La Vie parisienne mis en scène par Christian Lacroix © Marc Ginot

Une Vie parisienne toute en couleurs à Montpellier

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Créée en novembre 2021 à Rouen, la version originelle – et inédite sur scène – de La Vie parisienne d’Offenbach, reconstituée par le Palazzetto Bru Zane dans une production très colorée de Christian Lacroix, achève sa tournée à l’Opéra national de Montpellier avec le condensé de la relève du chant, français présent, pour la plupart, dès le début du projet. Un spectacle chatoyant, calibré pour les fêtes de fin d’année.

Creuset de recherche et de redécouvertes consacré à la musique romantique française depuis près de quinze ans, le Palazzetto Bru Zane affectionne entre autres l’archéologie des grands classiques du répertoire, en exhumant des moutures premières – quand bien même elles n’ont jamais connu la scène. Ainsi en est-il de l’état de La Vie parisienne d’Offenbach avant les coupures et les adaptations du compositeur pour la première au Théâtre du Palais-Royal en 1866 – pratiques tout à fait dans les habitudes d’un musicien qui ajustait ses pièces au fur et à mesure des répétitions. Le résultat de cette reconstitution intégrale, qui tient au moins de la résurrection historique que du fantasme anabatique vers les intentions princeps des créateurs, présente le mérite de revisiter l’équilibre entre le chant et le théâtre dans l’oeuvre, et de révéler certaines pépites, comme le lendemain de bamboche qui ouvre le quatrième acte, et dont la désagrégation flaccide de la ligne mélodique distille un halo onirique – anticipant une veine que Offenbach développera dans l’opéra-féérie après la chute du Second Empire –, même si le pragmatisme du créateur a finalement condamné cette page. La curiosité suscitée par la quinzaine de numéros inédits, avec le meilleur des trouvailles dans la deuxième partie, doit cependant composer avec un rallongement significatif de la partition qui en dilue les reliefs, surtout au troisième acte.

La Vie parisienne mis en scène par Christian Lacroix © Marc Ginot

Mais la réinvention muséographique n’est heureusement pas le seul intérêt d’une Vie parisienne ayant donné à Christian Lacroix, qui a beaucoup habillé les spectacles, l’opportunité de réaliser sa première production lyrique. Dans l’esprit de ce songe musicologique, le chatoiement des costumes et des décors mêle les époques en une fantaisie menée avec une énergie qui, dans l’élan des chorégraphies de Glyslein Lefever et de l’octuor de danseurs, porte sans doute un peu l’empreinte du travail mené depuis plus de deux décennies par Laurent Pelly et Laura Scozzi. Sous les lumières de Bertrand Couderc, l’horloge de la gare Saint-Lazare qui voisine avec des verrières plus proches de l’Art Nouveau, sert de fond pittoresque à une arène quasi circassienne avec passerelle, escalier et ascenseur mécanique dans un bric-à-brac éclectique tour à tour faux Grand-Hôtel et vrai salon bourgeois, où ne manque pas la collection de tableaux.

La Vie parisienne mis en scène par Christian Lacroix © Marc Ginot

La scénographie se veut spectaculaire, au diapason d’une partition foisonnante servie par une savoureuse galerie de personnages, au premier rang desquels on compte l’irrésistible duo mi-antagoniste mi-complice formé par le Bobinet à la déclamation alerte de Marc Mauillon et le Gardefeu de Flannan Obé aux délicieuses préciosités. En Métella, Eléonore Pancrazi prend sans pâlir le relais d’Aude Extrémo entendue à Rouen, avec une plénitude de jeu comme de chant. La Gabrielle de Florie Valiquette se concentre sur la légèreté de son soprano à la projection calibrée. Face à la baronne un rien pincée de Marion Grange, les moyens du baron danois campé par Jérôme Boutillier enveloppent le mordant comique qu’un Franck Leguérinel laissait éclore avec une irrésistible franchise.

La Vie parisienne mis en scène par Christian Lacroix © Marc Ginot

Dans le trio des servantes se distingue la Pauline aérienne d’Elena Gatiskaya aux côtés de Louise Pingeot en Clara et Marie Kalinine en Bertha. Dans le trio des emplois masculins, Philippe Estèphe ne dément pas la solidité de son baryton en Urbain et Alfred, quand Raphaël Brémard passe insensiblement des répliques de Joseph à celles d’Alphonse ou Prosper, et Pierre Derhet se confirme comme un ténor de caractère qui confond parfois l’intelligibilité de l’intonation dans l’exotisme de pacotille du Brésilien et de Frick – moins dans les répliques de Gontran. Quant à Caroline Meng et Marie Gautrot – qui remplace Ingrid Perruche –, elles se délectent des afféteries de Madame de Folle-Verdure et Madame de Quimper-Karadec. Si les choeurs, préparés par Noëlle Gény, participent de l’entrain général, les pupitres de l’Orchestre national Montpellier Occitanie, sous la baguette un peu routinière de Romain Dumas, qui a dirigé l’ensemble de la tournée, font ressortir l’essentiel des saveurs instrumentales, sans le même éclat ni la même richesse sonore que sous le charisme de Roderick Cox deux semaines plus tôt – dans un programme certes plus explicitement symphonique. Reste la fantaisie bouffe de La Vie parisienne.

Gilles Charlassier

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