partisans français vont regrouper les nostalgiques de Lully. Paradoxalement, ces derniers vont suivre Rameau, qui s’impose alors pour eux comme le meilleur garant de l’identité française musicale (même s’il y a des apports de musique italienne dans Platée). Et les partisans du camp français vont en faire leur héros parce qu’il a consolidé le modèle de la tragédie en musique de Lully et tenu tête à Rousseau en soulignant ses insuffisances musicales. À ce sujet, l’exposition montre la partition autographe des Paladins de Rameau, conservée dans les collections du département de la Musique de la BnF : il s’agit du dernier opéra donné de son vivant pour l’Académie royale de musique, qui forme comme une synthèse des musiques française et italienne. La querelle des Bouffons a donc été un choc culturel très important qui a laissé des traces.

 

Entre la fin de la querelle des Bouffons en 1754 et l’arrivée de Gluck dans la Capitale en 1774, seulement 13 tragédies ont été créées. Pourquoi une telle indigence artistique ?

Ces années-là se caractérisent par une remise à l’honneur de l’ancien répertoire. On recycle les opéras de Lully et de Campra, on les réorchestre, on les joue en tenant compte des besoins spécifiques du théâtre parce qu’il s’agit encore de mettre en valeur les musiciens et les chanteurs de l’Opéra.

On les adapte car des instruments nouveaux ont fait leur apparition. L’effectif orchestral n’a jamais cessé d’augmenter de Lully jusqu’à Gluck. On comptait, à la création de l’Académie royale de musique, environ 40 musiciens, avec Gluck, on atteint près de 70 musiciens dans la fosse ! Un des principaux représentants de ce courant est Dauvergne dont on voit le portrait supposé dans l’exposition et qui a cherché à remettre à l’honneur ces anciens opéras. Par exemple, La Vénitienne de La Barre créée en 1705 et remise au goût du jour en 1768, dont on peut voir les splendides maquettes de costumes de Boquet que conserve la bibliothèque-musée de l’Opéra. Dauvergne voulait donner une seconde chance à cet opéra qui n’avait rencontré aucun succès lors de sa création, mais cela n’a pas été suffisant, malgré une distribution exceptionnelle…

Ce recyclage était déjà à l’œuvre en 1750 quand Casanova arrive à Paris cette année-là. C’est une occasion d’admirer le précieux manuscrit conservé à la BnF, dans lequel le célèbre aventurier relate sa première fois à l’Opéra, un soir où l’on donnait Les Fêtes vénitiennes de Campra. Casanova exprime sa fascination pour l’orchestre de l’Opéra, mais en revanche il qualifie la musique d’« antique et baroque » et accable les décorateurs de l’Opéra qui n’ont pas su représenter fidèlement la place Saint-Marc !

 

Ensuite, l’Opéra de Paris va entamer deux réformes importantes : celle de l’opéra avec Gluck et celle du ballet avec Noverre. Que vont-elles apporter de nouveau ?

Gluck a voulu renforcer la déclamation dans ses opéras en réalisant une meilleure liaison entre le récitatif et l’air et en proposant un continuum du discours musical, avec des récitatifs plus dramatiques et davantage orchestrés et des airs moins virtuoses et moins ornés que ceux que l’on pouvait entendre, à cette époque-là, dans l’opera seria. Il a d’ailleurs obtenu le soutien de Rousseau qui, à la fin de sa vie, déclarait que Gluck avait réalisé toutes les ambitions qu’il avait pour l’opéra français.

Mais en vérité, Gluck a été instrumentalisé par le directeur de l’opéra pour alimenter et exacerber une nouvelle querelle : celle des Gluckistes et des Piccinnistes. Piccinni était arrivé en France en 1776 à la demande de Marie-Antoinette qui voulait découvrir ses opéras et qui n’était pas du tout hostile aux opéras italiens. Elle aimait autant les opéras de Gluck que ceux de Piccinni.

En 1778, le directeur de l’opéra décide de confier à ces deux grands compositeurs un opéra sur le même sujet et de programmer une saison d’opéras italiens. Cela va avoir l’effet qu’il escomptait : scinder le public en deux camps. Il va alors se frotter les mains car dès lors qu’un débat existe, le public veut avoir un avis et se rend à l’opéra. Les recettes vont donc affluer de nouveau.

Noverre, quant à lui, a voulu faire du danseur un acteur au service de l’émotion, comme Gluck avec ses chanteurs. Il a donc essayé d’entreprendre une réforme du ballet par un jeu plus engagé. Il fallait débarrasser le danseur de tout ce qui le gênait dans ses mouvements : les paniers, les corps baleinés, les masques, les gants, les plumes, les bas… Noverre, maître de ballet à l’Opéra de Paris, considérait que les masques ne présentaient qu’une seule facette alors que l’acteur pouvait, par sa physionomie, jouer avec les différentes expressions de son visage. La réforme a produit ses effets bien plus tard car Noverre devait convaincre des dessinateurs de costumes pas forcément favorables, hormis Boquet.

Hubert Robert, L’Incendie de l’Opéra, vu des jardins du Palais-Royal , vers 1781
Hubert Robert, L’Incendie de l’Opéra, vu des jardins du Palais-Royal , vers 1781 © Musée Carnavalet

Le tableau d’Hubert Robert dépeint l’incendie du Palais Royal de 1781 détruisant la seconde salle de l’Opéra. Plus tard, déplacé à la périphérie de Paris, l’Opéra doit se renouveler et peine à retrouver le succès, entraînant des difficultés financières. Comment sera-t-il sauvé ?

L’Académie dépendait, à cette époque-là, de l’Intendance des Menus-Plaisirs du Roi et ce jusqu’en 1790, mais de 1749 et 1780, elle était placée sous le giron de la Ville de Paris. Le pouvoir royal a repris le contrôle de l’établissement en raison des dettes accumulées.

En 1790, en pleine Révolution, l’institution échoit de nouveau à la Ville de Paris. Elle se trouve dans une situation financière délicate parce que, sur dix ans, les dépenses engagées ont été plus importantes que les recettes. Et le déficit s’élève à près de quatre millions de livres. Se pose la question pour la Ville de Paris de savoir s’il est utile de conserver une institution aussi déficitaire et peu rentable. La réponse va être oui. L’administrateur de la Ville de Paris se prononce en faveur de la sauvegarde de l’Opéra. Il pense que l’on peut en réduire la dépense et qu’il ne faut pas négliger le fait qu’il rayonne en France et à l’étranger, que de nombreux voyageurs viennent des quatre coins de l’Europe pour assister aux spectacles de l’Opéra. Et en ce qui concerne l’activité économique de la Ville, cela peut vraiment être profitable. Le premier gouvernement révolutionnaire de la Ville de Paris va donc sauver l’Opéra et permettre à celui-ci de rayonner pendant de nombreuses années encore – ce que vos lecteurs pourront vérifier à l’occasion de la prochaine exposition consacrée au Grand Opéra, qui aura lieu à l’automne prochain et qui, célébrant le 350e anniversaire de l’Opéra de Paris, prendra le relai de celle-ci.

 

En vente, le catalogue de l’exposition : Un air d’Italie. L’Opéra de Paris de Louis XIV à la Révolution.

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